N’en déplaise aux inconditionnels du Canadien, le Centre Bell n’a pas vibré très souvent cette saison. Les meilleurs couples de patineurs artistiques se sont chargés d’y remettre un peu d’âme lors de la première journée de compétition des Championnats du monde de Montréal, mercredi après-midi.

Le public venait de se rasseoir après une ovation debout pour les Japonais Riku Miura et Ryuchi Kihara, qui ont rappelé avec une chorégraphie toute en finesse pourquoi ils étaient les tenants du titre.

Quelques minutes plus tard, la foule s’est relevée pour accueillir ses favoris, les Canadiens Deanna Stellato-Dudek et Maxime Deschamps, les prétendants, quatrièmes l’an dernier. Sur la musique et les paroles d’Oxygène, le succès de Diane Dufresne remanié par le Cirque du Soleil, le duo québécois a mis les quelque 5000 spectateurs dans sa petite poche.

À la conclusion de la spirale de la mort, une deuxième ovation debout, plus vibrante celle-là, a accompagné les salutations du couple local. Comme pour évacuer son trop-plein d’énergie, Stellato-Dudek s’est éloignée de son partenaire pour une petite boucle, se tapant dans les mains d’un geste presque rageur, avec une mimique que n’aurait pas reniée Martin St-Louis à l’époque où il était joueur.

« On a choisi ce programme en hommage à Montréal, je suis très heureuse qu’on ait pu offrir une bonne performance au public », a dit la patineuse originaire de Chicago à sa sortie de la patinoire.

À 40 ans – et moins de cinq ans après un retour de retraite qui en a duré 16 –, l’ancienne vice-championne mondiale junior en simple n’a pas de temps à perdre et sait pourquoi elle patine.

N’empêche, le grand « O » dessiné par sa bouche dans la zone du « kiss and cry » témoignait de son étonnement à l’annonce des résultats. Les 77,48 points, un sommet personnel, ont permis à Stellato-Dudek et Deschamps de remporter le programme court – et une « petite » médaille d’or à la clé – avec une avance de près de quatre points sur Miura et Kihara (73,53).

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Maxime Deschamps et Deanna Stellato-Dudek ont obtenu une note de 77,48 pour leur programme court.

« Il est important de reconnaître que je suis beaucoup plus nerveuse pour cet évènement que je ne l’ai été pour d’autres », a néanmoins reconnu Stellato-Dudek.

C’est un championnat du monde à la maison et je connais beaucoup de personnes dans le public, incluant certaines qui ne m’ont jamais vue patiner. Je veux qu’elles pensent que je suis cool !

Deanna Stellato-Dudek

Pour être cool, elle l’a été, frôlant la perfection avec Deschamps dans l’enchaînement des sept éléments du programme court.

« C’est vraiment une concrétisation de toute l’année, a résumé l’athlète de Vaudreuil-Dorion. On a travaillé fort. Ça n’a pas toujours été parfait, mais chaque fois, on réussissait à atteindre nos objectifs. Aujourd’hui, on a réussi à tous les faire ensemble. »

Est-ce leur meilleure performance à vie ? « Dur à dire, mais assurément la plus émotive de ma carrière », a jugé Deschamps, 32 ans.

Médaillés de bronze l’an dernier, les Italiens Sara Conti et Niccolo Macii (72,88) ont clôturé cette épreuve inaugurale en s’installant en troisième place.

« Une avance de deux buts »

Deschamps s’est promis « de reprendre [ses] esprits et redevenir calme parce que demain est une nouvelle journée ». « Il faudra prendre les choses une à la fois », a-t-il ajouté en vue du programme libre de jeudi soir.

N’empêche, leur priorité de quatre points sur leurs rivaux japonais, qu’ils ont battus à la fin de janvier aux Championnats des quatre continents, représente un coussin conséquent.

« C’est comme s’ils commencent la troisième période avec une avance de deux buts », a concédé Bruno Marcotte, entraîneur de Miura et Kihara, qui se souvenait avec amusement d’avoir cuisiné des hot-dogs dans ce qui s’appelait alors le Centre Molson, à la fin des années 1990.

Ce n’est pas fait, mais ça va bien [pour eux].

Bruno Marcotte, à propos de Deanna Stellato-Dudek et de Maxime Deschamps

Impressionné par la qualité de patinage offerte par les 24 couples en lice – du jamais-vu à ses yeux –, le coach québécois n’entretenait aucun regret pour la paire qu’il dirige depuis quatre ans à son école d’Oakville, à l’ouest de Toronto. Kihara se remet d’une fracture de stress au dos qui a bousillé la majorité de sa saison après une participation à la dernière Classique d’automne de Pierrefonds.

