La fine fleur du tennis mondial se réunit cette semaine à Rome, où hommes et femmes joueront sur les mêmes courts, dans des matchs du même format trois de cinq, dans le même tournoi qui vend le même billet au même prix pour les matchs masculins et féminins.

La principale différence ? Les hommes se disputeront 8,5 millions de dollars, tandis que les femmes, 3,9 millions.

Elles joueront à moitié prix, et ce, après avoir disputé trois tournois d’importance similaire en Californie, en Floride et à Madrid, où hommes et femmes se sont partagés des bourses égales. Joueuses et joueurs sont aussi payés également lors des quatre tournois du Grand Chelem, où les hommes jouent des matchs trois de cinq et les femmes, format deux de trois.

Mais pas à Rome lors des Internationaux d’Italie. Ni à Cincinnati, à l’Omnium Western & Southern. Ni à Montréal et à Toronto, à l’Omnium Banque Nationale.

Angelo Binaghi, patron de la fédération italienne de tennis, a récemment promis que Rome atteindra l’équité salariale d’ici 2025 « pour s’aligner sur les autres évènements majeurs du circuit ». Pourtant, un format élargi rapportera plus d’argent dès cette année. En attendant, les femmes devront faire le même travail pour des bourses moindres, ce qu’elles ont un peu de travers dans la gorge.

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Paula Badosa

« Pourquoi n’est-ce pas égal maintenant ? », demande Paula Badosa, une Espagnole de 25 ans et une des dirigeantes de l’Association des joueuses de tennis professionnelles, un nouveau regroupement. « Ils ne nous informent pas. Ils disent : voici vos bourses et vous devez jouer. »

« C’est vraiment frustrant », a déclaré la Tunisienne Ons Jabeur, deux fois finaliste de tournois du Grand Chelem en 2022 et quatrième tête de série cette semaine à Rome. « Ça doit changer. Il est temps que le tournoi fasse mieux », a-t-elle déclaré mardi.

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Ons Jabeur

Selon Steve Simon, PDG de la WTA, qui gère le circuit féminin au nom des tournois et des joueuses, l’écart des bourses est le reflet d’un marché qui accorde plus de valeur financière aux sports masculins qu’aux sports féminins, surtout au chapitre des commandites et des droits de diffusion. Le circuit travaille à un modèle qui permettrait d’atteindre d’ici quelques années l’équité salariale dans les principaux tournois, ajoute-t-il.

« On est encore loin du but, mais ça avance », a déclaré M. Simon lundi.

Le Canada sous la loupe

Pourquoi les joueuses sont-elles encore si mal loties ? On peut parler d’un sexisme bien ancré, de mauvais accords avec les propriétaires de tournois et de la nature prédatrice de l’industrie du sport, où propriétaires, officiels et organisateurs blâment souvent les athlètes (plutôt que leur incompétence) pour les revenus moindres. Une excuse pratique pour ne pas investir dans le sport et ne pas augmenter les bourses.

Au tennis, les femmes sont souvent au bas de l’affiche des tournois mixtes (horaires moins attrayants, courts plus petits, parfois mêmes hôtels plus modestes). À Madrid, la semaine dernière, les finalistes du double féminin n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer lors de la remise des prix. Les hommes, oui.

La WTA s’est parfois tirée dans le pied. Dans les tournois mixtes les plus importants, la présence est obligatoire pour les femmes et les hommes. La WTA n’exige la participation qu’aux tournois d’Indian Wells, de Miami Gardens, de Madrid et de Pékin, mais pas à ceux de Rome, du Canada ou de l’Ohio, bien que ces évènements soient cotés juste sous les tournois du Grand Chelem en termes d’importance. En outre, la WTA attribue un peu moins de points au classement que le circuit masculin à Rome, au Canada et en Ohio, où la championne reçoit 900 points et le champion, 1000.

