Quinze ans après sa création, le Centre national de haute performance de Tennis Canada s’est révélé un succès fracassant. Le Canada est devenu une référence sur le plan mondial et les rêves sont devenus réalité.

À une certaine époque, au tournant des années 2000 et jusqu’à la fin de la décennie, le Canada tirait la patte dans le monde du tennis. Même si d’excellents joueurs ont représenté l’unifolié, les attentes étaient relativement basses, et certains à l’intérieur des murs de Tennis Canada se réjouissaient ou se montraient somme toute satisfaits quand les joueurs d’ici passaient au deuxième tour d’un tournoi. Puis Louis Borfiga est arrivé.

Bianca Andreescu a gagné les Internationaux des États-Unis. Eugenie Bouchard, Milos Raonic et Leylah Annie Fernandez ont atteint des finales des tournois du Grand Chelem. Puis Félix Auger-Aliassime a concrétisé sa place au sein du top 10 mondial. Tous des produits du Centre situé au parc Jarry. Tous des athlètes qui ont fait bien paraître Tennis Canada.

Retourné en France depuis un an pour épauler Gilles Moretton, président de la Fédération française de tennis, Borfiga se souvient de l’époque où il est débarqué en Amérique du Nord, en 2006. Celui qui avait formé Gaël Monfils, Jo-Wilfried Tsonga et Gilles Simon dans l’Hexagone avait imposé une condition à Tennis Canada avant de traverser l’Atlantique : s’il venait ici, il fallait construire un Centre national destiné au développement de l’élite. Il est arrivé en 2006, et dès l’année suivante, l’architecte mettait son plan à exécution.

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Louis Borfiga, ancien chef de la performance chez Tennis Canada

On avait la conviction de pouvoir former de futurs champions. J’étais convaincu que le Centre national allait faire une différence.

Louis Borfiga, ancien chef de la performance chez Tennis Canada, joint en France par La Presse

Une nécessité

Guillaume Marx, qui a pris la relève de Borfiga et qui gère aujourd’hui le Centre, explique que la création de cette option a « changé toute la dynamique ». D’une part, parce que ça a donné la perspective aux joueurs de 14 ans et plus qu’il était possible de percer dans le monde du tennis en restant au Canada. D’autre part, parce que ça évitait aux familles de débourser une fortune en envoyant leurs enfants se développer dans les centres de formation américains.

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Guillaume Marx

Borfiga tient aussi à rappeler que le Centre national, « ce n’est pas que taper des balles ». C’est aussi et surtout un programme dans lequel les jeunes athlètes sont suivis et accompagnés dans toutes les sphères de leur développement.

Sur ce point, André Barette, enseignant de formation et responsable du volet scolaire et administratif du Centre, précise qu’en effet, en adhérant au programme, les jeunes sont complètement pris en charge. Tennis Canada offre des programmes de nutrition, de psychologie sportive, de mise en forme, de scolarité et d’hébergement. « C’est un programme tout inclus », ajoute Barette.

En 2007, les responsables du programme croyaient que cet encadrement allait permettre aux joueurs d’atteindre de nouveaux sommets et d’exploiter leur plein potentiel.

Au départ, la mission du Centre national était de pouvoir tirer vers le haut la popularité et l’intérêt du tennis d’un océan à l’autre. « Après 15 ans, on a des athlètes qui se sont rendus très haut au classement mondial, donc l’effet est vraiment là. Les différents clubs sont bondés, il y a de l’intérêt, ça s’est concrétisé », explique l’enseignant.

Au fil de tout ce processus, Borfiga ne s’est jamais remis en question. C’est peut-être le fait que le chauffeur de ladite locomotive n’a jamais flanché qui fait que le Centre connaît un succès incontesté.

Je n’ai jamais douté un instant qu’en ayant les meilleurs entraîneurs et toute l’infrastructure, qu’on ne produirait pas des joueurs.

Louis Borfiga

Un projet ambitieux

Dans la plupart des fédérations sportives, le recrutement, le développement et la promotion du sport se font habituellement en passant par la base. Comme c’est le cas actuellement en ski de fond, en cyclisme ou au golf.

Pourtant, Tennis Canada a décidé d’abord de s’adresser à l’élite, se disant qu’en formant ceux qui sont déjà considérés comme les plus beaux espoirs au pays, ceux-ci auraient plus de chances de percer et, donc, d’encourager la base à agripper une raquette et commencer à jouer au tennis. Les maîtres à penser comptaient beaucoup sur l’effet d’entraînement qu’allaient pouvoir provoquer les victoires à l’étranger des joueurs canadiens.

Louis Borfiga convient que « c’était un projet ambitieux ». « On a fait le pari d’avoir une élite forte qui allait attirer plus de pratiquants. »

André Barette abonde dans le même sens : « On pensait que cette façon de procéder pouvait être très fructueuse. » Il précise tout de même que Tennis Canada a quand même continué d’appuyer les joueurs de tout acabit en restant près des fédérations provinciales. Il avoue toutefois que le Centre a eu la chance de pouvoir compter dès le départ sur des talents comme Milos Raonic et Eugenie Bouchard. « Ça a donné un élan et ça a convaincu les autres que passer par ici était peut-être la bonne façon de faire. »

Miser sur si peu de joueurs était tout aussi risqué. Comme Guillaume Marx l’avance, le Canada n’a pas le même bassin de joueurs que des pays comme la France, l’Espagne et l’Allemagne. C’était encore moins le cas à l’époque. Si bien qu’au départ, le programme basait ses succès, et surtout ses espoirs, sur deux ou trois joueurs. Aujourd’hui, les choses ont changé, il y a de plus en plus d’espoirs, mais autrefois, la marge d’erreur était infiniment mince.

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Guillaume Marx

Ce qui nous a aidés, c’était de réussir avec les joueurs qu’on avait. Il fallait être très proactifs et bien utiliser nos ressources à chaque étape du développement des jeunes.

Guillaume Marx, chef de la performance chez Tennis Canada

Heureusement pour le programme, Tennis Canada a pu profiter des coffres de l’Omnium Banque Nationale. Le tournoi annuel est aussi un bon indicateur du taux de popularité du tennis. Évidemment, Eugène Lapierre, directeur de l’OBN et vice-président du tennis professionnel chez Tennis Canada, croit que même si le projet était risqué dans une certaine mesure, le solage financier procuré par le tournoi a permis d’établir des bases solides. « On avait de plus en plus de sous et de moyens pour faire quelque chose et développer le sport. »

Louis Borfiga ne passe pas par quatre chemins lorsqu’il fait le bilan du travail accompli : « On peut vraiment dire, 15 ans plus tard, que le plan de Tennis Canada s’est concrétisé. »

La tendance est au changement et c’est le Centre national qui l’a orchestré. Un programme qui demeure relativement méconnu, même s’il est la pierre angulaire de la révolution tennistique du Canada. « Si ce n’est pas tout le monde qui sait qu’un Centre national a été créé, tout le monde est capable de percevoir qu’il s’est passé quelque chose depuis une décennie. Il y a eu un changement de mentalité », soulève Eugène Lapierre.

Tous les intervenants rencontrés ne doutent pas que le Centre national est là pour de bon et que le Canada réserve une tonne de belles surprises au reste de la planète tennis.