Il y a dans chaque couronnement quelque chose d’à la fois historique, poétique et romantique. Celui de Coco Gauff aux Internationaux des États-Unis ne fait pas exception.

Après qu’elle a planté son dernier revers gagnant dans le fond du terrain, Gauff s’est laissée tomber à la renverse. En larmes, l’adolescente de 19 ans venait de devenir une championne. Quoiqu’aux yeux de ses compatriotes américains, elle est plutôt devenue une reine.

Immédiatement après avoir battu Aryna Sabalenka en trois manches de 2-6, 6-3 et 6-2, samedi, elle s’est empressée de monter dans les gradins du stade Arthur-Ashe de New York pour aller embrasser les membres de sa famille.

Au passage, elle a salué chaque partisan et touché chacune des mains qui ne tenaient pas un téléphone cellulaire. Comme une souveraine défilant devant ses sujets.

La gamine qui rêvait d’imiter Serena et Venus Williams est devenue une championne unanimement vénérée.

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Coco Gauff et Aryna Sabalenka à la fin du duel

Après tout, les États-Unis se cherchaient une nouvelle idole. Depuis le déclin de Serena, le tennis américain se cherche. Gauff est devenue la deuxième joueuse locale qui ne s’appelle pas Williams à remporter le majeur new-yorkais en 25 ans.

Et c’est devenu évident au cours des derniers mois : elle est prête à reprendre le flambeau.

L’adaptation

La native de Delray Beach, en Floride, se frottait tout de même à Aryna Sabalenka. La Biélorusse s’emparera lundi du premier rang mondial, et elle apparaît sans conteste comme la meilleure joueuse de la planète en 2023. Avec le titre aux Internationaux d’Australie et des demi-finales à Roland-Garros et à Wimbledon, la joueuse de 25 ans est arrivée sur le court central avec confiance. Et à raison.

La première manche a été complètement à l’avantage de la Biélorusse, même si elle traînait certains déchets dans son jeu. Son coup droit était irrégulier et ses premières balles de service brisaient son rythme. Mais en grande championne qu’elle est, elle a camouflé ses erreurs par de bons schémas tactiques.

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Coco Gauff a cédé à l’émotion après sa victoire.

Gauff est faible sur le coup droit, et elle est la première à le reconnaître. Sabalenka a mitraillé son adversaire sur le coup droit et ça a payé.

Gauff revenait tout de même de deux triomphes en trois semaines. À Washington et Cincinnati. Sa nouvelle association avec son entraîneur Brad Gilbert a porté ses fruits récemment.

« Honnêtement, merci à tous ceux qui n’ont jamais cru en moi. Il y a un mois, j’ai gagné un tournoi de catégorie 500, et les gens ont dit que ça allait s’arrêter là. Il y a deux semaines, j’ai gagné un Masters 1000, et les gens ont dit que c’était la plus grosse récompense que j’allais avoir. Et trois semaines plus tard, je suis ici avec ce trophée. […] Alors ceux qui pensaient verser de l’eau sur mon feu, vous avez plutôt ajouté de l’essence, et ce feu brûle tellement fort en ce moment ! », a lancé la championne au terme de la rencontre.

Si, pendant cette finale, l’eau a été son coup droit défaillant, son carburant a été les fautes commises par Sabalenka.

Car pour gagner, l’Américaine a utilisé la plus vieille recette du monde : laisser son adversaire commettre des erreurs.

C’est la clé au tennis, pour les professionnels comme pour les débutants dans un parc de quartier. Si un adversaire s’embourbe, il faut le laisser faire.

Parce que Gauff avait de la difficulté à rivaliser avec la puissance de Sabalenka, elle lui a proposé des balles plus arquées, moins fortes et plus bombées à partir du milieu de la deuxième manche. Cette stratégie a ralenti la cadence et la Biélorusse s’est sentie piégée et désorientée. Gauff venait de l’étouffer en lui retirant son oxygène peu à peu.

Sur chaque point important, en situation de bris notamment, Sabalenka ratait avec régularité sur le coup droit.

En outre, elle n’est jamais parvenue à modifier son plan de match. Elle continuait de viser le coup droit de Gauff pour renverser le jeu en croisé par la suite. Mais la future championne américaine a su s’adapter.

« Je savais que si je donnais tout ce que j’avais, je pouvais gagner », a déclaré Gauff.

Après tout, les plus grands savent que peu importe comment débute un match, c’est la manière de le terminer qui compte.

Et Gauff a conclu celui-ci en pleurs. Agenouillée au centre d’un stade devenu son royaume. Comme une reine dont le monde entier, en liesse, acclame son accession au trône.

« Quand tu es passé à travers des turbulences et des moments de doute, ce genre de moment est plus salvateur que j’aurais pu l’imaginer », a résumé la finaliste de Roland-Garros en 2022.

Lourde défaite

Dans toute cette ivresse, Sabalenka versait toutes les larmes de son corps. Sur le podium, pendant la présentation des trophées, elle a été incapable d’enchaîner deux phrases sans être submergée par le chagrin.

Si elle pleurait, ce n’est sans doute pas seulement parce qu’elle venait de perdre. Elle savait qu’elle aurait dû gagner cette finale, et parler la dernière lors de cette présentation.

« Je sais que ma famille a veillé très tard pour me regarder. Je suis désolée de ce résultat », a-t-elle dit après de longues secondes loin du micro à essayer tant bien que mal de retenir ses sanglots.

Sabalenka s’est transformée au cours de la dernière année. La joueuse qu’elle était il y a un an à peine n’aurait jamais surmonté un déficit de 0-6 et 3-5 en demi-finale face à Madison Keys.

Mais chassez le naturel, il revient au galop. Le pire ennemi de Sabalenka, c’est elle-même. Lorsqu’elle aperçoit un peu de noirceur, tout s’éteint. Tendance qu’elle était parvenue à surmonter dans les tournois d’envergure cette saison. La preuve, elle figure désormais au sommet du classement.

Je pense que j’ai appris à gérer mes émotions et me recentrer sur moi-même. Je crois que c’est la chose dont je suis la plus fière cette année.

Aryna Sabalenka

Avec 46 fautes directes et 51 % de jeux gagnés en première balle, il est impossible de gagner une finale de tournoi majeur. Plus le moment était grand, plus Sabalenka s’emmêlait dans ses pinceaux. Les mauvaises langues diront que Sabalenka a perdu ce match plus que Gauff ne l’a gagné.

Et dans une certaine mesure, c’est peut-être vrai. Mais il n’y a pas de petits triomphes. Il n’y a que de grands moments. Et Coco Gauff devra s’attendre à en vivre plein d’autres.