Ces différences mineures ont donné aux tournois une excuse pour sous-payer les joueuses, même si presque toutes les meilleures participent aux grands tournois facultatifs, sauf en cas de blessure. Les organisateurs affirment que sans participation obligatoire, les commanditaires et les diffuseurs locaux ne paieront pas autant.

Marc-Antoine Farly, de Tennis Canada, a invoqué cette différence lorsqu’on lui a demandé pourquoi l’Omnium Banque Nationale avait offert 5,9 millions aux hommes en 2022 et seulement 2,53 millions aux femmes.

Malgré cet écart, l’équité entre les sexes « est très importante pour notre organisation », a dit M. Farly.

Tennis Canada s’est récemment donné comme objectif l’équité salariale à tous les niveaux d’ici cinq ans et des bourses égales à l’Omnium Banque Nationale d’ici 2027. « Durant les prochaines années, Tennis Canada entend jouer un rôle de premier plan, de concert avec la WTA, dans le cadre d’un plan de développement visant à combler l’écart entre les bourses de la WTA et de l’ATP. »

Comme presque tout dans l’industrie du tennis professionnel, la formule des bourses est complexe. Les propriétaires des tournois allouent aux bourses une part des recettes au guichet, des droits de diffusion nationaux et des commandites. La WTA et l’ATP contribuent à partir de leurs propres droits de diffusion et commandites, et aussi à partir des sommes versées par chaque tournoi pour acquérir sa licence.

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Steve Simon, PDG de la WTA

Selon Steve Simon, la WTA rapporte beaucoup moins que le circuit masculin, l’ATP, donc elle a moins d’argent à consacrer aux bourses.

La suite

Cela dit, si l’égalité des prix est importante pour les propriétaires de tournois, ils peuvent décider de la financer et de payer. C’est ce que l’Omnium BNP Paribas d’Indian Wells, propriété du milliardaire technologique Larry Ellison, fait depuis plus d’une décennie dans le cadre de son contrat avec la WTA.

Outre les fédérations italienne et canadienne, la United States Tennis Association (USTA), qui se targue pourtant d’être le fer de lance de l’équité salariale, n’a pas accordé le même montant aux joueurs et aux joueuses à l’Omnium Western & Southern, un des tournois préparatoires aux Internationaux des États-Unis : en 2022, à Mason, en Ohio, les hommes se sont partagé 6,28 millions, les femmes, 2,53 millions. En 1973, l’Omnium des États-Unis est devenu le premier tournoi du Grand Chelem à offrir des prix égaux et fêtera le 50anniversaire de l’équité en grande pompe cet été. La USTA a géré le tournoi de Cincinnati pendant plus d’une décennie.

Selon Chris Widmaier, porte-parole de la USTA, les prix sont « dictés par le niveau de compétition proportionnel déterminé par chaque circuit ». En d’autres termes, puisque le Western & Southern n’était pas une épreuve obligatoire de la WTA et que les femmes concouraient pour 10 % de points de classement en moins, il était justifié de leur verser 40 cents pour chaque dollar reçu par les hommes.

L’été dernier, la USTA a annoncé la vente du tournoi à Ben Navarro, un financier de Caroline du Sud et un passionné de tennis. Il n’a pas souhaité être interviewé pour cet article.

De l’aide est peut-être en route.

Au début de l’année, la société de capital-risque CVC Capital Partners a acheté 20 % d’une filiale de la WTA pour 150 millions de dollars. Cet investissement servira à renforcer les efforts de vente et de marketing et sera combiné à un plan stratégique en cours de finalisation qui éliminerait les différences entre les compétitions masculines et féminines lors des évènements mixtes. Tout cela devrait aider la WTA à accroître ses revenus et ses contributions aux bourses… et, peut-on espérer, inciter les organisateurs de tournois à s’engager en faveur de l’équité salariale dans les années à venir.

Ce plan exige de la patience de la part des joueuses, qui commencent à en manquer.

« Je ne vois pas pourquoi nous devrions attendre », a déclaré Ons Jabeur.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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