« Ce n’est pas la médaille en tant que telle qui est importante. C’est l’histoire derrière. » Autiste et dyspraxique, Valérie Desroches a été victime d’exclusion plus souvent qu’à son tour, dans la vie comme dans son sport. Au fil des obstacles, des injustices et des frustrations, elle s’est tenue debout.

Valérie Desroches nous accueille dans son logement du quartier Rosemont, à Montréal, un mercredi de juillet. Elle porte ses pantalons blancs de karaté. À l’entrée, à droite, elle nous montre la pièce qu’elle a transformée en ce qu’elle appelle un « mini-dojo ». Pas de doute : on a affaire à une passionnée.

Pendant 45 minutes, la karatéka nous raconte son histoire. Une histoire de détermination et de résilience qui l’a menée à remporter l’or aux Championnats du monde de parakaraté WUKF, au début du mois de juillet.

Déjà, à l’âge de 6 ans, Valérie Desroches se sentait « différente ». Elle excellait sur les bancs d’école, mais peinait à se faire des amis, à entretenir des conversations avec les autres élèves de son âge. Si bien qu’on riait d’elle. On lui disait qu’elle n’était pas intelligente. Qu’elle était trop timide. On l’intimidait.

Quand j’étais en quatrième année, ma prof était tannée que je sois toujours avec la même amie. Elle a dit à mon amie : ‘‘Va te faire d’autres amies.’’ Donc j’étais toute seule. Les gens ont continué à me niaiser. Je me faisais lancer des vers de terre.

Valérie Desroches

Toute sa vie, elle a cherché des réponses. Cherché à comprendre pourquoi elle ne se sentait « pas bien avec les gens ». « Il y avait comme un malaise, il fallait tout le temps que je sois préparée pour parler. [Mon médecin] m’a dit que j’étais timide. »

C’est dans un cours de maîtrise en orthopédagogie à l’Université de Montréal qu’elle a eu un déclic.

[Les professeurs] ont montré des vidéos de personnes autistes et je me suis vraiment reconnue. J’étais vraiment sous le choc.

Valérie Desroches

Comme son médecin refusait de reconnaître qu’elle avait un trouble, elle s’est rendue dans une clinique privée. C’est là qu’elle a enfin obtenu réponse : elle était atteinte du syndrome d’Asperger. Diagnostic en main, elle est retournée voir son médecin. « Il m’a dit, mot pour mot : ‘‘Ce monde-là ne fout rien dans la vie. Tu ne peux pas être autiste parce que tu as une maîtrise.’’ »

Retour au karaté

Environ deux ans après qu’elle eut reçu son diagnostic et maintenant qu’elle « comprenait [ses] difficultés », Valérie Desroches a décidé de recommencer à pratiquer un sport qu’elle avait depuis trop longtemps laissé de côté : le karaté.

Je voulais avoir ma ceinture noire. Mais quand j’y suis retournée, je me suis comparée aux gens et je me suis dit : il y a quelque chose d’autre qui ne marche pas. Pas juste l’autisme. Il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas sur le plan moteur. Je me trompais beaucoup dans les mouvements.

Valérie Desroches

Un ergothérapeute lui a révélé qu’elle était atteinte de dyspraxie motrice, un trouble de la coordination. Voilà qui expliquait bien des choses, comme le fait qu’elle avait de la difficulté à courir à la fois rapidement et en ligne droite.

Au club de karaté montréalais où elle s’entraînait — et dont elle préfère taire le nom –, elle a encore une fois été victime d’exclusion. Prétextant que le combat n’était pas de son « niveau », son entraîneur l’a mise dans un coin. « Ils ne m’ont même pas donné la chance d’essayer. Ils m’ont laissée faire des katas toute seule », se souvient-elle.

Depuis cinq ans, Desroches s’entraîne au club Metropolis Karate, à Montréal-Nord, qui l’a accueillie à bras ouverts. « Le coach s’est vraiment adapté à mon style, qui est plus séquentiel », dit-elle.

L’athlète a d’ailleurs aussi appris récemment qu’elle souffrait d’hypertonie, un trouble musculaire qui provoque une « rigidité permanente des muscles ». Pour réaliser les mêmes exercices que les autres karatékas, elle doit mettre le double, voire « le triple ou le quadruple » des efforts.

Parakaraté

En 2016, Desroches a tenté de faire sa place avec l’équipe canadienne de parakaraté, au sein de la Fédération mondiale de karaté (WKF). Mais on l’a refusée. « Si tu étais autiste, il fallait que tu aies une déficience intellectuelle. Ce qui n’est pas mon cas », explique-t-elle.

Elle s’est donc consacrée corps et âme au combat d’élite, jusqu’à ce que ça devienne trop difficile en raison de la dyspraxie et de l’hypertonie. En décembre dernier, elle a de nouveau tenté sa chance au parakaraté, cette fois avec l’Union mondiale des Fédérations de karaté-do (WUKF), dans laquelle elle a été acceptée. Elle fait partie de la catégorie des athlètes ayant des troubles de l’apprentissage.

Le 6 juillet, notre protagoniste a été récompensée pour sa détermination et son acharnement : elle est sortie victorieuse dans sa catégorie aux Championnats mondiaux de parakaraté de la WUKF, en Floride.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Valérie Desroches montre la médaille d’or qu’elle a remportée aux Championnats mondiaux de parakaraté de la WUKF.

« J’ai vraiment tout donné. J’ai fait deux beaux katas. Ce qui était vraiment intéressant, c’est qu’il y avait plein d’athlètes différents. C’était vraiment beau à voir », raconte-t-elle, le sourire aux lèvres et son imposante médaille d’or autour du cou.

Aider les jeunes

Valérie Desroches est orthopédagogue à l’école Alex Manoogian-D’Armen, à Saint-Laurent, depuis neuf ans. « Voir [les enfants] réussir, c’est tellement beau. […] C’est ça qui me nourrit. »

Pendant la pandémie, elle a coécrit un livre intitulé Un combat pour l’inclusion. Le personnage, Naomi, y vit tout ce que Valérie a vécu. À la fin, on peut consulter un guide pédagogique qui propose des stratégies d’inclusion aux intervenants qui en feront la lecture.

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Valérie Desroches a coécrit un livre intitulé Un combat pour l’inclusion.

Dans son sport comme dans sa vie, Desroches devra toujours composer avec ses conditions au quotidien. C’est « très épuisant », mais elle n’en est « pas du tout gênée ». Au contraire.

« J’aime parler de mon histoire aux gens, montrer qu’il faut affronter les obstacles », laisse-t-elle entendre.