(Mont-Tremblant) « Elle skie donc à la maison et la pression n’a pas l’air de l’étouffer », pouvait-on lire dans la section des sports de La Presse, le 25 novembre 2016. Rien ne pouvait être plus faux. Littéralement.

À 21 ans, Mikaela Shiffrin s’apprêtait à disputer la première Coupe du monde de l’histoire à Killington, au Vermont. La skieuse américaine avait passé la moitié de sa vie dans la région, faisant son secondaire à la Burke Mountain Academy, pensionnat réputé situé à deux heures de route, près de la frontière canadienne.

Plus jeune médaillée d’or olympique en ski alpin, double championne mondiale de slalom, elle était déjà en train de réécrire le livre des records à sa cinquième saison sur le circuit. Deux jours avant la première épreuve à Killington, où 30 000 personnes sont venues l’acclamer, dont sa grand-mère de 95 ans, elle badinait et se laissait prendre en photo avec de jeunes partisanes au bas du parcours.

La pression n’avait donc pas l’air de l’étouffer. Avant la course, Shiffrin a pourtant eu l’impression qu’une corde lui serrait la gorge.

Entre les deux manches du slalom, qu’elle a remporté à l’arraché, elle a ressenti des haut-le-cœur, eu envie de pleurer et été en proie à des attaques de panique.

« Honnêtement, j’ai failli retourner à la maison cette journée-là parce que j’étais tellement désemparée », racontera-t-elle un an plus tard au magazine Time. « Plutôt que de répondre à des questions, j’ai commencé à m’entendre y répondre », expliquera-t-elle à Sports Illustrated. En dépit de ses réussites inédites, elle a mis quelques années avant de sortir de cette spirale négative.

Après être devenue la skieuse la plus victorieuse de l’histoire l’hiver dernier, Shiffrin a ajouté un 90e succès à son incroyable palmarès en remportant le slalom de Killington, dimanche.

Ce vendredi après-midi, l’athlète de 28 ans participera à la conférence de presse d’ouverture de la Coupe du monde de Tremblant, la première en 30 ans au Québec. Elle sera accompagnée de Valérie Grenier, la meilleure skieuse canadienne, qui aura le bonheur de s’exécuter sur ses terres pour deux slaloms géants, samedi et dimanche.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Valérie Grenier

À 27 ans, Grenier a participé deux fois aux Jeux olympiques et compte 102 départs en Coupe du monde. Des douleurs récurrentes aux chevilles et une grave blessure à une jambe aux Championnats du monde de 2019 ont beaucoup ralenti le développement de la médaillée d’or de la descente aux Mondiaux juniors de 2016.

Enfin en bonne santé, la Franco-Ontarienne de Saint-Isidore a connu sa meilleure saison l’hiver dernier, signant sa première victoire sur le circuit en janvier et remportant le bronze à l’épreuve parallèle par équipes aux Mondiaux de Courchevel Méribel. Avec son deuxième podium à son dernier départ, elle a conclu la campagne au septième rang. Elle a poursuivi sur sa lancée en terminant septième (Sölden) et cinquième (Killington) à ses deux premiers géants cette saison.

Sans évidemment avoir le statut de Shiffrin, Valérie Grenier est consciente qu’elle sera attendue sur la montagne où elle a grandi. Est-ce comparable à ce qu’elle a pu vivre à des JO ?

« Je ne sais pas encore, I guess qu’on va voir rendu là », a-t-elle répondu après un entraînement à Saint-Sauveur, mardi matin. « Les Olympiques, c’est très spécial, ça n’arrive qu’aux quatre ans. C’est beaucoup de stress, mais je n’en ai pas ressenti tant que ça. Honnêtement, je ne suis pas le genre de personne qui vit de gros stress. Ça reste toujours assez petit. Ça ne m’affecte pas trop pour l’instant, même pour Tremblant. À date, je suis juste très excitée de faire les courses. J’ai très hâte et je n’ai qu’un mini-stress de course, mais vraiment minime. »

Elle calcule qu’une trentaine de membres de sa famille viendront l’encourager, dont son grand-père maternel de 84 ans, Marcel Bourdon, avec qui elle a mis les planches alors qu’elle était encore pratiquement aux couches. Il faut aussi compter les amis, la communauté du ski et… des milliers de spectateurs.

PHOTO ERICH SCHLEGEL, USA TODAY SPORTS

Valérie Grenier lors du slalom géant de Killington, samedi

Ce n’est pas une raison pour s’en faire, estime Grenier, bien au fait de ce que Shiffrin a vécu à ses débuts à Killington, puisqu’elle y était elle-même, inscrivant ses premiers points dans des épreuves techniques (24e du géant, 29e du slalom).

