(Québec) Condamnée à verser 600 000 $ à une ex-partenaire d’affaires dans un litige civil, la double médaillée olympique Susan Auch a été congédiée de son poste de directrice générale de Patinage de vitesse Canada (PVC), jeudi.

Le conseil d’administration de PVC en a fait l’annonce à ses fédérations provinciales et territoriales membres dans un courriel envoyé tard en soirée.

« Le Conseil a déterminé qu’il est dans l’intérêt supérieur de Patinage de vitesse Canada que Susan Auch ne serve plus l’organisation à titre de directrice générale, ont indiqué les huit membres du C.A. présidé par Blair R. Carbert. Nous tenons à remercier Susan pour ses nombreuses contributions à PVC et lui souhaitons le meilleur dans ses projets futurs. Nous travaillons sur un plan de transition et allons communiquer, à toutes les parties prenantes et le plus tôt possible, toute avancée matérielle à ce sujet. »

M. Carbert avait pourtant donné un plein vote de confiance à la plus haute dirigeante de la fédération canadienne il y a trois semaines. La Presse l’avait alors questionné sur les conséquences du jugement rendu le 26 mai par la Cour du banc du Roi du Manitoba, l’équivalent de la Cour supérieure au Québec.

« Nous sommes conscients de la décision et de ce qu’elle dit, avait indiqué M. Carbert, lui-même avocat à Calgary. Nous avons examiné si cela avait un impact sur Patinage de vitesse Canada. Nous allons continuer à être attentifs, à suivre et à évaluer la situation au fur et à mesure de son évolution. Mais sur la base de notre expérience avec elle et du travail qu’elle fait pour Patinage de vitesse Canada, elle a toujours notre confiance. »

Manifestement, la publication de l’article le 23 septembre a bousculé les choses.

Lisez l’article « Patinage de vitesse Canada : la DG condamnée à verser 600 000 $ à une propriétaire flouée »

« Les évènements récents nous ont menés à mieux comprendre l’étendue de la passion et l’engagement de notre communauté envers les valeurs de PVC, a écrit le C.A. dans le courriel de jeudi. Dans le processus, nous avons eu un rappel que tous les membres de notre communauté devraient être soumis aux mêmes valeurs et standards que nos athlètes, bénévoles, employés et toute autre partie prenante de l’organisation, sur la patinoire et en dehors. C’est la seule façon par laquelle nous pouvons continuer d’avancer ; la clé du succès grandissant de notre sport et du bien-être de nos athlètes et de notre communauté. »

Les détails du jugement

Dans un jugement très sévère, le juge Jeffrey Harris a conclu qu’Auch avait eu « une conduite s’apparentant à une fraude » dans ses relations d’affaires.

Le dossier concernait un projet d’exploitation d’une carrière de calcaire dans la municipalité rurale de Rosser, au nord-ouest de Winnipeg, en 2012. Après l’achat conditionnel d’un terrain pour 8 millions de dollars par Auch et deux associés, la transaction est définitivement tombée à l’eau trois ans plus tard après de multiples rebondissements.

La vendeuse, Heather Anne Stewart, a intenté une poursuite civile de 600 000 $ contre Auch et une entreprise dont elle est propriétaire pour un prêt qui devait servir à convaincre la municipalité de Rossland de donner son autorisation à la carrière.

Le juge a écrit que les démentis d’Auch « ne sont pas crédibles et sont, en plus, malhonnêtes ».

Il a ajouté qu’une entreprise fondée par Auch et d’autres partenaires avait été utilisée « pour faciliter une conduite inappropriée, voire frauduleuse, qui a causé une perte à Stewart. Auch, comme cerveau de Holdings [son entreprise], a dirigé le décaissement des fonds à des fins auxquelles les sommes n’étaient pas destinées. Il s’agit d’une conduite inappropriée qui s’apparente à la fraude ».

Auch, qui ne fait l’objet d’aucune accusation criminelle, avait nié catégoriquement les conclusions du jugement lorsque La Presse l’avait contactée. Elle avait préféré s’abstenir de commentaires étant donné qu’elle portait sa cause en appel.

Son appel a été accepté et le jugement initial suspendu, a signalé Auch dans un courriel à La Presse mercredi. La date de l’audience a été fixée au 27 janvier par la Cour d’appel du Manitoba.

