Il n’y a pas de gêne à finir deuxième derrière Usain Bolt ou Michael Phelps, aime bien répéter Laurent Dubreuil.

Le patineur de vitesse québécois s’est encore résolu à jouer le rôle ingrat de Yohan Blake ou de Ryan Lochte, se classant deuxième du 500 m aux Championnats du monde de Calgary, vendredi après-midi, même s’il a réussi l’une de ses meilleures courses à vie, peut-être la meilleure.

Comme il y a deux semaines à la Coupe du monde de Québec, l’Américain Jordan Stolz, qui s’annonce comme le prochain Eric Heiden, s’est dressé sur son chemin, réalisant une autre performance ahurissante pour filer vers l’or avec le deuxième chrono de l’histoire. Décoiffant.

« En aucune façon, ça feele comme une défaite », a assuré Laurent Dubreuil, qui a en effet célébré comme s’il venait de l’emporter – ou presque – avec son entraîneur Gregor Jelonek.

« Je ne suis pas assez bon pour être déçu quand je ne gagne pas, surtout pas quand le gagnant fait le deuxième temps […] de l’histoire dans une journée où la glace n’est vraiment pas vite. »

PHOTO JEFF MCINTOSH, LA PRESSE CANADIENNE

Laurent Dubreuil a terminé deuxième derrière l’Américain Jordan Stolz. Le Polonais Damian Żurek a complété le podium.

Déjà l’an dernier, aux Mondiaux d’Heerenveen, Dubreuil avait été un témoin privilégié de l’ascension irrésistible de Stolz. À seulement 18 ans, le prodige du Wisconsin était devenu le plus jeune champion de l’histoire, balayant trois épreuves, dont le 500 m, devant le Canadien, tenant du titre.

Je ne suis pas moins content aujourd’hui. Ce sont deux des meilleurs moments de ma carrière. J’ai la sagesse et l’expérience pour le réaliser. Au bout du compte, je fais de mon mieux, et c’est ce que j’ai fait aujourd’hui.

Laurent Dubreuil

Comme au deuxième 500 m de Québec, le 4 février, Dubreuil et Stolz formaient la dernière paire de la compétition. Le premier à l’intérieur, le second à l’extérieur, de quoi favoriser l’Américain qui aurait théoriquement le Canadien en point de mire dans la ligne droite opposée.

« C’est littéralement la pire paire que je pouvais avoir », a avoué Dubreuil au sujet du tirage au sort de la veille, ajoutant que quatre autres rivaux étaient probablement « soulagés » de ne pas se retrouver dans sa position.

« C’est comme un couteau à double tranchant : ça peut te crinquer, mais ça peut te faire peur aussi. Puis quand j’ai vu les paires [jeudi soir], ça m’a fait peur, je ne mentirai pas ! »

Le vétéran de 31 ans a puisé dans son bagage d’expérience pour conserver son sang-froid, se rappelant ses duels avec le Russe Pavel Kulizhnikov, un autre « mutant », toujours détenteur du record mondial de 33,61 s, qui l’a souvent relégué au second plan.

Plus tôt dans la semaine, il avait également prévenu son coach et son père qu’il garderait son calme si d’aventure Stolz s’avisait de franchir les 100 premiers mètres en 9,4 s, ce qu’il n’avait jamais réussi jusque-là.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jordan Stolz

« S’il le fait, je vais être prêt, leur a-t-il promis. Je vais faire ma course, je ne me laisserai pas déconcentrer. Parce que c’est déconcentrant d’être avec un aussi bon patineur, c’est comme le meilleur de l’histoire. »

De fait, Stolz a décollé en 9,45 s, soit l’exact chrono de son vis-à-vis, qui réussissait lui aussi une marque personnelle sur cette phase appelée l’ouverture. Dans le virage, Dubreuil a entendu l’annonceur indiquer que les deux favoris avaient enregistré ce chrono. « Je n’ai pas paniqué, je suis resté concentré et j’ai exécuté mon plan de course, même si je savais qu’il pouvait faire le record du monde. »

Le favori a accompli un excellent tour (24,4 s), mais son adversaire a encore été plus véloce (24,2 s). Dans le deuxième virage, qu’il a pris dans le corridor, Stolz n’a eu aucun mal à conserver son style, contrairement à quelques rivaux précédents qui ont perdu l’équilibre en raison de la force centrifuge. À la sortie, sa victoire ne faisait plus de doute.

Son chrono : 33,69 s, à 8 centièmes de la marque mondiale de Kulizhnikov, établie en 2019 à l’anneau de Salt Lake City, la plus rapide au monde. Dans la foulée, il a également battu le record de piste de Dubreuil (33,77 s), réalisé en 2021.

