L’entrevue se déroulait à l’heure de l’apéro, Antoine Cyr s’était donc versé un verre de bière.

« À quand remontait ton dernier ?

— Probablement en octobre. En saison, c’est rare que je boive de l’alcool. »

Trois jours après la fin du Tour de ski, le fondeur de 25 ans pouvait bien se le permettre. Après deux journées de congé, dont il a profité pour visiter Venise avec ses parents, il a doucement repris l’entraînement à Seefeld, bucolique station de sports d’hiver non loin d’Innsbruck, en Autriche.

C’est une des bonnes places pour s’entraîner parce qu’il y a tout le temps de la neige. Sinon, ils ont un très beau réseau de neige artificielle.

Antoine Cyr

Au retour d’une sortie avec ses parents, avides fondeurs eux-mêmes, Antoine Cyr était heureux de décompresser après un début de saison « super intense » et un Tour de ski qui l’a été tout autant, avec ses sept étapes réparties sur neuf jours et dans deux pays, l’Italie et la Suisse. Au surplus, sa dernière phase d’entraînement a été particulièrement stressante, alors qu’il était terrassé par une grippe. Il a passé toutes les Fêtes isolé de ses coéquipiers, dans un appartement à Davos. À la suite d’une embellie attribuable à un antiviral, il a rechuté après cinq journées d’entraînement. Pendant un moment, il a craint de devoir rater le Tour, son principal objectif de la saison.

« Quand je suis retombé malade, je me suis dit : “Ayoye, je n’ai plus assez de temps pour arriver au Tour de ski prêt comme je le voulais.” J’étais super content de seulement me présenter sur la ligne de départ en santé à Toblach [pour la première étape]. La préparation a été un peu en montagnes russes, mais au bout du compte, ça a quand même bien été. »

Seizième du cumulatif à son premier essai un an plus tôt, Cyr s’est surpris en concluant l’épreuve par étapes au 12e rang, dimanche, dans le Val di Fiemme. Après un début de course offensif, il s’est vaillamment accroché dans la fameuse montée de l’Alpe Cermis, une piste de ski alpin favorable aux poids plumes comme le vainqueur de l’étape, le Français Jules Lapierre.

PHOTO GIAN EHRENZELLER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Antoine Cyr (24), le 4 janvier dernier, lors du Tour de ski à Davos, en Suisse

« C’est vraiment une étape pour les grimpeurs, a-t-il noté. J’ai plus le profil d’un skieur puissant, avec un assez gros gabarit. »

Spécialiste du classique, le Québécois a réussi le 14e chrono de cette étape ultime disputée en style libre. En 2023, il avait fini 36e. Cette excellente performance, qu’il attribue surtout à du travail spécifique en ski à roulettes durant l’intersaison, lui a ouvert les yeux.

« Je m’étais toujours dit que je ne pourrais jamais jouer le général de ma vie au Tour de ski. Je suis en train de penser que je serai peut-être capable de viser le top 5 un jour. C’est super encourageant. »

« Tactique et hyper physique »

Installé à la 19e place à mi-chemin du Tour, le natif de Gatineau s’est particulièrement distingué à la cinquième étape, une poursuite de 20 km classique à Davos, où il s’est classé septième, ce qui l’a fait remonter au 10e échelon au cumulatif.

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Le fondeur québécois Antoine Cyr (98) a terminé le Tour de ski en 12place, dimanche, dans le Val di Fiemme.

Les chiffres sont une chose, mais sa façon de prendre la course à bras-le-corps a fait forte impression.

Vingt-quatrième à s’élancer, 68 secondes après le premier, il a été le principal artisan de la chasse qui a permis au peloton de revenir sur le premier groupe de poursuivants emmené par le Norvégien Harald Østberg Amundsen, vainqueur du Tour et meneur du classement de la Coupe du monde. Cyr a également été le dernier à tenter de refermer l’écart quand Amundsen et deux compatriotes se sont détachés avec cinq kilomètres à faire.

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Le fondeur norvégien Harald Østberg Amundsen célébrant sa victoire au Tour de ski

« Ce n’est pas mon meilleur résultat, mais c’est une de mes meilleures courses sur le circuit de la Coupe du monde, a convenu l’athlète de 25 ans. J’ai souvent été aux avant-postes. Quand les trois Norvégiens sont partis, j’ai regardé un peu en arrière pour voir si quelqu’un était capable de m’aider, mais personne ne voulait. […] C’était une course tactique, mais hyper physique en même temps. C’était le fun et je suis fier d’avoir eu la force pour être là en avant. »

Le surlendemain, le représentant du club Skinouk a perdu une trentaine de secondes au général après sa 41e place au 15 km classique départ de groupe. Avec son coéquipier Olivier Léveillé (45e au cumulatif final), il avait pourtant amorcé cette sixième étape avec aplomb. Une chute et un bâton cassé ont cependant freiné son élan. Présentée sous une forte tempête de neige à une température oscillant autour du point de congélation, l’épreuve a également été un casse-tête pour les techniciens.

