Laurent Dubreuil a fait sienne une sage parole de Tiger Woods : « Je ne m’inscris pas dans un tournoi pour perdre. »

Même si le sprint par équipes, une épreuve absente du programme olympique, ne fait pas partie de ses priorités, le patineur de vitesse de Lévis avait envie de mettre toute la gomme avec ses copains Antoine Gélinas-Beaulieu et Anders Johnson, jeudi après-midi, en conclusion de la première journée des Championnats du monde de Calgary.

Encore plus quand les puissants Néerlandais ont fait tomber le record mondial qui appartenait aux Canadiens depuis 2017 dès la première paire.

En dépit d’une préparation minimale, d’une nouvelle technique jamais mise à l’essai et d’un alignement qui disputait sa première course ensemble, le trio canadien a réalisé un tour de force dans le départ suivant, franchissant les trois tours en 1 min 17,173 s pour reprendre leur dû… par deux millièmes de seconde !

En apercevant le voyant vert s’allumer quand il a traversé la ligne, Gélinas-Beaulieu a poussé un hurlement d’une rare puissance qui a probablement fait trembler les colonnes du vieil Ovale olympique de 1988.

« Je pense que ce que j’exprimais, c’est : “C’est ben le fun, ce sport-là !” », a raconté l’athlète de Sherbrooke en retournant à l’hôtel en navette. « L’émotion venait surtout du record du monde. Ça marque l’histoire, peu importe combien de temps ça tient. »

Les quatre autres pays en lice n’ont pas réussi à s’approcher du chrono des meneurs durant ce sprint par équipes serré comme jamais. La Norvège de Lorentzen a cueilli le bronze en 1 min 17,31 s, soit 14 centièmes de plus que les gagnants, reproduisant ainsi le même podium que l’an dernier à Heerenveen. La Chine a suivi un centième plus loin.

Après une saison de misère, le Canada a donc décroché un deuxième titre mondial consécutif. En l’absence du Montréalais Christopher Fiola, blessé, la composition du trio a varié au gré des essais et des disponibilités des patineurs. Après une réunion avec les entraîneurs, il a été déterminé que la recrue Johnson, Dubreuil et Gélinas-Beaulieu formaient la combinaison la plus prometteuse… même s’ils n’avaient pas disputé une seule course ensemble avant jeudi.

« Antoine et moi, on a grandi en faisant du courte piste, lui plus que moi », a noté Dubreuil, unique membre du trio qui était là en 2017. « On a une agilité et une facilité à patiner ensemble. Je ne suis pas stressé quand Antoine est en arrière. C’est comme rassurant. Je sais qu’il va faire la job. »

Petite frousse

Les deux derniers relayeurs ont quand même eu une petite frousse quand Dubreuil a perdu l’équilibre à la sortie de son dernier virage, au moment où il devait tendre la main à Gélinas-Beaulieu. Ils ont patienté un peu plus longtemps que prévu avant que le premier mette le second en orbite avec une tirade à l’amorce de l’ultime boucle. Pas mal pour une toute première exécution de cette nouvelle technique en course.

J’ai dû ne pas paniquer et attendre que Laurent retrouve son équilibre. Il a tellement de puissance dans cette tirade. On va dans une direction à 60 km/h et il faut un peu changer de trajectoire. C’est très dur pour les muscles centraux. Finalement, cet échange a été excellent. Ça change vraiment la game.

Antoine Gélinas-Beaulieu

« Le gars est déjà le plus vite au monde, et il te donne la main. Ce feeling-là, je ne l’avais jamais vécu en course. C’est fou ! »

Johnson, un Albertain de 26 ans, a aussi lancé « un petit défi » à Gélinas-Beaulieu en sortant des blocs un peu plus vite que pendant les répétitions. Il a dû serrer les dents pour ne pas perdre la trace des fesses de Dubreuil dans le premier virage, ce qui aurait été rédhibitoire pour la suite de la course. « Ça a comme réveillé en moi un instinct de survie ! »

Après l’épreuve, Johnson a dit à ses deux partenaires qu’ils lui avaient fait vivre le plus beau moment de sa carrière. Gélinas-Beaulieu lui a répondu que c’était réciproque.

Très heureux lui aussi, Dubreuil a néanmoins rappelé que sa véritable mission à Calgary était le 500 m de ce vendredi. Le vice-champion mondial a souligné que l’absence de Jordan Stolz, son principal rival, a probablement coûté un podium, sinon la victoire, aux Américains, sixièmes à 0,23 s de l’or.

Le moral est bon et ça prouve également que les jambes sont bonnes, parce que je patinais vite et bien. Après ça, tout est à refaire et c’est une course différente.

Laurent Dubreuil

Maltais se contente d’une 10place

Un peu plus tôt, Carolina Hiller, Maddison Pearman et Ivanie Blondin ont permis au Canada de réaliser un deuxième doublé consécutif au sprint par équipes. Le Canada a respectivement devancé les États-Unis (+ 0,90 s) et la Pologne (+ 1,49 s).

Au 3000 mètres, Valérie Maltais n’a pas été en mesure de concrétiser une saison magnifique, échouant à la 10place, son pire résultat en 2023-2024. La patineuse de La Baie admet avoir perdu sa concentration après le départ canon de la future médaillée d’or, la Néerlandaise Irene Schouten.

PHOTO RICK BOWMER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Valérie Maltais

« Ce qui me déçoit et me rend émotive, c’est qu’on dirait que je n’ai jamais été dans mon timing, a décrit Maltais. Je suis sortie de moi tout de suite quand elle est partie, plus rapidement que je croyais. Ses temps au tour étaient pourtant faisables. C’est exactement ces temps-là que je faisais dans ma préparation de course [mercredi]. Je les patinais vraiment mieux. J’étais mieux appuyée dans la glace. C’est vraiment l’exécution qui m’a manqué. »

Après ce mauvais départ, l’athlète de 33 ans s’est sentie « un peu le cœur gros », incapable de bien respirer. « J’ai fini la course et j’avais de la misère à lever la tête et à apprécier tout le monde et les écoles venus nous encourager. »

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Isabelle Weidemann

Maltais a été à la fois très heureuse et « un peu décontenancée » par le chrono rapide enregistré par son amie Isabelle Weidemann, médaillée d’argent. À l’inverse de la Québécoise, la triple médaillée olympique d’Ottawa a vécu une saison pénible, sans podium avant celui de jeudi. L’increvable Tchèque Martina Sáblíková a gagné le bronze, la 25médaille de sa carrière.

Très déçue, Valérie Maltais pourra se reprendre dès ce vendredi à la poursuite par équipes avec Weidemann et Blondin.