Le livre Alex Harvey : le prince - Parcours d’un champion, écrit par le collègue Simon Drouin, sera disponible en librairie ce mercredi. Le récit de 264 pages raconte les défis et les triomphes d’Alex, fils de Pierre Harvey, héros national sportif, qui est devenu, une course à la fois, le plus grand fondeur de l’histoire du pays. Voici deux extraits du livre.

Après une autre période des Fêtes loin des miens, j’ai entrepris mon 10e Tour de ski, l’un des points culminants de la saison, qui se déroulait en Italie, en Suisse et en Allemagne.

Après une contre-performance à la mi-parcours, j’ai tout plaqué pour rentrer à la maison. J’étais dans une forme exécrable selon mes standards. Drainé physiquement et mentalement. Ce retour impromptu n’était pas un geste banal : pour la première fois depuis 2010, j’avais interrompu un hiver en Europe pour retraverser l’Atlantique, avec les risques pour la santé qu’un tel transfert impose, dont un surcroît de fatigue, sans parler de la perturbation du cours normal de l’entraînement.


PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alex Harvey

Le spectre de « la saison de trop » m’a effleuré l’esprit. Je n’étais plus capable de pousser mon corps à performer au mieux. Je me demandais si je serais en mesure de revenir à mon sommet. Compte tenu de ce que j’avais déjà réussi dans ma vie, je ne me voyais pas me satisfaire d’une 17e place…

Avec le recul, j’avais surtout besoin de me ressourcer avant d’attaquer la dernière ligne droite de ma carrière. J’ai renoué avec le plaisir de skier au mont Sainte-Anne, dans mes pistes, mon terrain de jeu. Ça faisait des années que je n’avais pas eu cette chance en plein hiver.

Trois semaines plus tard, j’ai rejoint l’équipe pour une Coupe du monde en Suède. J’ai ensuite participé à mes sixièmes et derniers Championnats du monde à Seefeld, dans les Alpes autrichiennes. Avant leur entame, ma retraite à venir a été ébruitée dans un article du Journal de Québec. J’aurais préféré l’annoncer à la fin de la compétition à Québec.

Cette nouvelle a gonflé les attentes. Celles du public et les miennes. Et accentué la pression. En dépit de ma saison difficile, j’ai bien skié en Autriche, où j’ai fini sixième au skiathlon de 30 km, mon épreuve favorite. Il reste que je n’ai pas gagné de médaille à ces Mondiaux pour la première fois depuis mon baptême en 2009. Il me manquait ce surplus d’énergie, cette touche magique qui m’avait conduit à mes plus beaux succès. Je m’inquiétais de ne jamais pouvoir la retrouver.

Pendant ce temps, à Québec, les préparatifs des finales de la Coupe du monde allaient bon train sur les plaines d’Abraham. Aidé d’une armée de bénévoles, le producteur délégué Gestev, propriété de Québecor, mon commanditaire principal depuis huit ans, s’affairait à enneiger le site des compétitions. Je savais que les dirigeants de Gestev, mon concitoyen de Saint-Ferréol, Patrice Drouin, et sa collègue, Chantal Lachance, faisaient des pieds et des mains pour réussir un autre miracle et offrir un évènement spectaculaire au public. J’avais vraiment l’impression que tout le monde faisait ça pour moi. Que ce grand cirque était pratiquement érigé pour Alex Harvey.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Alex Harvey devant ses partisans au printemps 2019, sur les plaines d’Abraham, pour son dernier tour de piste.

En parallèle, je ne pouvais rater l’occasion de faire mon chant du cygne devant tous ceux qui m’accompagnaient depuis le début : ma famille, ma fiancée, mes amis, mes entraîneurs, mon agent, les techniciens, les personnels scientifique et médical, mes commanditaires, les organisateurs, les bénévoles. Bref, les miens. Je ne pouvais pas les laisser tomber. Je devais me montrer à la hauteur de leur soutien. Leur offrir un dernier cadeau.

« J’avais réussi ma sortie »

À moins de deux kilomètres de la ligne d’arrivée, on skiait en file indienne quand le Norvégien Didrik Tønseth a profité d’un petit mur pour prendre la fuite. Son compatriote Johannes Høsflot Klæbo, qui s’était rapidement relevé et repositionné après sa chute, a immédiatement réagi à gauche. J’étais derrière Alexander Bolshunov. Au moment où celui-ci a cassé un bâton, je me suis déporté dans les traces de droite pour suivre Tønseth. Deux autres rivaux m’ont imité. Nous n’étions plus que cinq pour nous disputer le podium.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

À sa dernière course, Alex Harvey s’est offert la médaille d’argent de la poursuite 15 km style libre sur les plaines d’Abraham, à Québec.

Au sprint, Klæbo, le meilleur finisseur de l’histoire, a fait honneur à sa réputation. Troisième dans l’ultime virage, je n’ai eu aucun mal à reprendre mon ami Tønseth avant la ligne.

Je me suis classé deuxième, mais c’est comme si j’avais gagné tellement le public était survolté !

J’ai plaqué mes mains sur mon visage et, contrairement à mon habitude, je me suis laissé choir dans la neige de l’aire d’arrivée. Couché sur le ventre, skis aux pieds, j’ai éclaté en sanglots. On m’a raconté que mon père est venu me toucher l’épaule, comme pour me réconforter. Je ne pouvais y croire. J’avais réussi ma sortie.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Couché sur le ventre, skis aux pieds, Alex Harvey se laisse choir dans la neige au fil d’arrivée, réconforté par son père, Pierre Harvey.

Klæbo m’a cédé sa place au centre pour la traditionnelle photo protocolaire. Je me suis remis à pleurer quand je suis tombé dans les bras de ma fiancée, Sophie. Je n’ai pas pu me retenir non plus avec mon agent, Denis, qui est plus un conseiller et un ami. J’ai reçu les félicitations de mes collègues des autres pays. Les techniciens de l’équipe m’ont ensuite porté en triomphe sur leurs épaules.

Torse nu, mes amis criaient mon prénom. Je n’ai jamais été aussi près de me sentir comme une vedette rock ! Sur le podium, Klæbo et Tønseth ont encouragé les spectateurs à continuer à manifester leur joie. Aux journalistes, Klæbo a déclaré que j’étais le véritable vainqueur de cette course. J’étais toujours à fleur de peau quand je suis arrivé à mon tour devant les micros. J’ai remercié mes partisans, mes farteurs et mes entraîneurs, à qui je voulais faire plaisir. Je croyais m’être redonné une contenance jusqu’à ce que je voie ma mère, Mireille, ma confidente, celle avec qui je communiquais après chaque compétition, ou presque. Ma sœur Sophie était là aussi. Les larmes ont encore coulé.

Alex Harvey : le prince – 
Parcours d’un champion

Alex Harvey : le prince –
Parcours d’un champion

Les Éditions de l’Homme

264 pages

Parution le 13 mars