La rivalité entre Carlos Alcaraz et Novak Djokovic n’a pas fini de faire jaser.

Lorsqu’ils s’affrontent, c’est comme si les deux joueurs les mieux polis de l’ère moderne voulaient offrir au monde entier le tennis le plus beau et le plus achevé. Parce que Djokovic est le meilleur de l’histoire et qu’Alcaraz ira sans doute lui ravir le titre un de ces quatre. Mais qu’ont-ils de si exceptionnel ?

Robby Ménard est l’un des analystes les plus réputés du tennis canadien. Entraîneur, spécialiste des statistiques avancées et analyste au Réseau des sports, Ménard côtoie certains des meilleurs joueurs au monde dans le cadre de son travail.

Il était donc la personne toute désignée pour mettre en mots la stupéfaction généralisée ayant émergé des deux derniers duels entre Alcaraz et Djokovic en finale des tournois de Wimbledon et de Cincinnati. Parce que souvent, la perfection est difficile à expliquer. Après tout, Baudelaire a déjà insisté sur le fait que l’étrangeté est le condiment nécessaire à toute beauté.

L’arrivée en trombe du jeune prodige espagnol rappelle à Robby Ménard celle de Roger Federer au tournant des années 2000.

« Federer est arrivé avec un style de jeu que les gens avaient rarement vu. Un gars capable de se défendre. On a toujours vu la rapidité de Federer et sa capacité à être incroyable en défensive, mais capable aussi de faire du service-volée, des coups de touche extraordinaires et prendre la balle parfois super tôt. Alcaraz, c’est la même chose. Il arrive avec une panoplie de possibilités dans son jeu qui fait wow. Il fait tout. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Roger Federer au tournoi de Montréal en 2003

Même que selon Ménard, Alcaraz a un atout de plus que Federer : « Il n’est pas grand, mais il est extrêmement explosif au niveau musculaire. Il est déjà mature physiquement. […] Comme Federer, c’est une technique parfaite pour un gars hyper explosif, mais encore plus puissant que Federer, naturellement. »

Federer est aux yeux de plusieurs le père du tennis moderne. Notamment en raison de sa technique irréprochable. C’est l’Australien Peter Carter qui lui avait tout appris, à l’époque. Si beaucoup se souviennent de son revers à une main fluide et ample, le Suisse a réussi à faire sa place dans l’histoire davantage grâce à son coup droit. Justement brossé, tôt dans le rebond et imprévisible.

Alcaraz, sur ce point, est semblable à son idole, croit Ménard : « Sur tous ses coups, il est extrêmement compétent. Techniquement, c’est beau comme ça ne se peut pas. Surtout ses enchaînements mécaniques. »

Celui qui résiste

De l’autre côté, malgré ses 36 ans, Djokovic refuse de laisser le plancher à qui que ce soit. Surtout à un jeunot à peine débarqué, malgré tout le respect qu’il a pour lui.

Djokovic est un battant et s’il joue encore, c’est pour gagner. Alcaraz l’a appris à ses dépens à Cincinnati.

« Djoko m’impressionne toujours par sa capacité à se renouveler sur des détails », explique Robby Ménard. Il a toujours été efficace contre les meilleurs joueurs, car « il jouait en cadence, tôt et proche de la ligne, et il contrait les forces des autres ».

Depuis l’éclosion de Carlito, et des autres jeunes pousses du circuit, Djokovic a dû s’adapter. S’il est toujours le meilleur joueur sur la planète, c’est parce qu’il trouve encore le moyen de s’améliorer, croit Ménard : « Il a travaillé son jeu offensif, pour ne pas être juste un contreur. Il est meilleur en deuxième balle de service, il est meilleur avec sa première. Il prend un peu plus de risques à attaquer les deuxièmes et à enchaîner deux coups de qualité. »

Une nouvelle rivalité

Même si voir Alcaraz et Djokovic s’échanger les politesses est un régal, le plus triste est de comprendre que cette rivalité ne durera pas éternellement, car l’un démarre sa carrière et l’autre est presque au bout de la sienne. Au moins, leurs quatre premiers affrontements, surtout les deux plus récents, ont été exquis.

« C’est naturel. C’est comme [Pete] Sampras et [Andre] Agassi. Sampras, c’est service-volée et Agassi jouait tout. Tellement le fun à voir. Comme [Björn] Borg et [John] McEnroe, c’étaient des feux d’artifice », rappelle Robby Ménard.

« Là, ce qui est encore plus intéressant, dit-il au sujet des affrontements entre le Serbe et l’Espagnol, c’est qu’on ne sait pas tout le temps où ça s’en va. Parfois, les deux vont jouer super tôt, après, un recule davantage. »

À l’intérieur d’un match, il y a des moments où l’un va jouer un petit peu différemment et l’autre va devoir s’adapter. C’est dans les nuances et c’est un spectacle extraordinaire.

Robby Ménard, entraîneur, spécialiste des statistiques avancées et analyste au Réseau des sports

La bonne nouvelle, selon Ménard, c’est que l’épanouissement précoce d’Alcaraz pourra maintenir Djokovic actif plus longtemps que prévu : « Djoko veut battre le meilleur. Et Alcaraz va donner un an ou deux de plus à Djokovic, parce qu’il sera motivé à se dépasser. »

Et si cette prédiction s’avère, personne ne s’en plaindra.