(Mont-Tremblant) Marcel Bourdon a vécu ce que tout parent redoute lors de l’initiation d’un bout de chou au ski alpin : ce moment où l’enfant accélère un peu trop, plus ou moins maître de son allure, sur cette pente qui ne paraissait pourtant pas si à pic…

Valérie Grenier avait 3 ou 4 ans et son grand-père avait reçu la mission de la ramener au condo familial au bord des pistes à Mont-Tremblant. Dans un mur, elle s’est mise à faire la culbute.

« Je me suis dit : “Pauvre petite, qu’est-ce que j’ai fait là, j’ai pris une piste bien trop difficile pour elle ! Elle va se mettre à pleurer !” », a relaté M. Bourdon, 84 ans, au téléphone.

Chaque fois, Valérie se relevait et repartait de plus belle, basculant au virage suivant… Après quelques pirouettes de sa petite-fille, M. Bourdon s’est approché pour s’enquérir de son état, persuadé de l’avoir découragée à jamais. « Elle me regarde en plein dans les yeux et elle me dit [il change sa voix] : “Ça fait rien, grand-papa, c’est pas grave si je fais la culbute !” Pour montrer comment c’est une battante… »

Vingt-cinq ans plus tard, Valérie Grenier skiera pour la première fois devant son grand-père lors d’une Coupe du monde, ce samedi et dimanche, à Tremblant, la station où elle a découvert le sport à l’âge de 2 ans. Septième mondiale en slalom géant, elle sera l’une des favorites avec l’Américaine Mikaela Shiffrin, la meilleure skieuse de l’histoire, qui a fait rougir sa collègue canadienne en la couvrant de compliments, vendredi après-midi, dans le cadre de la conférence de presse d’ouverture de l’évènement.

Trois jours plus tôt, en entrevue, la native de Saint-Isidore avait raconté la même anecdote de la culbute, qu’elle a souvent entendue. « Il n’arrête pas de raconter cette histoire, c’est tellement cute ! Apparemment, j’étais tough quand j’étais plus jeune. Selon mes parents, j’aimais tout le temps dire : “Non, je suis capable !” »

De l’entêtement, elle a dû en faire preuve afin de surmonter deux importantes opérations aux chevilles, pour soigner des douleurs débilitantes, et une quadruple fracture à une jambe subie lors d’une chute à l’entraînement aux Championnats du monde de 2019 en Suède.

Le 7 janvier dernier, elle a décroché son premier podium en Coupe du monde, une victoire en slalom géant en Slovénie que Shiffrin n’a pas oubliée. Un mois plus tard, elle a gagné la médaille de bronze à la compétition parallèle par équipes des Mondiaux de Méribel. Elle a terminé l’hiver avec un deuxième podium et le septième rang au classement cumulatif de sa discipline, un sommet personnel.

PHOTO PIERRE TEYSSOT, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Valérie Grenier a remporté la première victoire de sa carrière en Coupe du monde le 7 janvier dernier.

« Deux bouts de planche et des straps de cuir »

Élevé dans les années 1940 dans une ferme de Saint-Isidore, dans l’est de l’Ontario, Marcel Bourdon, le grand-père maternel de Valérie, s’intéressait au ski alpin, sans qu’il sache pourquoi.

« À un moment donné, je me suis fait une paire de skis avec deux bouts de planche et des straps de cuir que j’ai trouvés dans le hangar. J’avais arrondi les bouts un peu. Je faisais du ski comme ça dans la neige, en avant de la porte. Quand ils ont vu ça, mes parents m’ont offert une paire de skis qui avaient de l’allure à Noël. Ça a commencé comme ça. »

Marcel Bourdon s’est véritablement mis au ski après son mariage avec Louise St-Onge. Le couple de Franco-Ontariens a eu sept enfants, un garçon et six filles, dont Nathalie, la mère de Valérie.

Les enfants ont grandi et on partait faire du ski les fins de semaine, d’abord à Pine Hill, près de Brownsburg, en haut de Lachute. Après ça, on est montés une couple de fois au Mont-Sainte-Anne. On louait une chambre et on passait la fin de semaine.

Marcel Bourdon, grand-père maternel de Valérie Grenier

Deux ans après la naissance de Valérie, les Bourdon ont acheté un condo de deux chambres à Mont-Tremblant. « Il y avait de la place pour tout le monde, ma femme était très recevante », a indiqué M. Bourdon.

« Mes parents allaient passer chaque fin de semaine chez eux, reprend Valérie. On skiait toute la famille ensemble. Les cousins, les cousines. On restait tous dans le condo. C’est petit, mais on couchait par terre, peu importe. On avait du fun ! C’est vraiment grâce à eux que j’ai pu commencer le ski. Par la suite, mes parents ont acheté un condo, qu’ils possèdent toujours. »

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE DE VALÉRIE GRENIER

Valérie Grenier aux Jeux du Québec, en 2011

Très compétitive, la jeune athlète a gravi les échelons à la vitesse de l’éclair, disputant sa première Coupe du monde à Lake Louise à l’âge de 18 ans, en 2014. Treizième d’un super-G à Saint-Moritz un mois plus tard, elle a participé à ses premiers Mondiaux seniors avant de remporter le bronze en géant à l’évènement junior équivalent. Aux Mondiaux juniors de 2016, Grenier a gagné l’or en descente et l’argent en super-G.

Ses grands-parents devaient venir la voir aux Jeux olympiques de PyeongChang, en Corée du Sud, en 2018. Les billets étaient achetés, mais à leur retour de Floride au printemps 2017, Mme Bourdon a subi un ennui de santé qui l’a laissée paralysée des deux jambes. Le voyage a donc été annulé.

Occupé à prendre soin de sa femme, confinée à un fauteuil roulant, M. Bourdon a arrêté de skier. L’état de Mme Bourdon s’est détérioré dans les années suivantes. Elle est morte l’été dernier.

On est tous vraiment tristes qu’elle soit partie, mais elle était tellement en douleur qu’il y avait une forme de soulagement, d’une certaine façon. Mais elle aurait tellement aimé être ici.

Valérie Grenier

Une trentaine de membres de sa famille seront quand même là pour l’encourager. Pour la première fois depuis la paralysie de sa femme, M. Bourdon a remis les skis au début de l’hiver. « Je me suis essayé, mais je me suis aperçu que je n’étais pas si en forme que ça ! Ça ne s’est pas trop mal passé, mais il faut que je fasse plus d’exercice. »

Ses vœux pour Valérie en vue de la Coupe du monde de Tremblant ? « J’espère qu’elle sera chanceuse comme Gilles Villeneuve, le coureur automobile. Il avait gagné le premier Grand Prix dans son patelin à Montréal [en 1978]. Je souhaite la même chose à Valérie. C’est une bonne petite fille. »

Cette « bonne petite-fille » sera la deuxième à s’élancer ce samedi sur la piste Flying Mile pour la première manche du slalom géant. La Suissesse Lara Gut-Behrami, vainqueure des deux premiers géants de la saison, a hérité du dossard 1. Troisième, Shiffrin bondira du portillon juste après Grenier. Le départ sera donné à 11 h. Pas question d’être en retard.