Après la compétition, Marcotte a conduit ses patineurs à l’emblématique Orange Julep, boulevard Décarie, pour les faire goûter à la poutine. En conférence de presse, la minuscule Miura a exprimé à quel point elle se délectait de ce plat local, elle qui y avait été initiée dès l’adolescence à l’époque où elle venait souvent s’entraîner avec Marcotte à Sainte-Julie et à Saint-Léonard.

La conférence des trois premiers a d’ailleurs été l’occasion d’une petite réunion fraternelle. Julie Marcotte, la grande sœur de Bruno, qui continue de diriger l’école de Sainte-Julie, est la chorégraphe de Stellato-Dudek/Deschamps et de… Miura/Kihara.

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Les patineurs japonais Riku Miura et Ryuichi Kihara

« Quand j’ai commencé à chorégraphier, je faisais ça à temps perdu pour mon frère », a raconté Julie Marcotte. Elle travaillait alors avec son ex-entraîneuse Josée Picard, qu’elle accompagnait avec Stellato-Dudek et Deschamps dans le « kiss and cry ».

« Aujourd’hui, je me disais : on va être premiers et deuxièmes, c’est ça le but », a-t-elle ajouté en accueillant son frère. « Plus le monde est bon, plus tout le monde devient bon. »

Josée Picard, qui a entraîné tant Julie que Bruno, a accepté d’immortaliser cet instant particulier avec des gens qu’elle côtoie de près depuis 40 ans. « Regarde comment la passion a été transmise », a souligné celle qui en est à sa 51saison comme entraîneuse. Jeudi, elle aura l’occasion de décrocher un deuxième titre mondial chez les couples après celui d’Isabelle Brasseur et Lloyd Eisler en 1993.

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Bruno Marcotte, Josée Picard et Julie Marcotte

Pour le programme libre, ce seront les Canadiens Stellato-Dudek et Deschamps qui s’élanceront avant Miura et Kihara en vertu du tirage au sort.

« Un moment merveilleux »

Le comité organisateur des premiers Mondiaux présentés à Montréal depuis 1932 ne pouvait espérer un meilleur scénario. Déjà, à mi-séance, Kelly Ann Laurin et Loucas Éthier ont bien chauffé la foule.

S’il en avait eu le droit, le jeune duo québécois aurait volontiers étiré les 2 minutes 40 secondes allouées pour le programme court. À leurs tout premiers championnats du monde, Laurin, 18 ans, et Éthier, 23 ans, ont réussi une entrée quasi magistrale. La routine n’était pas terminée que la patineuse peinait à retenir ses larmes, tandis que son complice se concentrait à savourer le moment.

« Wow, c’était malade ! », a glissé le jeune homme à sa partenaire qui venait de se blottir contre sa poitrine quelques secondes après les salutations d’usage.

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Kelly Ann Laurin et Loucas Éthier

Leur conte de fées s’est poursuivi à l’annonce du pointage : 60,18 points, un sommet personnel sur la scène internationale. Au bout du compte, cette prestation, marquée par une seule erreur au saut lancé (elle a dû poser les mains sur la glace pour préserver son équilibre), leur a valu le 14rang.

Les gens nous ont dit à quel point ce serait spécial, mais il n’y avait aucune façon de se préparer à ça ! Ça nous a donné des ailes et ça nous a vraiment aidés à passer à travers notre programme.

Loucas Éthier

« C’était un moment merveilleux ! », a renchéri Kelly Ann Laurin, émue de s’exécuter devant ses parents et de jeunes patineurs qu’elle entraîne au club de Saint-Jérôme. « J’ai essayé de rester concentrée, mais je me disais : prends ton temps, amuse-toi, profite du moment, parce que ça arrive une fois de patiner aux Championnats du monde chez nous, devant tous nos amis et notre famille. »

La jeune femme s’est remise à pleurer en parlant de la présence de sa grand-mère, Patricia Laurin, qui combat un cancer incurable. Sa présence était encore incertaine au moment de la sélection de sa petite-fille pour les Mondiaux. « Ça fait du bien de la voir dans les estrades et qu’elle soit là pour me voir. »

Après cette première étape qui a passé « en un clin d’œil », la paire est prête pour la suite. « Je sais qu’on va se remettre la pression demain, mais on a l’habitude de vivre avec cette pression-là, a confié Éthier. Ce n’est pas négatif non plus, mais on saura assurément plus à quoi s’attendre. Aujourd’hui, c’est l’inconnu qui me stressait et je pense qu’on sera mieux équipés pour gérer ça. »

En voilà deux autres qui savent déjà comment « amener leur game à la game »…