C’était des conditions extrêmement difficiles pour toutes les équipes, mais c’est surtout la chute et le bris d’équipement qui ne m’ont pas aidé.

Antoine Cyr

L’an dernier, Antoine Cyr avait fini quatrième et sixième sur deux étapes. Il n’a pas surpassé ces sommets personnels comme il l’espérait, mais sa constance lui permet d’affirmer que son Tour 2024 représente « une grosse amélioration ».

« Depuis le début de l’année, il est régulièrement parmi les 25 premiers, a renchéri son entraîneur Louis Bouchard. Maintenant, on peut dire que s’il est au-delà de la trentième place, c’est une mauvaise course. Le top 20, c’est sa moyenne, et le top 10, une très bonne course. »

À la recherche de la « bonne journée »

À sa deuxième saison complète en Coupe du monde, Cyr occupe le 15e rang du classement général, ce qui n’était pas forcément un objectif avant le début de la campagne. L’hiver dernier, il avait conclu à la 24e place.

« Le gros avantage est que je suis assez polyvalent. Je suis capable de faire des sprints et des courses de distance. Ce serait le fun d’être aussi bien positionné à la fin de la saison. »

PHOTO FOURNIE PAR NORDIC FOCUS

Le fondeur québécois Antoine Cyr (8)

« Comme n’importe quel athlète de haut niveau », il rêve de podiums, à l’instar de son prédécesseur Alex Harvey, qu’il a eu la chance de côtoyer à ses débuts au Centre national d’entraînement Pierre-Harvey. D’une certaine façon, les succès du quintuple médaillé aux Championnats du monde de 2009 à 2019 font ombrage à celui qui connaît une amorce de carrière enviable.

« En ski de fond, les étoiles doivent être alignées une journée : bon équipement, bonne forme physique, bonne tactique, a rappelé Cyr. Alex était capable d’avoir cette journée-là un peu plus souvent dans sa carrière. Je ne suis pas nécessairement au niveau qu’il avait à ses meilleures années, mais il y a du progrès et c’est encourageant. J’ai 25 ans et j’ai l’impression que ça continue à monter. »

Les épreuves collectives le branchent particulièrement, tant le sprint par équipes que le relais 4 X 10 km. Avec Graham Ritchie, il a terminé quatrième au sprint aux Championnats du monde de Planica, en Slovénie, l’an dernier. Le même duo s’était classé cinquième un an plus tôt aux Jeux olympiques de Pékin. La saison de l’Ontarien de 25 ans s’est cependant arrêtée de manière brutale, le mois dernier, en raison d’une double fracture de la jambe sur un bête accident de course à pied. « Ça a été un grand coup au moral pour l’équipe parce qu’on passe cinq mois sur la route ensemble et il est aussi l’un de nos meilleurs skieurs. »

Comme Antoine Cyr le répète souvent, son véritable souhait est d’offrir « la meilleure version de [lui]-même », avec l’espoir de grimper sur la boîte un jour.

On fait 900 heures d’entraînement par année, ce n’est pas pour rien ! J’aimerais ça qu’à un moment donné, ça aboutisse.

Antoine Cyr

Après des Coupes du monde à Oberhof, en Allemagne (19-21 janvier), et à Goms, en Suisse (26-28 janvier), Cyr veut être à son sommet pour la manche de Canmore, en Alberta, en février. Il s’agira d’un retour du cirque blanc au Canada après les finales de Québec en 2019, quand Cyr avait vécu son baptême en même temps que la retraite d’Alex Harvey.

« C’est sûr que je préférerais que ce soit sur les Plaines, mais il reste que Canmore, c’est comme la maison. Je suis content de revenir au Canada et ce sera l’un de mes grands objectifs. »

Assez parlé, Antoine Cyr était attendu par ses parents pour le souper. Le fondeur a d’ailleurs fait pivoter le téléphone pour les présenter, eux qui patientaient devant une salade à l’autre extrémité de la pièce. Sauf erreur, une coupe de rouge lui était destinée.

Avis au CF Montréal

Si les joueurs du CF Montréal ont le blues durant le camp d’entraînement et les premières semaines de la saison qu’ils devront passer en majorité aux États-Unis, ils pourront avoir une pensée pour Antoine Cyr : parti le 1er novembre pour l’Europe, il ne rentrera à la maison à Saint-Ferréol-les-Neiges qu’au début d’avril. « Je serai cinq mois dans mes valises, a-t-il calculé. On change d’endroit pratiquement chaque semaine. Parfois, on est chanceux et on est logés dans de petits appartements. Sinon, on vit surtout à l’hôtel et dans des pensions. »