Charles Hamelin a taquiné ses anciens coéquipiers en s’installant en bordure de la patinoire de l’aréna Maurice-Richard, mardi matin. « Ouin, comme ça, vous faites des sept tours à trois maintenant que je ne suis plus là… »

À l’époque où il était patineur, cet exercice de vitesse à l’entraînement s’effectuait plutôt à deux. Ce n’était pas un incitatif assez puissant pour donner le goût au nouveau retraité de sauter sur la glace.

De toute façon, le plus grand médaillé olympique masculin de l’histoire au Canada, à égalité avec le sprinteur Andre De Grasse, avait une autre tâche à accomplir. Chic veston rose et casquette à l’avenant, il a présenté les 12 patineurs de l’équipe canadienne qui participeront à la première Coupe du monde de patinage de vitesse sur courte piste de la saison, de vendredi à dimanche, à Montréal.

En plus des champions olympiques de relais Steven Dubois, Pascal Dion, Jordan Pierre-Gilles et Maxime Laoun, deux nouveaux venus feront leurs débuts sur le circuit : Félix Roussel, 21 ans, et Mathieu Pelletier, 16 ans et plus jeune patineur masculin canadien à faire le saut depuis Steve Robillard, qui avait 15 ans en 1999.

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Félix Roussel

Sacré champion canadien pour la troisième année consécutive lors des sélections de Québec, il y a deux semaines, Dubois entreprend ce prochain cycle olympique avec une certaine confiance… mais pas trop.

Le triple médaillé de Pékin, seul athlète canadien masculin qui a réalisé l’exploit en Chine, est du genre à douter. De sa forme, de ses jambes, de ses sensations, de sa capacité à patiner à l’avant du peloton, etc.

« Je voulais tout casser »

Après la disqualification du Canada au relais mixte au début des Jeux, Dubois était persuadé qu’il quitterait la Chine sans médaille. « Ça m’a complètement détruit », s’est souvenu l’athlète de Terrebonne en entrevue après la conférence de presse. « Je voulais tout casser. »

« On voulait tout casser », l’a repris Pierre-Gilles, qui passait par là. Le Sherbrookois avait rassuré son coéquipier : « Je lui ai dit : ‟Calme-toi, attends un peu, il te reste trois épreuves.” Mais je me sentais pareil… »

Quelques jours plus tard, à la veille du 1500 m, Dubois était convaincu que son mauvais présage se réaliserait tellement il se sentait tout croche à l’entraînement. « J’étais en tab… J’étais fâché. »

Après un quart de finale difficile, il est allé trouver Laoun pour lui dire qu’il aurait dû lui céder sa place au 1500 m… Deux rondes plus tard, Dubois a gagné l’argent à l’issue d’une finale un peu folle disputée à 10 patineurs.

Cette première médaille a été le prélude à deux autres : le bronze au 500 m et l’or au relais pour le chant du cygne olympique d’Hamelin. Comme si un déclic s’était produit.

« Ouais, la confiance… », a commenté Dubois, comme si cet aspect de sa personnalité n’était pas encore tout à fait au niveau pour un athlète de son calibre.

Je vais arriver dans n’importe quelle ronde, que ce soit la première ou la dernière, et je vais quand même avoir peur que les autres me battent. On dirait que je ne connais jamais ma véritable force.

Steven Dubois

Cette réserve n’est cependant pas qu’un défaut, a fait remarquer le patineur de Terrebonne : « Peut-être que c’est ce qui fait que je suis rarement disqualifié ou que je prête toujours attention [à tout]. »

Sébastien Cros n’est pas étonné lorsqu’on lui rapporte l’anecdote de Pékin. « On l’a vu l’année passée ou même l’année d’avant dans des Coupes du monde : il était capable de faire des courses différentes entre une demi-finale et une finale, a soulevé l’entraîneur-chef. Du très bon au très mauvais. C’est vraiment une histoire de confiance. »

Très explosif, Dubois avait tendance à s’appuyer sur cette qualité sur les plus longues distances comme le 1000 m et le 1500 m. Son plan était d’attendre l’ouverture à l’arrière avant de placer une énorme accélération. Exactement l’inverse d’Hamelin.

