(Toronto) Alexis Galarneau est de moins en moins souvent dans la même ville que le reste de sa famille. Travail oblige. Pour remédier à la situation, c’est sa famille qui est venue à lui à Toronto.

« Parfois, j’ai 122 messages non lus sur notre groupe Messenger, parce que les grands s’envoient des niaiseries », raconte Chantal Denis, la mère du clan Galarneau, dans le salon des médias du stade Sobeys.

Les grands, ce sont ses deux fils aînés, Max-Olivier, 31 ans et entrepreneur immobilier, et Félix, 30 ans, gestionnaire logistique. Pendant les 20 minutes qu’a duré la rencontre, les deux frères s’envoyaient des pointes drolatiques, comme le font les frangins, finalement.

Sur la banquette d’en face, juste à la gauche de sa mère, était assise Émilie-Anne, la seule fille de la fratrie.

« Je suis venue d’Asie directement, parce que je ne voulais pas manquer ça sachant qu’il avait un laissez-passer », raconte l’actuaire de 26 ans.

Mme Denis l’a évoqué, « on est vraiment tissé serré et quand on est ensemble, c’est vraiment plus le fun », mais il n’aurait pas été nécessaire de le souligner, tellement c’était perceptible.

Après tout, ce serait difficile d’avoir le moral dans les talons. Le cadet de la famille, Alexis, allait disputer un match de Masters 1000 sur le court central pour la deuxième année consécutive à l’Omnium Banque Nationale.

« Chaque fois, on se sent un peu plus en vacances. On met tout sur pause. Tout le monde manque le boulot pour suivre Alexis. Personne n’est fâché. Tout le monde est content d’être là », explique la cheffe de clan au sujet de ces voyages en famille pour suivre Alexis.

En fait, ç’a toujours été le cas, se souvient l’aîné du groupe : « À 14, 15 ans, si tu me donnais le choix d’aller voir Alexis aux Championnats canadiens à 12 ans ou aller voir le Canadien [de Montréal] et être assis près de la baie vitrée, je serais allé voir Alexis. »

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Alexis Galarneau à l’Omnium Banque Nationale, en 2022

« C’est le fun, parce qu’on est quand même des fans de tennis à la base, soutient Félix. On a joué au tennis plus jeunes. On trippe ! »

Ne pas être l’exception

Comment une mère de famille ayant élevé quatre enfants sportifs peut-elle ne pas mettre sur un piédestal le seul en ayant fait une carrière ?

« On s’en occupe, nous autres », lance sans avertissement Félix, avant d’éclater de rire. Soudainement, une harmonie de rictus a comblé tout l’espace de la pièce.

« C’est le running gag dans la famille », précise la mère, avant que Max-Olivier rajoute : « On la niaise, on lui dit qu’Alexis, c’est le chouchou. Même lui, on le niaise aussi avec ça ! »

En vérité, il n’y a jamais eu de favoritisme. La clé a été « d’avoir des liens différents avec chacun des enfants », explique Émilie-Anne.

Mais ultimement, Alexis aurait rejeté l’idée de se faire traiter différemment ou plus favorablement, affirme Max-Olivier : « Ça fait partie de sa personnalité de ne pas vouloir toute l’attention. Il ne veut pas être spécial. Il s’en fout. »

La pression

À Toronto, il aura le luxe de jouer devant les siens, même si c’est un environnement qu’il connaît bien. « Ça fait assez longtemps qu’on le fait que c’est rendu une habitude pour lui », estime Félix.

Néanmoins, éviter de parler de tennis demeure, selon eux, la meilleure solution pour réduire la nervosité supplémentaire. « Tu pourrais regarder chacune de nos discussions individuelles avec Alexis et on ne lui parle jamais de tennis, soutient Max-Olivier. Je pense que ça ne lui tente pas de s’en faire parler. Il en parle toute la journée. »

Sa sœur est convaincue que le 192e joueur au monde « sera très stressé pendant son match », lundi, par peur de décevoir le quatuor. « On pense beaucoup à lui justement, pour ne pas trop lui en parler, pour ne pas le stresser. »

Ses premiers coéquipiers

À 24 ans, Galarneau vient tout juste de percer le top 200, grâce à sa victoire au tournoi de Granby il y a quelques semaines.

Pourtant, la période la plus impressionnante de son parcours, se souvient Félix, remonte à ses débuts, vers l’âge de 8 ans, lorsqu’il a commencé à jouer avec ses frères.

Max et moi, on l’a starté au parc du quartier en juin. En septembre, il entrait à Tennis Montréal, après chez Tennis Québec en octobre, et l’été d’après avec Équipe Canada des 12 ans et moins. De 8 à 11 ans, c’est là que ç’a été le plus fulgurant.

Félix Galarneau, au sujet de son frère Alexis

Max-OIivier est sans équivoque : « Il n’a jamais été poche ! Les premières balles qu’il frappait, c’était bien. C’était surprenant. Il nous regardait jouer, seul, et à un moment donné il est venu jouer. »

C’est sans doute pour ça que la première chose dont il a été question dans son discours de remerciement, à Granby, concernait sa famille.

« Ça nous a donné les larmes aux yeux », confirme sa mère.

« J’ai mis mes lunettes de soleil dès qu’il a gagné », précise Félix.

La plus belle marque d’amour à leur égard, croit-elle, c’est qu’Alexis « ne tient jamais pour acquis » leur soutien ou leur présence.

Sa sœur était à Bali au moment du triomphe. « C’était la nuit en Asie, j’étais à Bali, et il y avait eu des délais, donc je suis restée devant mon ordi. Mon chum me disait qu’il était rendu 4 h du matin et qu’il fallait que je dorme, mais je voulais vraiment l’écouter. Et il [Alexis] l’a dit dans son entrevue d’après-match que je devais sûrement l’avoir regardé. »

La Team Galarneau

Lorsqu’Alexis a gagné à Granby, c’est toute sa famille qui a gagné. Ses proches en sont convaincus, et ce n’est pas parce qu’ils veulent s’approprier son succès. C’est plutôt parce qu’ils savent qu’ils ont quelque chose à y voir.

Et ce, dans tous les aspects de la vie de chacun des cinq membres du clan.

« Quand on dit Team Galarneau, ce n’est pas pour rien. Notre mentalité, quand un de nous gagne, c’est comme si tout le monde gagnait. Si mon frère, dit Max-Olivier en regardant Félix, a une promotion à son travail, j’ai gagné quelque chose, je suis content autant que lui. »

En fait, « il travaille tellement fort et il fait tellement de sacrifices, dont on a été témoins tout au long de notre vie, qu’on veut autant que lui qu’il réussisse », poursuit Émilie-Anne.

Pendant que frères et sœur s’échangeaient les compliments, la mère, elle, admirative et fière, les regardait avec le sentiment d’avoir réussi quelque chose d’immense. Parce que les plus grandes réalisations viennent souvent des petites choses. Même si être la colonne vertébrale d’une famille aussi soudée est sans doute le plus bel accomplissement dont une mère puisse rêver.

« Pour moi, ç’a été la chose la plus importante. Je me suis toujours assurée qu’il n’y ait jamais de chicane pour ne jamais briser leur relation. […] Et je n’ai jamais fait de comparaison entre eux. Qu’ils soient les quatre si proches ensemble, c’est ma plus belle réussite. Et je pense que ça va toujours rester. »

Après 20 minutes à discuter avec la famille, à 500 kilomètres de leur Laval natal, le constat était sans appel : la mère de Max-Olivier, Félix, Émilie-Anne et Alexis pourra vivre le reste de ses jours avec le sentiment du devoir accompli.