« Une affaire privée »

En entrevue le mois dernier, le président du C.A. avait refusé d’indiquer si la DG avait été invitée à se retirer de ses fonctions le temps qu’un appel soit entendu, affirmant que la situation était « une affaire privée avec une employée ».

Je ne sais pas si j’ai déjà rencontré quelqu’un d’autre qui est dévoué et engagé dans le sport du patinage de vitesse comme Susan. Le conseil continuera à assumer ses responsabilités envers l’organisation.

Blair R. Carbert, président du C.A. de Patinage de vitesse Canada, en entrevue le mois dernier

Membre du C.A. de PVC depuis 2008, Auch, double médaillée olympique en patinage de vitesse longue piste, est devenue vice-présidente en 2014 et présidente deux ans plus tard. En 2017, elle est passée directement de présidente à directrice générale intérimaire de PVC, une mutation inhabituelle. Le poste lui a été confié de façon permanente quelques mois plus tard.

Sous sa direction, les finances de PVC se sont assainies et les performances sur la glace, améliorées. Sa gestion du personnel a cependant fait de nombreux mécontents jusqu’à tout récemment.

Originaire de Winnipeg, Susan Auch a pris part à quatre éditions des Jeux olympiques (JO) en patinage de vitesse de 1992 à 2002, remportant deux médailles d’argent au 500 m. Elle fait entre autres partie du Temple de la renommée de Patinage de vitesse Canada et du Temple de la renommée olympique canadienne. L’ovale extérieur de Winnipeg a été nommé en son honneur.

« Ce processus a mis en lumière notre besoin d’être plus à l’écoute, d’être plus accueillants à recevoir l’information et à être meilleurs dans ce que nous faisons, a conclu le C.A. de PVC dans sa communication. En ce sens, nous ferons des démarches pour nous assurer de l’être. Ce conseil entre dans le cycle olympique de 2026 engagé à faciliter un environnement sûr et inclusif où tous peuvent activement participer à notre beau sport. »

« On mérite ce qu’il y a de mieux »

Le directeur général de la Fédération de patinage de vitesse du Québec (FPVQ), Robert Dubreuil, a salué le professionnalisme du message envoyé par le C.A. de PVC. Durant le processus, la FPVQ, qui compte pour la moitié des 12 000 membres de PVC, a exprimé ses inquiétudes dans une lettre à l’organisation canadienne dont le budget annuel est de 7,2 millions de dollars.

À ses yeux, le dossier de Mme Auch « n’est ni tout noir, ni tout blanc ». Il a souligné qu’elle laisse PVC « à un meilleur endroit qu’elle ne l’a pris ». Le DG estime qu’elle a probablement payé le prix pour son style de gestion « avec une main de fer ».

« Quand ta crédibilité est touchée, les mésententes des dernières années ressortent, a souligné M. Dubreuil. N’étant pas partie des discussions, c’est difficile de la juger. Je pense qu’ils ont estimé que c’était irrécupérable. Ils ne voulaient pas que ça traîne pendant deux mois. »

Jean Pichette, administrateur bénévole de PVC, a préféré réserver ses commentaires, renvoyant les questions au président Carbert, qui rentre d’un voyage outremer. L’ancien patineur olympique a néanmoins précisé qu’Intact Assurance, principal commanditaire de la fédération, était au fait des démarches.

« C’était une situation en évolution, a mentionné M. Pichette. On a suivi chaque étape. On avait un plan et cela a mené à cette décision. »

Le processus de nomination d’un intérim pour la direction générale est déjà enclenché. « Ce qu’on veut, c’est le bien des athlètes et qu’ils puissent performer », a-t-il conclu.

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Laurent Dubreuil

Laurent Dubreuil estime pour sa part que le renvoi de Susan Auch était la seule issue possible. « Ce n’était pas à moi de décider, mais sur le plan éthique, tu ne peux pas être d’accord [qu’elle reste] avec le verdict de la poursuite, a déclaré le patineur. Personnellement, j’aime mieux quand l’organisation est menée par quelqu’un en qui on peut avoir confiance. On s’entend qu’elle gère des budgets. »

Le médaillé d’argent de Pékin a hâte de voir la suite : « C’est une belle organisation, c’est un sport magnifique qui est en croissance sur le plan des résultats. Les athlètes, on mérite donc ce qu’il y a de mieux. Parce que nous, on fait le travail sur la glace, ça, c’est clair. »