Sensibilité

Cros souhaite le voir briser ce schéma qui ne fonctionne pas toujours au plus haut niveau. « Ce sont des choses qu’il a à travailler. Il arrive à le faire mieux au niveau national. Aux sélections olympiques de l’an dernier, il avait été vraiment très actif à diriger les courses. Il l’a fait encore plus cette année à Québec. Mais il a encore à venir chercher ça au niveau international, à le faire de façon plus constante. »

Ses perceptions à l’entraînement peuvent également lui jouer des tours. « Steven va beaucoup ressentir les choses, a noté Cros. Ses lames, son physique, ses sentiments. Il y a des athlètes qui sont moins sensibles que ça. Mais lui est très sensible. C’est sûr que ça vient jouer un peu dans sa confiance. »

Avec le temps, le patineur de 25 ans a appris à relativiser ces signaux parfois trompeurs. Aligné sur 500 m et 1500 m à Montréal, il a les yeux rivés sur le globe de cristal qui sera attribué pour la première fois au gagnant du classement général à la fin de la saison de Coupe du monde.

Il pourra compter sur Hamelin parmi ses plus ardents partisans.

« Il a un potentiel grand comme le monde, l’a louangé le sextuple médaillé olympique. Il a des qualités athlétiques et de patinage exceptionnelles que je n’ai moi-même jamais eues de ma vie. Si tu allies ces qualités à une certaine confiance, oublie ça, le reste du monde ne va pas trouver ça drôle ! Quand la confiance va embarquer et qu’il va foncer sans crainte, il va être difficile à battre. »

Le retour de Schulting

Kim Boutin et Courtney Sarault mèneront l’équipe féminine à cette première Coupe du monde de la saison. Elles renoueront avec la quadruple médaillée des Jeux olympiques de Pékin, la Néerlandaise Suzanne Schulting, qui avait déclaré forfait pour les Mondiaux de Montréal en raison d’une infection à la COVID-19. « Plus il y a d’adversaires, plus la compétition est intéressante et le fun », s’est réjouie Boutin, limitée à une médaille de bronze en Chine (500 m) après ses trois de PyeongChang. « C’est là qu’on peut progresser. Avoir Suzanne sur la glace cette fin de semaine, ça nous permettra de voir où on en est avec notre planification d’entraînement. » La surprenante Renée Steenge, Claudia Gagnon, Rikki Doak et l’olympienne Danaé Blais complètent le groupe féminin.

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Maxime Laoun, Kim Boutin et Rikki Doak

Dépassements et stratégies

Boutin a défini ce qu’elle souhaitait améliorer d’ici aux Jeux olympiques de 2026 à Milan : les dépassements et les stratégies de course. La Sherbrookoise d’origine en a donné un aperçu en exécutant une superbe manœuvre à l’intérieur aux dépens de Doak pour reprendre la tête in extremis du premier 500 m aux sélections de Québec. « En fin de course, je suis quand même assez vulnérable quand je veux relancer la vitesse, a admis l’athlète de 27 ans. Ce sera mon objectif des prochaines années. J’ai vraiment beaucoup de défis à l’entraînement. Les filles ont vraiment élevé leur niveau par rapport à ça. »

Un guerrier balafré

La recrue Félix Roussel arborait un impressionnant œil au beurre noir accompagné d’une cicatrice sur la pommette droite lors de la rencontre avec les journalistes. Le patineur de Sherbrooke a été victime d’une violente collision lors d’un entraînement de relais vendredi. Il a heureusement évité une commotion. « Je pense que ce sont mes lunettes qui ont causé ça », a indiqué Roussel au sujet de la balafre qui a nécessité 10 points de suture. L’entraîneur-chef Sébastien Cros paraissait particulièrement emballé par la sélection de l’athlète de 21 ans, qui a surtout servi de partenaire d’entraînement au groupe féminin dans la dernière année. « On connaissait ses qualités de sprinteur et d’explosivité, mais ce n’est pas au 500 m qu’il doit sa qualification, mais plutôt au 1500 m. C’est une bonne surprise et j’ai vraiment hâte de le voir évoluer. »

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Mathieu Pelletier (au centre) et Félix Roussel (à droite)

Un adolescent dans l’équipe

Mathieu Pelletier, seulement 16 ans, est l’autre belle surprise des sélections. Jusqu’en avril, l’adolescent de Laval patinait avec le Centre régional canadien d’entraînement, le niveau avant l’équipe nationale. « Oui, c’est jeune, mais je savais que j’avais de bonnes jambes, a indiqué l’élève de cinquième secondaire. Je ne m’attendais pas à me qualifier. Je voulais seulement faire de mon mieux, profiter du moment et apprendre de mes erreurs. C’est un plus que je puisse faire les Coupes du monde, mais ce n’était pas nécessairement mon objectif. » Cros ne lui imposera évidemment pas de pression indue : « Il est jeune, mais il a de bonnes qualités, il est explosif et il a l’air d’apprendre vite aussi. Ce sera vraiment intéressant de le voir évoluer à ce niveau-là. »