(Québec) Que ça plaise ou non, Laurent Dubreuil est intrinsèquement honnête, transparent et franc. Conscient de briser le moule, il n’a jamais eu l’intention de se travestir, que ce soit sur la glace ou devant les caméras. Et il ne s’en excusera pas.

« Désolé, je suis en retard », lance Dubreuil à son arrivée au Centre des glaces de Québec.

Il était 13 h 01. Le rendez-vous était fixé à 13 h.

Pour le commun des mortels, une minute n’entre même pas dans la marge d’erreur.

Pour un patineur s’étant fait ravir le titre mondial sur 500 m par 0,36 seconde, 1 minute est une éternité.

Avec son survêtement de l’équipe canadienne et son sac à dos, l’athlète de 31 ans s’installe à l’une des tables de la cafétéria de l’aréna. Un endroit devenu son deuxième chez-soi. Là où il passe la majorité de ses journées à s’entraîner en vue de la saison à venir.

« Hier, je me suis entraîné juste en après-midi, précise-t-il, parce que le matin, il fallait que j’aille à un rendez-vous médical avec mes enfants. Plus jeune, ce genre d’empêchement m’aurait fait chier, mais là ça ne me dérange pas du tout. Maintenant, je suis parent avant d’être patineur. »

Et c’est avec cette même probité déconcertante que Dubreuil fait habituellement part de ses états d’âme. Dans ses entrevues d’après course ou attablé dans un aréna au mois d’octobre, le gagnant de 31 médailles en Coupe du monde ne passe jamais par quatre chemins.

Lorsqu’il patine bien, il ne se gêne pas pour le reconnaître. Lorsqu’il performe moins bien, il est aussi le premier à le souligner. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles il détonne parmi ses homologues olympiens.

Il fut un temps où j’avais peur que ce soit pris comme de l’arrogance. Parce que je disais que je voulais être le meilleur au monde et j’étais honnête. Avec les années, je l’ai prouvé, je n’étais pas dans le champ. Je n’ai pas envie de perdre du temps à cacher ma vraie personnalité.

Laurent Dubreuil

Quand il était plus jeune, ses parents lui reprochaient même d’être « trop direct ».

Encore aujourd’hui, ce franc-parler fait partie de lui. « Admettons que ma blonde me demande si le souper était bon, raconte-t-il. Si je n’ai pas aimé ça, je vais lui dire. Mais c’est comme ça aussi que je veux que les gens agissent avec moi. Je pense que c’est une qualité. »

À son avis, l’honnêteté est le plus beau cadeau que son entourage puisse lui offrir. « Trop de politesse fait que ce n’est pas authentique et je ne pense pas que c’est bon. Surtout pas dans le sport. »

Il demande à ses entraîneurs d’identifier ses défauts. D’être transparents. C’est avec cette démarche et ce rapport de confiance que Dubreuil est parvenu à remporter le titre cumulatif sur 500 m au cours des deux dernières saisons. « Je suis le premier à me critiquer si ça ne va pas bien et je ne serai pas gêné non plus, si je gagne deux courses en ligne, de dire que je suis le meilleur au monde. Et l’inverse est aussi vrai. Il y a tellement d’athlètes qui finissent 17es et que ce n’est jamais leur faute. »

En fait, Dubreuil tient surtout à ce que ce soit vrai, il ne tient pas tant à ce que ce soit beau.

« Ce qui est inauthentique, ça m’irrite », persiste-t-il. Et comme l’un de ses souhaits les plus profonds est d’être un bon modèle, il veut être le plus vrai possible.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Laurent Dubreuil

Père et athlète

Sur sa liste de vœux, tout en haut, figure la volonté d’être un bon père. Avec des enfants de 4 et 1 an à la maison, les priorités de Dubreuil ont évolué.

Le médaillé d’argent aux Jeux olympiques de Pékin est toujours fébrile à l’amorce d’une nouvelle saison, mais il est « capable de [se] détacher du patin ».

C’est à 27 ans, en 2019, que l’ancien champion du monde chez les juniors a « débloqué ». D’une part, parce que l’équipe canadienne a changé de préparateur physique et sa manière de s’entraîner, mais aussi grâce à la venue au monde de Rose, son aînée.

