(Paris) L’ex-championne française de patinage artistique Sarah Abitbol a fait craquer la glace en révélant les viols que lui a fait subir son ancien entraîneur. Saluée comme une « héroïne », elle se sent pourtant parfois « punie » pour avoir parlé.

« Si c’était à refaire, je le ferais et même avant », dit avec douceur et fermeté dans un entretien à l’AFP Sarah Abitbol, libérée de – presque – toutes ses angoisses.

En janvier 2020, mue par un besoin vital de poser ses mots, Sarah Abitbol a livré un récit des viols imposés par son entraîneur Gilles Beyer quand elle avait 15 ans, dans Un si long silence.

Trente ans après les faits, prescrits, son témoignage a fait l’effet d’une bombe, poussant le président de la Fédération française des sports de glace, Didier Gailhaguet, à la démission.

« Ce livre, c’était ma dernière chance. J’en avais marre de ne pas vivre normalement. Tu ne te rends même plus compte que t’as un problème profond parce que t’as pas envie de voir et on peut passer à côté de notre vie », confie la patineuse, sextuple médaillée européenne en catégorie couple.

Ces révélations ont été faites trois ans après le début de la libération de la parole initiée par le mouvement #metoo. « En 2020, la société était prête à entendre. Il y avait une puissance médiatique pour que ça tape fort, pour me sauver moi-même de cette emprise et pour aider la nouvelle génération ».

« Il y a eu plus de cinquante fédérations (sportives) touchées, c’est terrible et à la fois positif, il fallait réveiller les consciences », constate-t-elle.

« Juste dire ma vérité »

Presque trois ans plus tard, on lui « dit merci en tant que championne qui a parlé ». Les témoignages affluent : « Même des grand-mères de 75 ans me disent “je faisais encore des cauchemars, je me suis vue dans votre livre, j’ai noté tout comme vous” », raconte celle qui écrivait dans un petit carnet les violences sexuelles dont elle était victime et qu’elle a « rouvert après 30 ans de silence ».

Sarah Abitbol vit désormais la plupart du temps à Miami, aux États-Unis, et reprend goût à la vie : « quand tu te réveilles le matin et que t’as pas d’angoisses, même s’il y en a encore un petit peu, tu te sens mieux. Tu peux prendre l’avion toute seule, tu peux aller en stage, t’occuper des enfants en dormant toute seule dans ta chambre. Quelque part, tu sens que tu revis ».

Elle a créé une association « La voix de Sarah », pour soutenir les victimes de violences sexuelles ; elle accompagne des victimes lors de leur dépôt de plainte au commissariat. Elle prépare également un numéro de patinage pour la revue Holiday on Ice (de février à avril 2023), « un message à toutes les victimes de violences ».

Et c’est en préparant ce spectacle qu’elle s’est rendu compte que sa parole dérangeait.

« Quand j’ai eu besoin de patineurs, dans certaines patinoires, pour faire des essais, certains clubs ont dit : “si c’est pour Sarah Abitbol, non, on ne préfère pas”. C’est la double peine d’avoir parlé », relate-t-elle.

« C’est encore compliqué quand parfois on propose aussi ses services sur son expérience de championne de haut niveau et qu’en même temps on veut faire de la sensibilisation. (On nous rapporte) “C’est Sarah Abitbol, c’est celle qui a parlé de tout ça, qui a cassé l’image de cette fédération” ».  

« Ben oui ! », lance-t-elle. « Mais j’ai rien voulu casser, j’ai juste voulu dire ma vérité pour faire avancer les choses pour les enfants ». « Ils ont quelque chose à se reprocher ? Ils ont peur ? Qu’est-ce qui se passe ? C’est là où moi je veux justement y aller, je veux voir ce qui se passe ! »

Quant aux suites judiciaires concernant son agresseur, « ça fait deux ans qu’on traîne ». Elle souhaite que d’autres parlent. « Mon agresseur n’est plus en place, il est chez lui, il va au commissariat une fois par mois, il n’est pas en prison, mais il ne peut plus sortir dehors parce que tout le monde connaît son visage. Pour moi, il est puni. Mais je préférerais qu’il soit en prison ».