(Toronto) Gabriel Diallo est comme un sac à surprises. On ne le voit que dans les grandes occasions, tout le monde le remarque quand il entre dans une pièce et personne ne sait vraiment ce qui se trouve à l’intérieur. Ce savant joueur d’échecs capable de parler le russe aurait pu obtenir une maîtrise dans presque n’importe quel domaine, mais il a préféré jouer au tennis.

Diallo est différent. Il l’est de ses contemporains et de ses rivaux sur le circuit de l’ATP. Le Québécois n’est pas seulement grand, à 6 pi 8 po. Il est aussi extrêmement talentueux, curieux et réfléchi. Lorsqu’on lui pose une question, il emprunte des secondes au temps pour livrer une réponse sensée.

Ce n’est que récemment qu’il a compris qu’il détonnait de la masse. « En grandeur, vers 17, 18 ans, quand je suis arrivé à l’université. En termes de talent aussi », raconte-t-il, confortablement assis dans le centre des médias du Sobeys Stadium, dans le cadre d’un entretien avec La Presse, dimanche matin.

Il revenait tout juste d’une obligation promotionnelle. C’est pourquoi il s’est présenté avec une raquette à la main.

Mais si Diallo est unique, c’est grâce à son désir d’être plus qu’un joueur de tennis. L’athlète de 21 ans doit cette motivation à ses parents. « Ils ne voulaient pas que le tennis soit mon identité, parce que ça s’arrêtera un moment donné », explique-t-il, vêtu d’un chandail noir de marque Adidas.

Enfant, Diallo a donc suivi des cours d’échecs, en plus de participer à des tournois. Il a également fait des concerts de piano, suivi des cours de ballet, essayé la gymnastique et pratiqué la natation.

Il est aussi un avide lecteur et un grand mélomane. « Mes parents m’ont fait lire, beaucoup ! J’ai aussi toujours écouté énormément de musique. »

Lorsqu’il était à l’Université du Kentucky, le Montréalais étudiait en finance. Un autre domaine auquel il s’intéresse. « En dehors du tennis, ça a toujours été important pour mes parents que je développe plusieurs atouts et ça a créé une curiosité en moi, qui fait que je n’ai plus besoin de mes parents pour être curieux. Si je suis intrigué par un auteur ou qu’un livre m’intéresse, je vais aller le chercher. C’est très naturel », souligne la 140raquette mondiale.

PHOTO ALFREDO ESTRELLA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Gabriel Diallo

Le fruit d’une riche union

Diallo est né d’un père guinéen et d’une mère ukrainienne. Ses parents se sont rencontrés en Russie, pendant leurs études, et ils ont ensuite déménagé à Montréal quelques années avant la naissance de leur fils.

« Ça fait une belle diversité, c’est certain. Et aussi ça m’aide parce que je parle russe et les gens ne le savent pas. Je peux entendre les gens parler russe et faire comme si je ne comprends rien, mais en secret, je comprends tout », glisse-t-il, pas peu fier.

Les liens qu’il entretient avec sa famille sont primordiaux. « D’où on vient, c’est ce qui fait qui on est », rappelle-t-il. Sa grand-mère maternelle vit dans la maison familiale, dans la métropole québécoise, et sa famille du côté paternel le suit depuis l’Afrique.

Même si son arbre généalogique étend ses racines sur deux autres continents, il retrouve dans les cultures guinéenne et ukrainienne de ses prédécesseurs un facteur commun : le partage. « Ils sont très orientés vers la famille, vers le partage. Ils ont les mêmes valeurs, tant du côté de la famille de ma mère que de mon père. J’essaye de prendre le meilleur des deux mondes, et ça donne qui je suis aujourd’hui. »

Toujours en progression

Diallo fait partie de cette nouvelle génération de joueurs prometteurs formés par Tennis Canada. S’il est à 21 ans le 140joueur mondial et qu’il aspire au top 100 avant longtemps, c’est certainement parce qu’il est doté d’un talent dont plus personne ne doute. Lui le premier.

Contrairement à nombre d’athlètes professionnels, il n’était pas prédestiné à connaître une telle ascension.

C’est seulement pendant son passage dans la NCAA qu’il a compris qu’il détenait le potentiel de gagner sa vie grâce au tennis, notamment grâce à l’intervention de deux coéquipiers au Kentucky.

« À ma première année, je jouais à la quatrième position [au quatrième rang des meilleurs joueurs de l’équipe], puis je ne performais pas très bien. Je ne répondais pas à mes propres attentes, se souvient-il. Et à un moment donné, deux de mes coéquipiers m’ont assis après une mauvaise défaite pour me dire : ‟Je ne sais pas si tu te rends compte, mais tu as un potentiel et un talent que nous, on n’a pas”. Ça m’a ouvert les yeux. »

Donc, jamais au début de l’adolescence n’a-t-il pensé avoir le talent nécessaire pour pouvoir même rêver à une carrière dans le monde du tennis.

« Non, non, non », a-t-il répondu en hochant de la tête suffisamment fort pour faire bouger les nombreuses chaînes en or autour de son cou.

À 12, 13 ans, j’étais parmi les meilleurs au Québec, top 10, top 8, mais je ne brisais rien. Il y a toujours eu une progression, mais ça a pris du temps.

Gabriel Diallo

Jusqu’à il y a quelques mois, son plan était de finir ses études. « J’allais graduer de l’université après quatre ans, peut-être cinq, et faire une maîtrise et tranquillement voir comment ça allait se passer étape par étape. Les choses se sont passées beaucoup plus vite que j’aurais pu l’espérer. »

Il fait aujourd’hui partie du tableau d’un tournoi Masters 1000 pour la première fois.

« Être parmi les 150 meilleurs joueurs au monde, dans n’importe quelle discipline, c’est un privilège, estime Diallo. J’ai donc décidé de travailler et de faire quelque chose avec ce talent. »

Il s’acharne donc à développer son « arsenal d’outils le plus possible », sur le terrain comme à l’extérieur, car le tennis fait partie de sa vie, certes, mais le tennis n’est pas toute sa vie.