« Il y a un tempo avec lequel chaque joueur se sent plus à l’aise », explique Gabriel Diallo en cognant sur l’une des tables de la salle à manger du centre national avec ses jointures pour créer une mélodie.

Diallo a laissé La Presse assister à un entraînement avant d’amorcer les derniers tournois de sa saison. De voir la 136e raquette mondiale d’aussi près a été plutôt révélateur. D’abord, pour la violence de chacun des contacts. Mais surtout pour la musique qui émane d’un échange à haute intensité.

Chez les amateurs, le son d’une balle est minime. Comme si on avait tourné le son du stéréo au plus bas. Or, avec des joueurs de ce calibre, le son est accentué de manière exponentielle. Comme si le manche de la raquette était branché sur un ampli. Et ce rythme, il sert de repère en plein match. Comme le son d’un métronome dans les oreilles d’un batteur un soir de concert rock.

« Quand tu frappes une demi-volée, tu essaies toujours que le son soit tok-tok, tok-tok, tok-tok », dit Diallo sans pause entre les deux syllabes tout en reproduisant la cadence avec ses mains sur la surface de la table.

« Tu ne veux pas qu’il y ait d’écart ou trop de temps entre le rebond et la frappe. »

Mélomane, joueur de piano à ses heures et consommateur récurrent de l’album Blond de Frank Ocean, Diallo continue, en expliquant le changement de rythme en fond de terrain.

« Tu essaies toujours de frapper la balle à son sommet. Ce n’est pas évident. En général, la balle rebondit et c’est comme tok-clic… tok-clic… tok-clic… », en alternant entre le contact de ses jointures et le claquement de doigts, pour reproduire le son de la surface. Il insiste surtout sur le léger espace entre les deux sons.

« Certains aiment ça être un peu plus proche de la ligne, d’autres aiment ça être un peu plus loin, mais le tempo aide énormément pour garder ton rythme », poursuit-il dans la même veine.

Comme dans un spectacle, battre la mesure devient un repère auquel s’accrocher. « Surtout quand ce sont des moments un peu plus tendus dans un match, dans les fins de manche où tu essaies de revenir dans les fondamentaux et de garder ça super simple », estime le joueur de 22 ans.

Un bilan positif

Diallo s’apprête à défendre le titre canadien acquis à la Coupe Davis l’année dernière. Difficile de prédire quel sera son rôle au sein de la formation nationale, mais nonobstant son éventuel apport, il dresse un bilan positif de sa première saison dans les rangs professionnels.

Le Montréalais occupait le 227e rang en début d’année et il aspirera l’an prochain à percer le top 100. Mais son principal fait d’armes demeure sa victoire au Challenger de Bratislava 2, en octobre. Il s’agissait de son deuxième titre en carrière après celui de Granby l’année précédente.

Et son passage à l’Omnium Banque Nationale de Toronto a aussi été très formateur. Il a notamment battu Daniel Evans, 21e joueur mondial au moment des faits. Et il a été combatif contre Alex de Minaur, éventuel finaliste de l’évènement.

« La progression est quand même flagrante », admet Diallo. Il est ravi d’avoir pu transformer certaines difficultés en munitions. « Mon service n’était pas une lacune, mais disons qu’il était un peu unidimensionnel. Il n’était pas aussi constant que je le souhaitais. Je retourne beaucoup mieux. Surtout en retour du coup droit. Je monte plus au filet aussi. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Gabriel Diallo

Pour son père

Plus important encore, Diallo s’est fait un nom cette saison. Peut-être qu’il n’est pas encore craint de tous, mais son nom résonne certainement beaucoup plus.

Et il est surtout fier de savoir que son nom de famille peut voyager. Qu’il puisse être écrit en majuscules dans des tournois aux quatre coins du monde et qu’il soit utilisé pour l’encourager. Parce que Diallo se définit beaucoup plus par son nom de famille que par son prénom.

« Beaucoup de fierté, surtout pour le côté de mon père », dit-il en décrochant un sourire franc.

Il parle de son père comme d’un homme s’étant levé pour aller travailler dans une usine d’informatique à 5 h du matin toute sa vie et qui rentrait crevé à 17 h. « Parfois, je ne le voyais pas pendant trois ou quatre soirs, parce que dès qu’il rentrait du travail, il allait dormir. »

Les Diallo ne sont jamais allés en vacances tous ensemble. « On allait parfois à Sandbanks faire du camping, mais on n’a jamais fait de gros voyages. »

Il a visité pour la première fois l’Europe l’année dernière et l’Asie cette année grâce au tennis. « Junior, je restais en Amérique du Nord seulement. »

Il a d’ailleurs dû s’habituer à cette nouvelle réalité.

Mais entre-temps, ce fils d’immigrants de la Guinée et de l’Ukraine a profité des sacrifices de ses parents. Il a trop d’estime pour eux pour même prétendre pouvoir leur rendre la pareille, mais il s’efforce au moins de les rendre le plus fiers possible.

Je ne pense pas que mes parents ont immigré au Canada pour le fun. Ils ne voulaient pas partir, mais ils n’ont pas eu le choix, ils sont venus ici, ils ont fait un travail qu’ils n’avaient pas nécessairement envie de faire. Eux, ils n’ont jamais vraiment eu l’option de se demander ce qu’ils voulaient faire.

Gabiel Diallo

Mais ils ont choisi la voie du tennis pour leur progéniture. Son but, maintenant, c’est de profiter de la chance dont ses parents n’ont jamais pu bénéficier.

« Ce que je fais, comparé à ce que mes parents ont fait, c’est que du bonus. […] Je pense que mon père est fier. Et en fin de compte, c’est mon but, rendre mes parents le plus fiers possible. »