All Elite Wrestling (AEW) débarque à Montréal pour la toute première fois de sa jeune histoire, mardi et mercredi. Elle arrive par la grande porte : le Centre Bell, rien de moins. Quatre Québécois luttent au sein de cette organisation qui fêtera bientôt ses cinq ans. Le Gatinois Nicolas Dansereau, mieux connu sous le nom d’Evil Uno, est l’un d’eux. La Presse l’a rencontré afin de connaître l’homme sous le masque.

La rencontre est plutôt particulière. Nicolas Dansereau nous attend dans une salle de conférence d’un hôtel du centre-ville, en veston, le visage découvert. En fait, on déduit que c’est lui, simplement parce que c’est vers ce type d’apparence bien banale que la relationniste nous dirige.

Si on ne le reconnaît pas, c’est que dès qu’il grimpe entre les câbles, que ce soit télévisé ou non, Dansereau porte toujours son masque. Il devient alors Evil Uno.

Le collègue Martin Chamberland doit arriver dans quelques minutes pour photographier le Québécois. Pourra-t-on le faire poser sans masque ? Il hésite, avant de dire qu’il préfère ne pas montrer son visage.

Dansereau remet son masque avant même l’arrivée de Chamberland. Il le gardera après son départ aussi. Après tout, voilà maintenant 20 ans que cette pelure est un prolongement de sa personne.

J’avais 16 ans et je ne sais pas si, légalement, j’avais le droit de lutter. Je me disais que je porterais un masque pour cacher le fait que j’étais un enfant. Mais j’étais quand même bâti comme un enfant !

Nicolas Dansereau

« C’était comme mon cheat code. Plus tard, j’ai eu de grosses occasions et je me suis dit : il va falloir que je garde mon nom et mon masque. Et maintenant, je peux faire cette entrevue, je prends des photos, et dans cinq minutes, je l’enlève, je vais à l’épicerie et personne ne sait qui je suis. J’aime avoir mes deux mondes. »

Le Québec n’est pas le Mexique, là où le masque est ancré dans la culture. N’empêche que certains lutteurs d’ici ont connu un certain succès en empruntant ce symbole mexicain. Avant de voir sa popularité exploser sous le nom de Sami Zayn, le Québécois Rami Sabei luttait sous le nom d’El Generico. À la WWE, il a rangé son masque.

« Sami, à Montréal, ne peut pas aller au café sans se faire arrêter, rappelle Dansereau. Ce n’est pas que ça me dérangerait si des gens m’arrêtaient. Mais ensuite, ils vont savoir qui est ma mère, qui est ma femme. Et ce n’est plus mon monde, ça devient le monde de tous mes proches. Je ne veux pas ça. Je veux qu’ils aient le choix d’en faire partie. »

Le masque est aussi un clin d’œil à quelques-unes de ses idoles d’enfance, notamment Mick Foley, qui cachait partiellement son visage lorsqu’il prenait le rôle de Mankind. « Foley parlait comme une vraie personne. Il avait des émotions, il luttait pour ses enfants, pour sa femme. Comme lui, je n’ai pas le corps habituel d’un lutteur, donc je m’identifiais à quelqu’un qui semblait normal. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

L’AEW permet à Nicolas Dansereau, depuis bientôt cinq ans, de réaliser un de ses rêves : vivre de la lutte.

Payé pour lutter

Aussi talentueux soit-il, Evil Uno n’est pas non plus un des visages de l’AEW. Ce rôle est occupé par Maxwell Jacob Friedman, jeune champion au charisme comparable à celui de The Rock. Les vétérans Chris Jericho, Sting et Adam Copeland (anciennement Edge) sont certains des noms les plus connus de l’amateur de sport moyen.

Il peut s’écouler plusieurs semaines entre les présences d’Evil Uno dans les émissions de l’AEW, un rôle qu’il a mis « du temps » à accepter. « La première année, j’étais à la télévision presque chaque semaine. Mais on était 55 lutteurs », rappelle-t-il.

L’AEW répertorie maintenant 128 lutteurs et 34 lutteuses sur son site internet. L’entreprise produit deux émissions hebdomadaires de deux heures, Dynamite le mercredi et Collision le samedi, et quelques émissions secondaires. Bref, le « temps de glace » est limité, mais l’AEW autorise les lutteurs à œuvrer au sein d’organisations dites indépendantes, moins connues, évidemment.

