Gagner. C’est la raison d’être de tout athlète professionnel. Mais la victoire, lorsqu’elle est tellement fréquente, procure-t-elle toujours les mêmes émotions ?

Mikaël Kingsbury a tout gagné. Ses triomphes sont si nombreux que les synonymes nous manquent parfois quand vient le temps de les raconter dans nos pages, c’est bien pour dire.

Sur une étagère dans le salon du skieur, à Saint-Joseph-du-Lac, les médailles et souvenirs s’entassent. Les médailles olympiques sautent aux yeux. Sur la tablette du haut sont alignés quelques globes de cristal – les autres sont chez les parents de Kingsbury, non loin de là, à Deux-Montagnes. La conjointe du skieur, Laurence, nous explique être encore en réflexion sur la façon de faire pour rassembler et installer les 24 globes dans une même pièce.

Vingt-quatre globes. C’est plus que n’importe qui d’autre dans cette discipline.

Kingsbury est-il trop fort pour la ligue ?

En ce chaud jeudi d’août dans les Laurentides, loin de la neige et des pistes de ski, dans le confort de son accueillante demeure, le principal intéressé répond d’instinct : « Non. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Mikaël Kingsbury dans sa résidence de Saint-Joseph-du-Lac

« Moi, parfois, je regarde ma descente à l’entraînement et je me dis : “Ça va être tough de finir dans le top 5” », dit-il, attablé dans sa cuisine, canette de Bubly à la main.

— Tu te dis ça, encore aujourd’hui ?

— Ouais, lâche-t-il dans un sourire. C’est sûr qu’il y a certaines pistes où j’ai vraiment confiance en moi. C’est juste que parfois, quand je m’assois et que je me mets à penser, que je regarde des vidéos, je trouve que tout le monde est bon. Je ne peux pas dire : “Lui, on le tasse. Il est fort !” »

Kingsbury ne prend personne à la légère. Quand il monte sur la première marche du podium à la fin d’une compétition – une routine à laquelle il est abonné –, c’est l’aboutissement de toute une série de décisions. C’est le résultat de tout ce qui a été fait dans les jours, les semaines et les mois précédents.

« À chaque course, il y a le moment où tu pars de chez toi, tu prends l’avion, tu atterris, tu t’installes dans une chambre d’hôtel. Je place mes affaires dans ma chambre. […] Tout est super organisé. Je traîne tout en double, comme ça il ne me manque rien. »

Pour chaque nouvelle piste, le skieur prend des notes dans un cahier. Il y dessine son parcours. Puis, il regarde des vidéos. Que font ses adversaires ? Quels sont leurs temps ? Quels sont ses propres temps ? Comment peut-il maximiser son score ? Qui sont les juges ?

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Mikaël Kingsbury

Ensuite, c’est de répéter la descente dans ma tête. À l’entraînement le lendemain, je peux changer de nouveau parce que finalement la météo a changé. […] Je m’organise pour que, quand j’arrive pour ma descente, tout soit là mentalement et physiquement. Tout est prêt. Et tu gagnes. Tu regardes tout ce que tu as fait dans ce week-end-là.

Mikaël Kingsbury

Le skieur acrobatique insiste : chaque victoire est différente.

« Il y a des gens qui disent : “Mik a tellement gagné souvent, il s’en fout, il est habitué, ça ne change rien.” Mais au contraire… »

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Quelques-unes des nombreuses médailles de Mikaël Kingsbury

Apprécier

Dans les archives de La Presse se cachent plusieurs dizaines de photos de Mikaël Kingsbury, médaille d’or au cou et sourire aux lèvres sous la neige. Si l’image nous est familière, elle l’est encore plus pour le champion.

« Des fois, je me force à l’apprécier, laisse-t-il tomber. Je me dis : “Reste sur le podium un peu plus longtemps. On ne sait jamais…” »

Kingsbury a acquis cette façon de voir les choses à la fin de l’année 2020, quand il s’est fracturé deux vertèbres lors d’une descente en Finlande. S’il était de retour à la compétition deux mois plus tard, cette blessure lui a fait réaliser qu’il tenait « peut-être quelques affaires pour acquises dans la vie ».

