Le ring est plus grand. L’adversaire est coriace et l’effort, titanesque. Un crochet à la fois, Martine Vallières-Bisson entend vaincre.

Vallières-Bisson a toujours évolué dans sa boxe comme elle évoluait dans sa vie, et vice-versa. Suivant cette logique, ce qu’elle traverse actuellement pourrait bien faire d’elle la meilleure boxeuse qu’elle n’ait jamais été…

Quand on lui a annoncé, le 26 mai dernier, qu’elle était atteinte d’un cancer du sein, la pugiliste a pensé à son rêve de devenir championne du monde. « Moi qui le voulais, mon combat de championnat du monde, tu me l’as donné d’une drôle de manière, toi là », a-t-elle songé en regardant au ciel.

Vallières-Bisson est une femme de caractère. Une femme avenante, résume-t-elle elle-même, qui aime les gens. Ce qui ressort de son parcours, c’est sa persévérance. Elle n’abandonne pas.

Jamais.

Sa carrière de boxe le prouve.

Quelque chose de grand

Vallières-Bisson accueille La Presse dans son appartement de Longueuil, un demi-sous-sol rangé ; elle a eu le temps de se poser un peu récemment, elle qui a l’habitude d’avoir une vie mouvementée et bien remplie.

La boxeuse s’est fait raser les cheveux il y a quelques semaines déjà. « Moi, mon chemin, c’était de me raser les cheveux avant mon premier traitement, nous explique-t-elle. Il fallait que je le fasse. »

Vallières-Bisson est issue d’un milieu « peu aisé ». « J’ai connu se faire couper l’électricité parce qu’on a de la difficulté à payer Hydro. Prendre des bains à la chandelle, à l’eau froide… Je ne veux pas faire pitié, mais c’est un peu ça », résume-t-elle.

D’abord une joueuse de hockey – « Je voulais être la première défenseure de la Ligue nationale de hockey », se souvient-elle –, la jeune femme a découvert la boxe à l’âge de 16 ans.

« À un moment donné, [ma mère et moi sommes] allées dans un gym à Laval. Je vais m’en souvenir toute ma vie. J’ai ouvert la porte, j’ai mis les pieds – c’était un vieux gym, ça sentait le cuir et la sueur – et il n’y avait pas d’autre phrase dans ma tête que : c’est ma place, ici. »

C’était le début de quelque chose. Quelque chose d’encore plus grand qu’une passion, quelque chose qui « ne s’explique pas », quelque chose de « viscéral », qui allait guider chacune de ses décisions futures.

Au début des années 2000, les femmes étaient très peu nombreuses en boxe.

J’ai vu des gyms à Montréal qui n’acceptaient pas les filles. J’ai aussi vu des gyms où il n’y avait pas de vestiaire pour les filles. Un entraîneur m’a déjà dit que les deux boxeuses de son gym se changeaient dans la conciergerie.

Martine Vallières-Bisson

Vallières-Bisson nous raconte sa première compétition. Peu avant de prendre la route pour Val-d’Or, elle a appris que son gym montréalais n’avait pas payé son affiliation à la fédération québécoise. Elle ne pouvait donc pas représenter ledit gym à la compétition.

« Moi, je voulais absolument y aller. Il y a un entraîneur à Saint-Jérôme qui a décidé de me prendre sous son aile. […] Cette compétition-là, je l’ai gagnée. Mais la première compétition que je gagne, la Fédération oublie les médailles ! »

La jeune femme d’alors une vingtaine d’années s’est ensuite inscrite dans un nouveau gym, dans l’Ouest-de-l’Île. Chaque jour, elle faisait deux heures de transports en commun à l’aller et au retour pour s’entraîner pendant deux heures.

« Je prenais beaucoup de notes. J’essayais d’être autodidacte, d’observer. Parfois, j’allais à La Cage aux Sports quand il y avait des combats et je prenais des notes sur ce que je voyais. »

Quand est arrivée la compétition des Gants dorés, cette année-là, Vallières-Bisson a appris que son coach ne s’y présenterait pas.

« Je m’étais dit : too bad, je ne manquerai pas la compétition. J’ai décidé de me rendre à Québec en me disant que si je gagnais mon premier combat, au pire, j’allais dormir dans ma voiture. Je n’avais pas d’argent pour me payer l’hôtel. »

Tant d’anecdotes qui donnent une idée de la persévérance de Vallières-Bisson, qui a remporté les Gants dorés – les qualifications pour les Championnats canadiens – à plusieurs reprises au fil des années. Dans l’adversité, la jeune femme trouvait des solutions.

La boxe plutôt que les immeubles

Vallières-Bisson a occupé différents emplois pour se permettre de poursuivre son sport au fil des ans. « Moi, je n’ai pas investi dans les immeubles, j’ai investi dans la boxe », lâche-t-elle en souriant.

