(Saint-Côme) « Le plaisir, c’est la priorité », évoque avec évidence Maia Schwinghammer. Ces mots prennent toutefois un sens nouveau pour la skieuse de 22 ans, quelques mois à peine après qu’elle a laissé une partie d’elle-même dans l’Atlantique. Littéralement.

L’entretien prévu avec la native de Saskatoon devait porter sur son début de saison, ses plus récentes réussites et ses appréhensions à quelques heures de l’entame de la Coupe du monde de Val Saint-Côme.

Or, malgré son grand sourire d’un blanc identique à celui de la piste enneigée et lustrée par les éclats de soleil d’une journée parfaite de janvier, difficile de faire abstraction du réflexe de la skieuse de cacher sa main droite sous sa main gauche.

Rapidement, la discussion s’est axée autour d’une journée dont Schwinghammer se souvient trop bien, car chaque jour, elle est confrontée à un souvenir douloureux.

Plus jamais la skieuse ne prendra les superstitions à la légère. Le vendredi 13 octobre dernier, Schwinghammer surfait dans l’océan. Avec son amoureux Julien Viel, aussi membre de l’équipe nationale de ski acrobatique, elle profitait d’un peu de répit entre la fin d’un camp d’entraînement au Chili et le début de la saison en Finlande. Ces vacances étaient idylliques. Jusqu’à ce que la touriste tombe à l’eau.

« J’ai pris le dos de la vague et je suis tombée. Lorsque ma tête est sortie de l’eau, je ne sentais plus rien. J’ai mis ma main sur la planche et il me manquait un bout de doigt », décrit-elle, au deuxième étage du chalet principal du site au terme d’une séance d’entraînement sur neige.

Presque les deux tiers de son petit doigt avaient disparu dans l’eau saline. Pourtant, Schwinghammer n’est pas tombée violemment et sa main n’a pas frappé non plus l’aileron de sa planche ou un rebord tranchant de son matériel.

C’est encore un mystère. Est-ce qu’il y avait quelque chose dans l’eau, un poisson ? On ne sait vraiment pas.

Maia Schwinghammer, à propos de la disparition d’une partie de son petit doigt

Lorsque son doigt a été coupé, elle n’a rien senti. « Et je l’ai vu. Et c’est là que j’ai commencé à le sentir. »

Son partenaire l’a aidée à remonter sur la planche et l’a traînée jusqu’au rivage. « C’était chaotique, mais ça fait une bonne histoire », se souvient-elle à propos de la scène.

« Je tenais ma main en l’air pour réduire le saignement et pour ne pas saigner en plein milieu de l’océan. On ne sait jamais… »

Une ambulance l’a conduite à une clinique, où elle s’est immédiatement fait opérer. « On a dû couper l’os du doigt pour l’enlever de l’articulation, ce qui était assez intense, surtout que j’étais éveillée et que je voyais tout. C’était assez traumatisant. »

Sans doute que dans sa carrière de skieuse, Schwinghammer a vu des jambes se casser ou des genoux se tordre, ce qui lui permet de croire que « ce n’est pas une blessure gigantesque ». Reste que les nerfs de sa main ont été endommagés et que les charges lourdes ou le froid des montagnes la fragilisent de manière considérable.

Néanmoins, ça ne l’empêche pas de vivre les meilleurs moments de sa carrière.

Un premier podium

Avec une mère de Tremblant et un copain de Québec, Schwinghammer comprend parfaitement la langue de Vigneault. Elle la parle aussi, mais pas suffisamment pour soutenir une entrevue complète. Les questions ont donc été posées en français et ses réponses étaient en franglais.

C’est toutefois en ski qu’elle s’exprime le mieux. Schwinghammer est une indéfectible passionnée de son sport, sous toutes ses déclinaisons. Pendant la rencontre, son regard oscillait vers la piste, où ses homologues s’exerçaient. Et elle les regardait comme un enfant admire ses idoles. Alors que Schwinghammer était sans doute meilleure que la majorité des athlètes qui s’exerçaient à ce moment.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Maia Schwinghammer

La Canadienne est 10e au classement mondial, propulsée par son premier podium en carrière, à sa dernière course, deux jours avant Noël en Géorgie.

« Ça m’a prouvé que je peux encore faire du ski et que je mérite ma place », précise-t-elle.

Pourtant, rien dans sa préparation ne la prédestinait à décrocher sa médaille d’argent à l’épreuve de parallèle.

« J’avais oublié mon dossard. J’ai dû retourner à l’hôtel, j’ai glissé et je suis tombée sur le béton à cause de mes bottes. J’avais oublié mon sac à dos, j’étais en retard pour l’inspection. C’était le chaos. »

Mais comme elle se sent véritablement chez soi au sommet d’une montagne, « je n’avais plus aucun stress, je sentais que j’étais très calme, concentrée ».

Grâce à des descentes rapides, intenses et plus dynamiques que précises, la meilleure skieuse au pays s’est retrouvée en finale contre Jakara Anthony, meneuse au classement général et championne olympique en titre.

« Je pense qu’étant donné que je savais que j’allais être sur le podium, j’étais vraiment trop excitée. J’imaginais ma mère qui regardait de la maison. Elle devait capoter ! Je suis sortie de ma zone de confort et j’ai commis une grosse erreur. »

Cette performance et, surtout, ce résultat la confortent dans son cheminement. Malgré deux tops 10 à Ruka et Alpe d’Huez plus tôt cette saison, « je n’étais pas nécessairement toujours dans le meilleur état d’esprit avant de skier. J’ai finalement réussi à briser cette tendance », souligne-t-elle en replaçant sa tuque.

Retrouver la motivation

À 22 ans, Schwinghammer se retrouve dans une position extrêmement particulière. À ce stade de son développement, elle a encore tout à faire et tout à apprendre. En même temps, elle est la skieuse la plus performante de l’équipe nationale.

Elle fait donc figure de modèle et de référence auprès de ses coéquipières, alors qu’elle n’en est qu’à ses débuts.

Je veux être un exemple, mais ce n’est pas parce que j’ai fait un podium que le boulot est fini, au contraire. L’idée n’est pas d’être parfaite, mais de m’en rapprocher et de me demander à chaque nouvelle étape franchie ce que je peux faire pour être meilleure.

Maia Schwinghammer

La skieuse a d’ailleurs fait un important travail d’introspection avant d’arriver à une telle réflexion.

Si son sourire est sans doute son trait de personnalité le plus distinctif, celui-ci s’est effacé quelques instants.

C’était autour de 2020 et 2021, en pleine pandémie et pendant les qualifications olympiques. « Je me suis remise en question et mes résultats en ont souffert », avoue-t-elle.

Le fait d’être isolée, loin des siens et constamment sous pression, c’en était trop pour elle au tournant de la vingtaine. Elle a finalement échoué dans sa qualification olympique, « son but ultime ».

Depuis, « je suis revenue à la base et je me suis rappelé pourquoi je skiais. Et depuis, ça va bien ».

Tellement bien qu’elle a retrouvé sa vraie nature. Parce que malgré tout, Maia Schwinghammer sourit.