Marie-Ève Dicaire se souvient de son adolescence, quand elle portait une « armure d’invincibilité ». « Ben oui, je suis une machine », répondait-elle quand on lui demandait comment elle allait.

« Je pense que ça part du fait que j’ai été toute seule avec ma mère toute ma vie et ma mère était une machine, raconte l’ex-pugiliste au bout du fil. C’est ce qu’elle me montrait comme exemple. Ma mère, il n’y avait rien qui allait l’arrêter. Il n’y avait rien qui allait l’empêcher de m’offrir la meilleure vie que je pouvais avoir. »

Dans le monde des arts martiaux, dans lequel elle a grandi, il convenait de n’avoir ni mal ni peur.

Pendant longtemps, je n’ai jamais parlé de ce qui n’allait pas bien, de ce qui m’inquiétait. Je faisais comme si ce n’était pas là.

Marie-Ève Dicaire

Puis, les années ont passé. Au fil de sa carrière, Dicaire a compris qu’elle pouvait parler à ses entraîneurs. « Je m’asseyais avec Stéphane [Harnois] et je lui disais que j’avais peur de telle ou telle affaire. Au final, en en parlant ensemble, je me rendais compte qu’on avait des solutions, qu’on allait travailler ça. »

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En décembre 2021, Marie-Ève Dicaire à l’entraînement avec Stéphane Harnois

Jeudi, l’ancienne championne du monde s’est rendue aux collèges Ville-Marie et Dawson, à Montréal, en compagnie de son ancien préparateur mental, Jean-François Ménard, afin de jaser de santé mentale dans le sport. Le tout était organisé dans le cadre de l’initiative La santé mentale, c’est notre sport de l’Association canadienne des entraîneurs, de la Journée nationale des entraîneurs (6 octobre) et de la Journée mondiale de la santé mentale (10 octobre).

Dans une conférence présentée sous forme de discussion, le duo a fait partager aux jeunes oreilles présentes ses expériences et précieux conseils…

Bien s’entourer

Lors de son entretien avec La Presse, Marie-Ève Dicaire est coincée dans la circulation, sur la route du retour vers chez elle. Si elle vient de donner deux conférences – une en français et une en anglais – en quelques heures à peine, elle semble tout sauf éreintée. On la sent plutôt pleine d’énergie ; c’est l’effet que ces conférences ont sur elle, nous explique-t-elle.

« Tu vois l’impact, l’étincelle que ça allume dans les yeux. Ça me donne tellement d’énergie ! », lâche-t-elle avec entrain.

Moi, le message que je voulais passer aux jeunes, c’est que ce n’est pas parce que tu es champion du monde que tu n’es pas stressé, que tu n’as pas peur, que tu n’angoisses pas, que tu ne te remets pas tout le temps en question, que tu n’as pas de nuits d’insomnie. Ça, pour moi, c’est important.

Marie-Ève Dicaire

L’ex-pugiliste voulait faire comprendre aux jeunes qu’ils ne sont pas seuls à expérimenter des défis et des moments difficiles, tout en leur expliquant comment trouver les bonnes ressources.

« Mes entraîneurs ont joué un rôle déterminant dans ma carrière. J’ai toujours dit : je n’ai pas de talent spécial, si ce n’est que de bien m’entourer. Je ne pense pas que je serais l’athlète que je suis, la femme que je suis, sans mes entraîneurs. »

Les petites victoires

La conférence a suscité différentes questions de la part des jeunes. « Comment tu fais pour décrocher de la boxe ? », a notamment demandé une adolescente à Marie-Ève Dicaire.

« C’était un des éléments du message que je voulais passer : c’est correct de penser à autre chose qu’à notre sport », explique-t-elle.

Dans ses rencontres d’après-combat avec son préparateur mental, Marie-Ève Dicaire avait comme mandat de préparer une liste des activités hors-boxe auxquelles elle prévoyait s’adonner pendant son congé.

Ménard insistait aussi auprès de la boxeuse sur l’importance de célébrer les « petites victoires » avant ses combats ; réussir à se coucher plus tôt, à accomplir tel geste technique, à dire non à une entrevue pour mieux se reposer… Tant d’accomplissements, tous moins banals qu’ils en ont l’air.

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À l’entraînement en novembre 2022, alors que Marie-Ève Dicaire préparait ce qui serait son dernier combat de boxe.

Dicaire s’assurait aussi de bien s’entourer amicalement. Avant ses combats, elle passait du temps avec ses meilleures amies ; des femmes qui n’ont aucune difficulté à parler de leurs émotions. Tout le contraire d’elle, autrement dit.

« Ces filles-là, c’est drôle parce qu’elles n’ont rien à voir avec la boxe, mais quand j’étais en préparation de combat, elles venaient manger du brocoli vapeur et du poulet sec avec du gin sans alcool à la maison. C’est ce qui me permettait de décrocher de la boxe. »

Les conseils sont nombreux, et Dicaire a bien tenté d’en transmettre le plus possible, jeudi. Mais le plus essentiel est sans doute que… « c’est correct ». « C’est correct, que ça n’aille pas bien. C’est correct, que tu te poses des questions. C’est correct, que tu échoues, que tu tombes… Jusqu’au moment où t’es capable de trouver des solutions, des pistes et de les utiliser pour devenir encore meilleur. »

« Je vis ma meilleure vie ! »

Marie-Ève Dicaire vit à plein « sa meilleure vie (best life) » actuellement, elle qui est à la retraite depuis mars dernier. L’ex-athlète apparaît dans différents médias, à la télévision ou à la radio, où elle parle de boxe et de sport en général : un nouveau défi qui lui apporte beaucoup. « J’ai vraiment terminé ma carrière avec le sentiment du devoir accompli, affirme-t-elle. […] Je voulais être en santé. Ce n’est pas un combat de plus qui allait changer ce que j’ai bâti, mais ç’aurait pu être le combat de trop qui allait m’empêcher de profiter de ce que j’ai aujourd’hui. Ça, ça me fait profiter encore plus de la vie que j’ai aujourd’hui. »