Gagner, je ne le tenais jamais pour acquis, mais je trouve que je ne profitais pas assez du moment présent. Je pensais tout le temps à la prochaine chose. Je souriais, je descendais du podium… C’était fini, mais je n’avais pas pris le temps de prendre une photo mentale, de me dire : “Osti que c’est hot, d’être ici, wow !”

Mikaël Kingsbury

Avec 80 victoires en Coupes du monde, huit en Championnats du monde et une aux Jeux olympiques, « le King » a créé des attentes malgré lui. Étrangement, dans son rare cas, une deuxième place est presque perçue comme un échec.

« Il y a des courses où on est 60 gars. Finir deuxième, c’est super bon ! Je pense que parfois, le monde me tient pour acquis. Il y a même des moments où, avec mes coachs, on se dit : “On va aller vérifier ce qu’on a manqué.” Mais j’ai tout donné. »

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Mikaël Kingsbury

Deux de plus

En ouverture d’entrevue, Kingsbury nous expliquait avoir l’intention de poursuivre sa carrière jusqu’aux prochains Jeux olympiques d’hiver, qui auront lieu en 2026. « Après ça, on verra. On va voir si j’ai atteint mes objectifs. »

Le mot « objectifs », dans son cas, est intéressant. Que veut-il donc encore accomplir ?

D’abord, il y a la médaille d’or en simple, qui lui a glissé des mains à Pékin. Ç’aurait été sa deuxième, après celle de PyeongChang. Quand il s’élancera sur la piste aux Jeux de Milan et de Cortina d’Ampezzo, dans deux ans et demi, ce sera pour gagner.

Au pire, je finirai sixième. Il faut que j’y aille dans cette optique-là de ne rien laisser sur la table. Je vais m’entraîner en conséquence de ça.

Mikaël Kingsbury

« [La médaille], on va la mettre là et il va y avoir de la place pour deux, dit-il en pointant l’étagère. Parce qu’après ça il y a les duels, quelques jours après. »

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La médaille d’or olympique de Mikaël Kingsbury, remportée à PyeongChang

Ce sera la première fois que la course en duel fera partie du programme olympique. « Je veux être le premier [à gagner] », lâche-t-il.

« Si je finis deuxième et que j’ai tout laissé sur la piste, est-ce que je vais être déçu ? D’une manière, oui, parce que je veux gagner. Mais si je me fais battre par quelqu’un qui a été bien meilleur que moi, it is what it is. C’est ça, le sport. »

En vrac…

Sa plus belle victoire

« C’est dur, ces questions-là ! Je vais dire les Olympiques parce que c’est mon rêve de jeunesse. Je n’arrivais pas à y croire quand je l’ai fait. »

Sa victoire la plus surprenante

« Inawashiro, en 2013. C’est la première fois que je course là-bas. C’est la piste la plus à pic. […] C’est légendaire pour moi parce que je regarde cette course-là à la télé depuis que je suis jeune. Je la skie et elle répond à mes attentes : je ne suis pas capable de me rendre en bas à l’entraînement. Je fais juste de la marde, je ne saute pas bien. Dans ma tête, je me dis : “C’est Inawashiro, tout peut arriver.” […] En superfinale, j’ai fait ma meilleure run et j’ai gagné la course. Je suis passé du gars qui ne savait pas quoi faire, qui n’avait pas de stratégie, à gagnant de la course. C’était hot ! »

Sa victoire la plus loufoque

« En Chine, en décembre 2018. J’ai coursé, j’étais malade. J’ai fait une gastro. J’ai dormi à côté du bol de toilette. J’étais vert. J’ai une entrevue de moi en bas où j’ai l’air d’un mort-vivant. Et j’ai gagné la course. Mon corps est bizarre. Chaque fois qu’il fallait que je m’installe dans le portillon, il me donnait un break d’une minute. Dès que je croisais la ligne en bas, le ventre… Je suais. Mon corps faisait de la fièvre pendant que je skiais. »