Elle a été serveuse une grande partie de sa vie. Elle a aussi été stockeuse de marchandise chez Costco. « Je commençais à 4 h 30 du matin, je finissais tôt, l’après-midi je m’entraînais et le soir je travaillais dans un restaurant. Ç’a été une période difficile de ma vie, mais c’était important pour moi. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE MARTINE VALLIÈRES-BISSON

Martine Vallières-Bisson

« Une personne, un jour, m’a dit : tu as choisi la boxe, tu as choisi d’être pauvre. Parfois, c’est vrai que quand je suis découragée, je me dis : ayoye, j’ai 38 ans, je n’ai rien. Mais non, je suis tellement riche. Tellement riche de voyages, de découvertes, de rencontres. »

En 2011, elle a fait sa formation pour être éducatrice dans les CPE. La boxe, sans surprise, gardait une place de choix au sein de sa vie.

J’ai évolué dans ma vie comme j’ai évolué dans ma boxe et j’ai évolué dans ma boxe comme j’ai évolué dans ma vie.

Martine Vallières-Bisson

En 2019, à l’âge de 35 ans, après être allée au bout de la boxe amateur, Vallières-Bisson a fait le saut chez les professionnelles. Si elle n’avait pas de promoteur, Eye of the Tiger Management a accepté de lui donner sa chance dans un gala au Centre Bell, le 7 décembre 2019.

Depuis, elle a pris part à huit combats professionnels (6-2-0, 1 K.-O.). « J’accepte des combats que personne n’aurait acceptés, mais je n’ai pas le choix. Je n’ai pas de promoteur. C’est comme ça depuis le début. […] Je ne vis pas de mon sport. Je paye pour toutes les dépenses et les combats. »

Que disait-on, déjà ? Quelque chose de grand, de viscéral…

Pas une victime

Adolescente, Vallières-Bisson se percevait comme une « victime de la vie ». Dans le ring, elle était défensive. Elle était en mode survie jusqu’à ce qu’elle se retrouve coincée dans les câbles ou qu’elle commence à avoir mal. C’est alors là qu’elle se mettait en action, qu’elle lançait des coups de poing.

Au fil des années, sa mentalité a changé. Elle a décidé de foncer, de baisser sa garde. Elle n’était plus une victime. Elle y allait de front, elle était agressive.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE MARTINE VALLIÈRES-BISSON

Martine Vallières-Bisson

« Jusqu’à ce que je comprenne à un moment donné que c’est un équilibre. Pour devenir une meilleure boxeuse, je deviens une meilleure humaine, et quand je deviens une meilleure humaine, je deviens une meilleure boxeuse. »

À la boxe comme dans la vie, il y a des moments où il faut reculer pour mieux avancer. « Oui, tu vas encaisser. La vie, ce n’est pas vrai que c’est de l’eau de rose. C’est ton attitude, de prendre le temps d’aller chercher un équilibre dans tout ce brouhaha et ces actions-là qui se passent dans un ring. »

Le 26 mai, Vallières-Bisson a reçu son diagnostic de cancer du sein – elle est atteinte d’un carcinome canalaire infiltrant. C’est sans doute un des uppercuts les plus sévères qu’elle ait reçus.

Rapidement, elle a réalisé qu’elle devait passer en mode exécution. Parce que « le seul contrôle que tu as dans la vie, c’est sur tes actions, sur ce que tu fais et ce que tu dis ».

« Je ne peux pas tomber dans la victimisation, même si je me suis dit : voyons, tabarnane, ça suffit ! Si ça fait partie de mon parcours, peut-être que ça va être pour encore mieux donner aux autres. »

Peut-être que ça va faire en sorte que je vais encore plus inspirer quand je vais faire mes conférences dans les écoles. Peut-être que c’est juste mieux pour moi.

Martine Vallières-Bisson

Le 27 juin, la pugiliste a subi une mastectomie partielle et un retrait des ganglions sentinelles. Elle doit maintenant suivre des traitements de chimiothérapie, puis suivront les radiothérapies et l’hormonothérapie. Les chances de rémission, dit-elle, « sont très bonnes ».

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE MARTINE VALLIÈRES-BISSON

Martine Vallières-Bisson

Pour la première fois en 22 ans, la sympathique athlète doit ralentir le rythme dans le gymnase. Elle doit s’écouter, écouter son corps.

Mais son rêve demeure le même : être championne du monde. « Peut-être que ça n’arrivera jamais, mais moi, j’y crois encore.

« Moi, je veux remonter dans un ring et je veux qu’on se reparle quand ça va être fini et que je vais faire mon retour. Pour moi, c’est important. »

On se dit donc à bientôt.