Se croyant condamné à délacer ses patins en regardant ses rivaux monter sur le podium, il avait remporté sept médailles avant de devenir père. Depuis quatre ans, il en a rapporté 24 à la maison.

« Je suis moins stressé qu’avant lorsque j’arrive en course, parce que je sais qu’il y a d’autres choses plus importantes dans la vie. Si je suis en Europe, que j’ai fini septième et que j’appelle Rose, elle s’en fout, elle est juste contente que je l’appelle. »

Ce n’est toutefois pas arrivé souvent l’année dernière, parce que Dubreuil est toujours au sommet de son art. Il est monté sur le podium 7 fois en 12 courses, en plus d’avoir défendu son titre au classement général.

Mais dans le nid familial, les médailles sont devenues davantage des décorations que des trophées pour impressionner la visite.

Quand on a décidé d’avoir des enfants, je me suis dit que ce n’était pas grave si je ne gagnais plus jamais de médailles, parce que je veux être un bon père avant d’être un bon patineur.

Laurent Dubreuil

À vrai dire, ces médailles sont des morceaux d’archives. Parce que la paternité ne s’est pas imposée. C’était un choix. Dubreuil a toujours caressé le rêve de devenir père tout en patinant au plus haut niveau.

« Je voulais que mes enfants s’en souviennent pour avoir un modèle de quelqu’un qui a découvert sa passion. Et c’est ce que je veux qu’ils retiennent. Ce n’est pas que papa était bon, mais qu’il était heureux et qu’il aimait ce qu’il faisait. »

Et sa conjointe Andréanne n’est pas en reste. Enseignante au primaire, « elle adore ce qu’elle fait aussi ».

Et c’est grâce à cette perspective, entre des allers-retours à la garderie et à la clinique, que Dubreuil a enfin pu devenir le père et l’homme qu’il rêvait de devenir.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Laurent Dubreuil

Le couteau entre les dents

La nouvelle saison de Coupe du monde s’amorce vendredi au Japon. La dernière campagne s’était mal conclue pour Dubreuil en Pologne avec une sixième position au 500 m et une dixième place au 1000 m.

Néanmoins, le patineur de Lévis est excité de reprendre le collier. « Je pense que lorsque je n’aurai plus hâte à la veille des coupes du monde, je vais prendre ma retraite. »

Limité depuis deux mois par une blessure à un genou, il n’arrive pas avec autant de rythme que souhaité, mais il assure être remis complètement. Il est actuellement le meilleur au monde sur sa distance et il est motivé à conserver le titre.

J’y crois toujours, je vais encore sûrement gagner [des médailles], mais à un moment donné, je vais gagner ma dernière médaille. Donc j’essaie de toujours en profiter pendant que ça dure.

Laurent Dubreuil

Au début de la trentaine, Dubreuil est conscient d’avoir une date de péremption, comme Roger Federer et Rafael Nadal, qu’il cite.

« En vieillissant, je comprends que ça ne durera pas à l’infini. Je ne sais pas il me reste combien de temps à être bon. Statistiquement, c’est de plus en plus probable que j’en gagne de moins en moins. »

Surtout avec l’arrivée spectaculaire du jeune prodige américain Jordan Stolz, vainqueur sur les trois distances individuelles aux plus récents Championnats du monde.

« Il a mieux patiné ce week-end là que je n’aurai jamais patiné dans ma vie », estime Dubreuil au sujet de la sensation de 19 ans.

Au moins, Stolz est meilleur sur 1000 m, laissant donc une marge de manœuvre au Québécois sur 500 m.

Mais ce dernier est toujours aussi affamé. Il veut redevenir champion du monde, gagner de nouveau le titre cumulatif du 500 m, gagner l’or olympique et éventuellement se rendre à 50 médailles en Coupe du monde. « C’est en se donnant des objectifs qu’on reste allumé », précise-t-il.

Qu’il atteigne ou non ses objectifs, Dubreuil sera invariablement le premier à juger ses performances et à les ramener sur la table pour en discuter le moment venu. Parce qu’il est comme ça, fier et libre, que ça vous plaise ou non.