L’œuf ou la poule ? Les paroles ou la mélodie ? La chorégraphie ou le costume ? On ne saura jamais réellement ce qui vient en premier. Chose certaine, le talent des designers québécois est une denrée dont les meilleurs patineurs artistiques du monde sont incapables de se passer.

« Je préfère travailler après les chorégraphes, tranche Josiane Lamond, créatrice de renommée internationale, dans les couloirs du Centre Bell. Je dis toujours qu’un costume réussi en est un qui met en valeur le patineur. Ce n’est pas un costume qui vole la vedette. Si tu regardes le patineur et que tu vois seulement le costume, pour moi, ce n’est pas réussi. »

Pour Mathieu Caron, la « première source d’inspiration, ce sont les patineurs ». « J’essaye de les connaître, dit-il. Plus je travaille avec eux, meilleur je suis pour eux, je pense, parce que c’est un costume, mais je ne veux pas les costumer. Il faut être près d’eux. Mais oui, la musique va influencer, assurément. »

Lorsqu’un patineur saute sur la glace après avoir retiré ses protège-lames, le costume est le premier élément de sa proposition à être jugé. Avant même de connaître la musique sur laquelle il s’exécutera. Avant même qu’il ait effectué une seule boucle. Avant même, parfois, de connaître le nom de l’athlète en train de s’échauffer.

PHOTO NICHOLAS RICHARD, LA PRESSE

Quelques-unes de créations de Mathieu Caron sont exposées, cette semaine, à son kiosque près de la section 117, dans les couloirs du Centre Bell.

Parfois sobre, parfois exubérant, mais toujours réfléchi et travaillé, le costume des patineurs artistiques fait partie intégrante de leur programme au même titre que leurs sauts et leur routine musicale.

Parmi les patineurs en action sur la glace du Canadien de Montréal dans le cadre des Championnats du monde, plusieurs sont habillés par des créateurs d’ici.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Tessa Virtue et Scott Moir lors des Jeux olympiques de PyeongChang, en 2018

« C’est vraiment important, un costume, à ce niveau-là », note Mathieu Caron près son kiosque de la section 117 où il présente quelques-unes de ses créations, dont certaines ayant été portées par Tessa Virtue et Scott Moir.

Chaque personne va sur la glace pour défendre son programme, son patin et qui il est.

Mathieu Caron, créateur de costume

À ce titre, la nécessité pour les patineurs d’enfiler un costume à leur image est immense, car ils doivent l’assumer pendant toute leur saison. Ça demande donc un travail de création précis, minutieux et délicat. Les deux experts que nous avons rencontrés soulignent que huit semaines en moyenne séparent la première réunion créative et la livraison du produit final.

À quelques exceptions près. « [Dans le cas d’]Isabeau Levito, on l’a fait en sept jours, explique Josiane Lamond. Ils ont décidé de changer son programme en cours d’année pour les Championnats nationaux américains. Donc ils m’ont appelée et j’avais sept jours pour faire la robe. »

Une relation de confiance

Selon les dires de Mathieu Caron, lorsque vient le temps d’élaborer un costume en début de saison, « certains ne savent pas du tout ce qu’ils veulent. D’autres savent exactement ce qu’ils veulent. On écoute la musique, je parle avec les chorégraphes, les entraîneurs. Ensuite, je fais des propositions à l’athlète ».

Caron a habillé tous les patineurs ayant remporté l’or aux derniers Mondiaux. Il est aussi derrière l’identité visuelle des Québécois Marjorie Lajoie et Zachary Lagha.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Zachary Lagha et Marjorie Lajoie

Pour arriver à des produits de qualité, le processus est rigoureux. « On réfléchit, on discute, on fait des propositions. Une fois que la proposition est acceptée, on part dans la recherche de tissus, on fait des tests, la coupe, l’assemblage, l’essayage et les corrections. »

L’idée demeure aussi d’éviter de confectionner des costumes au premier degré. Nos deux intervenants en ont horreur. Ils en parlent comme s’il était indigne pour un designer qui se respecte de proposer des idées aussi évidentes que paresseuses.

Le chorégraphe fait le schéma du programme, l’histoire derrière le programme, l’émotion. Donc mon travail est d’aller chercher les mots-clés pour les faire ressortir dans le costume.

Josiane Lamond, créatrice de costume

« Parfois c’est clair, parfois ce ne l’est pas. On ne veut pas que ce soit littéral, précise Lamond. Le roi lion, tu ne veux pas le déguiser en lion ! »

Même perspective pour Caron, qui travaille continuellement à repousser des concepts, sans dénaturer l’idée ou l’inspiration originale. Et c’est dans cette quête de raffinement que l’on peut reconnaître les plus brillants créateurs. « Si on fait Roméo et Juliette, comment est-ce qu’on peut réinventer Roméo et Juliette pour faire en sorte que la patineuse qui fait Juliette peut l’être avec sa saveur à elle ? Comment on va le moderniser ? Comment on va rendre ça plus contemporain, plus athlétique, plus sportif ou plus théâtral, si c’est ça la commande ? »

La tâche est considérable, mais le résultat est habituellement spectaculaire. Si l’habit ne fait pas le moine, il fait généralement une bonne partie du travail dans la prestation d’un patineur.

Deux Canadiens se qualifient

PHOTO GEOFF ROBINS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Roman Sadovsky

Les attentes envers le patineur Roman Sadovsky étaient au seuil minimum. Grâce à un quadruple saut réussi d’entrée, il a jeté les bases pour une performance d’une qualité ayant surpris en premier lieu le principal intéressé. « Je n’ai pas eu beaucoup de moments comme celui-là cette saison, j’ai connu plusieurs ratés, mais présentement je me sens moi-même et à ma place », a révélé le patineur de 24 ans au terme de son programme court, jeudi après-midi.

Sadovsky s’est hissé au 11e  rang du classement provisoire avec 84,28 points. Il a pulvérisé sa meilleure note de l’actuelle saison par près de 12 points.

« Je me suis fié à mon entraînement. C’est vraiment le résultat d’un effort soutenu en pratique », a-t-il ajouté entre deux manifestations d’une vilaine toux.

Son coéquipier Wesley Chiu s’est lui aussi qualifié, mais avec un peu moins d’aplomb. À l’opposé de Sadovsky, le champion canadien en titre a mal exécuté, par manque d’explosivité, son premier saut. Il a été chambranlant à différents moments au cours de son programme. Les juges ont toutefois décidé qu’il en avait fait suffisamment pour se rendre au programme libre de samedi.

« Je suis satisfait, mais j’étais vraiment nerveux », a avoué l’athlète de Vancouver après sa première performance à vie dans un contexte de Championnats du monde.

Il pointe au 18rang du classement provisoire avec 78,00 points, juste devant Adam Siao Him Fa. Le Français est double champion européen en titre, mais en raison de deux chutes consécutives en ouverture de programme, ses chances de monter sur le podium samedi soir sont passées d’excellentes à nulles.

Sa contre-performance a ouvert la porte aux Japonais Shoma Uno et Yuma Kagiyama ainsi qu’aux Américains Ilia Malinin et Jason Brown qui ont terminé la journée dans cet ordre au sommet du classement provisoire.