Le natif de Lévis ne s’est pas démonté, arrêtant le temps à 33,95 s, soit le deuxième de sa carrière. Le Polonais Damian Żurek, surprenant médaillé de bronze, s’est retrouvé loin derrière avec 34,11 s.

Après un tour de décélération, patineurs et coachs canadiens et américains se sont congratulés, dans un beau moment de réjouissance contenue. Dubreuil comme Stolz ne sont pas les plus démonstratifs.

Je me répète, mais finir deuxième derrière Michael Phelps ou Usain Bolt, tu ne peux pas sentir que tu as perdu. Enlève un athlète exceptionnel et tu as gagné.

Laurent Dubreuil

Ledit athlète exceptionnel est d’ailleurs passé devant Dubreuil, qui s’était assis dans le corridor de l’hôtel pour donner des entrevues aux médias québécois quelques heures après la course. Ils se retrouveront ce samedi au 1000 m, mais cette fois, Dubreuil sait qu’il n’a aucune chance de s’approcher de Stolz, même s’il est médaillé d’argent olympique.

Deux autres médailles pour le Canada

Plus tôt dans la journée, le Canada a ajouté deux médailles en poursuite par équipe, l’argent pour les femmes et le bronze pour les hommes.

Championnes mondiales et olympiques en titre, Valérie Maltais, Ivanie Blondin et Isabelle Weidemann n’ont rien pu faire pour rivaliser avec le temps supersonique de 2 min 51,20 s réalisé par les Néerlandaises Joy Beune, Irene Schouten et Marijke Groenewood dans la première paire, leur cédant 2,83 s à l’issue des six tours de piste. La constance des Canadiennes leur a cependant permis de résister au départ rapide des Japonaises Momoka Horikawa, Ayana Sato et Miho Takagi (+ 3,69 s), qui ont dû se contenter du bronze.

PHOTO JEFF MCINTOSH, LA PRESSE CANADIENNE

Isabelle Weidemann, Ivanie Blondin et Valérie Maltais

Pour la première fois, Blondin a interchangé de position avec Weidemann à l’arrière du train unifolié. « Notre exécution était [meilleure], mais on est conscientes qu’on a été plutôt prudentes en termes de vitesse et d’accélération », a analysé Maltais, ragaillardie par cette médaille d’argent après la déception de sa 10place de la veille au 3000 m.

On est en train de peaufiner notre stratégie et notre façon de pousser. On peut être plus efficaces. Mais c’est le fun parce qu’il reste encore deux ans à ce cycle olympique et on peut bâtir là-dessus pour rattraper les Hollandaises, comme on l’avait fait contre les Japonaises dans le cycle pour Pékin.

Valérie Maltais

Ce titre mondial des puissantes Néerlandaises est une belle revanche sur l’an dernier, alors qu’elles avaient été disqualifiées après avoir enregistré le meilleur chrono parce qu’une partie des chevilles de Beune étaient à l’air libre, ce qui contrevenait à un règlement.

Maltais peut maintenant se tourner vers le départ en groupe ce samedi, où elle figurera parmi les favorites avec Blondin.

Du côté masculin, Connor Howe, Antoine Gélinas-Beaulieu et Hayden Mayeur ont réussi un excellent départ et inscrit le meilleur chrono provisoire de 3 min 36,72 s dans la première paire. Leur temps a tenu lors des deux départs suivants, les Néerlandais et les Américains étant incapables de s’en approcher. Le trio canadien a glissé à la troisième place après les solides fins de course des Italiens Andrea Giovannini, Davide Ghiotto et Michele Malfatti, couronnés en 3 min 35,00 s, et des Norvégiens Sander Eitrem, Peder Kongshaug et Sverre Lunde Pedersen (+ 1,07 s), médaillés d’argent.

L’ajout de Mayeur, qui n’avait pas été retenu pour disputer les Coupes du monde, a donné un bel élan au trio canadien.

« On a eu une super exécution et notre timing était impeccable du début à la fin », a estimé Gélinas-Beaulieu, médaillé d’argent avec les mêmes partenaires l’an dernier.

« C’est le fun de voir qu’on est capables de répéter cette performance-là et que ce n’était pas juste un coup de chance la première fois. Pour moi, c’est énorme. C’est une distance olympique, il ne faut pas l’oublier. Ça arrive dans deux ans et on est sur une belle lancée. »

Gélinas-Beaulieu a ainsi remporté une deuxième médaille après l’or de la veille au sprint par équipes avec Dubreuil et Anders Johnson. Le Sherbrookois de 31 ans sera du départ en groupe ce samedi.