« Je ne peux pas être sur chaque show. Si tu as le choix entre Sting, Adam Copeland et moi, je comprends que tu choisisses Sting et Copeland ! », convient Dansereau.

Regardez la vidéo de son combat le plus important à l’AEW

Malgré ce rôle limité, l’AEW lui permet, depuis bientôt cinq ans, de réaliser un de ses rêves : vivre de la lutte. Auparavant, il bossait en informatique pour le gouvernement fédéral, pour joindre les deux bouts. Il y parvient maintenant avec son salaire de lutteur, de même qu’avec son école de lutte à Gatineau. Ils ne sont même pas 10 au Québec à pouvoir vivre de ce métier.

À part de ça, aucun autre Québécois ne fait son pognon strictement avec la lutte. C’était mon but. Quand j’ai commencé, si tu n’étais pas 6 pi 4 et 300 lb, c’était impensable de faire de l’argent avec la lutte. Mais je me suis dit que j’allais y consacrer mon temps parce que j’aimais ça.

Nicolas Dansereau

Le Centre Bell

Evil Uno luttera au Centre Bell pour la première fois. Ce sera sa chance de se révéler à son public. Mis à part les mordus qui le suivaient dans les fédérations locales dans les années 2000, peu d’amateurs savent qu’un gars d’ici se cache sous le masque.

« Ça m’intrigue de voir à quel point les gens savent que je suis québécois, car je ne parle pas souvent français, surtout à la télé, et je ne porte pas les couleurs du Québec. » Élevé dans un milieu bilingue, marié avec une anglophone, il admet tout de même une certaine nervosité à l’idée de parler français au micro.

Le Centre Bell faisait-il partie de ses rêves ? « C’est fou parce que je n’ai jamais pensé que je lutterais au Centre Bell un jour. J’ai déjà écrit mes souhaits dans la lutte et ce n’était pas là. Ça sonnait tellement big league, je pensais que je ne me rendrais jamais là. »

C’est tout un cheminement pour celui qui s’est d’abord fait connaître sous le nom de Player Uno, un personnage ludique, inspiré de l’univers des jeux vidéo, son autre passion, qu’il continue à alimenter en parallèle.

« Dans la lutte, on dit qu’on ne vieillit plus à partir du moment où on commence à lutter. J’ai commencé ado, j’ai maintenant 36 ans, mais dans ma tête, je suis un ado. Je suis encore le gars de 15, 16 ans avec les mêmes rêves. Je n’étais pas un gars de party, pas un sportif, je n’étais pas populaire auprès des filles. Ma vie, c’était la lutte et les jeux vidéo. Au fil des années, j’ai mis ces deux mondes ensemble. »

Regardez sa chaîne Twitch

Incursion en territoire ennemi

Le marché de Montréal a toujours été très fidèle à la toute-puissante WWE. Même la WCW, principale concurrente de la WWE dans les années 1990, n’est jamais officiellement venue en ville. Plus tôt cette année, la WWE avait fait tout un tabac avec la présentation de deux spectacles en deux soirs au Centre Bell, avec Sami Zayn comme tête d’affiche. Pour l’AEW, la vente de billets a démarré lentement, et la capacité du Centre Bell sera réduite à quelque 5000 places. Mais Nicolas Dansereau a un message pour les amateurs de catch. « Vous êtes capables de regarder les deux shows ! Moi, je regarde la compétition, je regarde Kevin Owens, Sami Zayn, Gunther. Il y a de la bonne lutte des deux côtés. L’AEW a parmi les meilleurs lutteurs au monde. On a quatre Québécois (Evil Uno, Daddy Magic, Cool Hand Angelo Parker et Stu Grayson), une multitude de Canadiens : Chris Jericho, Christian Cage, Adam Copeland, Kenny Omega, Taya Valkyrie. Si tu aimes la lutte pure, on en a. Si tu aimes le lucha libre, on a parmi les meilleurs luchadors au monde. Si tu aimes New Japan, on a des gars de New Japan. Si tu veux voir de la lutte de haut calibre, c’est garanti que tu vas en voir. »