« Ça ne vaut pas la peine de se mettre ce genre de pression. […] Pour l’instant, j’essaie de ne pas m’en mettre. Je sais ce que j’ai à faire ; je veux juste faire mon ski et bien faire mes choses. That’s it. Ça ne sert à rien de trop penser aux résultats et à tout le reste. »

« Comme la Super Série ! »

Sarah Bennett, de Stoneham, est une autre concurrente qui aborde cette Coupe du monde avec le sentiment d’être à domicile.

« Je viens à Tremblant chaque année depuis que j’ai 12 ans », a rappelé l’athlète de 22 ans, qui en sera à son neuvième départ sur le circuit samedi. « L’environnement est très familier. Je me sens juste tellement bien à la maison. C’est comme si j’allais faire la Super Série de Tremblant ! Le feeling est vraiment similaire. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Sarah Bennett

Ses parents, sa sœur, sa grand-mère et des représentants de ses trois commanditaires seront sur place pour l’appuyer. En annonçant sa participation sur les réseaux sociaux, l’étudiante en communication à Concordia a néanmoins été surprise de voir le nombre de connaissances qui lui ont notifié leur présence. « D’après moi, il y en aura plus que je pense. »

Cette attention accrue risque-t-elle de la déstabiliser ? « Non, pour moi, c’est vraiment le contraire, a assuré Sarah Bennett. Ils ne sont pas là nécessairement juste pour moi. »

Si jamais les papillons deviennent trop envahissants, elle se tournera vers un conseil que lui a envoyé un ami, le cycliste professionnel Magnus Sheffield, un Américain très prometteur qui évolue pour la formation Ineos Grenadiers. « Il m’a dit : “Ils sont là pour te voir, il suffit d’accepter les bras ouverts le fait qu’ils soient là pour toi.” Ça donne juste un petit peu plus de confort. »

Mikaela Shiffrin a reçu un message de la même essence de la part d’un partisan lors de sa deuxième participation à la Coupe du monde de Killington, en 2017. Sur Instagram, celui-ci lui a fait savoir qu’il pouvait sentir la pression qui lui tenaillait l’intérieur, et que tout le monde était simplement heureux de la voir dévaler les parcours chez elle. « Quoi qu’il arrive, on te soutient », a-t-il conclu. « C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que personne ne s’en souciait vraiment ! », a-t-elle relaté deux ans plus tard.

À l’aube de sa 12e saison en Coupe du monde, Mikaela Shiffrin a appris à négocier avec ses démons personnels. Très affectée par la mort subite de son père en 2020, la skieuse de Vail est parmi les athlètes de renommée internationale qui se sont le plus ouverts sur leurs enjeux de santé mentale.

Avec le temps, elle a compris que le succès de sa Coupe du monde locale ne reposait pas sur ses épaules. Même la seule fois qu’elle n’a pas gagné, en 2022, les gens se sont amusés.

« Ils passent un bon moment quoi qu’il arrive, a-t-elle ajouté en conférence de presse la semaine dernière. Ils veulent vraiment voir du bon ski, un bon spectacle. Ce sont des adeptes de ski de compétition et ils veulent voir de bonnes courses. »

Ça ne devrait pas être trop différent à Tremblant.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Justine Lamontagne à l’entraînement à Saint-Sauveur cette semaine

Surprenant début de saison pour Lamontagne

Si Justine Lamontagne dispute les deux slaloms géants comme prévu, samedi et dimanche, elle sera la skieuse canadienne avec le plus de départs en Coupe du monde depuis le commencement de la saison. « C’est assez surprenant ! a réagi la jeune femme de 21 ans. Mon mois de novembre était vide, je n’avais qu’un camp d’entraînement. Ça a quand même changé mes plans. » Appelée à la dernière minute, l’athlète de Saint-Ferréol-les-Neiges a eu trois jours pour faire ses valises et voyager du Montana, où elle étudie, à la Finlande, pour prendre part à deux slaloms, son baptême du feu sur le Cirque blanc. Elle a remis ça dimanche pour un autre slalom à Levi. Elle ne cache pas que côtoyer les grandes vedettes qu’elle suivait à la télé a demandé une petite adaptation. « Un peu, quand même. Après ça, il faut aussi te remettre dans ta bulle, faire tes propres affaires et ne pas te laisser affecter par ce qui se passe à l’extérieur. »