En Australie, c’est le monde à l’envers. Non seulement en raison des fuseaux horaires et du décalage des saisons, mais parce qu’on semble aussi revenir dans le passé. Le tennis américain renaît, comme au plus fort des années 1990. Le talent est brut, les espoirs sont réels et le potentiel est immense. L’année 2024 sera celle des États-Unis.

Vous souvenez-vous de l’année 1995 ? Cette année-là, le spectacle Satire du monde de JiCi Lauzon a été nommé dans la catégorie spectacle d’humour au gala de l’ADISQ, le Canadien de Montréal a repêché l’énigmatique Terry Ryan au huitième rang et le film Forrest Gump a tout raflé aux Oscars.

Cette année-là, autour de l’Halloween, quatre Américains figuraient dans le top 10 du classement de l’ATP. Andre Agassi, Pete Sampras, Michael Chang et Jim Courier faisaient la pluie et le beau temps sur le circuit professionnel. On était en plein cœur des années de gloire du tennis américain. Ces quatre ténors ont été en quelque sorte les pères fondateurs du tennis moderne, du moins en Amérique du Nord.

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Andre Agassi à Wimbledon, en 1991

À l’instar de George Washington, John Adams, Thomas Jefferson et James Madison au XVIIIe siècle, ils ont inventé à leur façon une manière de faire. Ils ont à tout le moins créé des standards d’excellence. Standards qui ont été lourdement endommagés dans les années subséquentes.

Mis à part Andy Roddick, peu d’Américains peuvent se vanter d’avoir poursuivi la tradition instaurée par le quatuor à partir du milieu des années 1990. Or, les choses sont sur le point de changer. Et les Internationaux d’Australie pourraient être un tournant.

Une recrudescence

Taylor Fritz, Tommy Paul, Ben Shelton et Frances Tiafoe sont respectivement classés aux 12e, 14e, 16e et 17e rangs. Chacun d’entre eux cogne à la porte du top 10. Ils sont surtout mûrs pour faire un bon bout de chemin en tournoi majeur.

En 2023, Tommy Paul a perdu face à Novak Djokovic en demi-finale en Australie. Ben Shelton s’est aussi frotté au Serbe en demi-finale des Internationaux des États-Unis. Fritz et Tiafoe s’étaient rendus en quarts de finale de ce même tournoi.

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Tommy Paul de passage à Montréal, en août 2022

« Ces dernières années, ce qui a vraiment fait une énorme différence, c’est leur structure de compétition, explique Guillaume Marx, chef de la haute performance de Tennis Canada. Les joueurs américains bénéficient d’un nombre de tournois et d’opportunités de compétition à tous les niveaux qui est exceptionnel et qui est très difficile à reproduire. »

La preuve : Ben Shelton est parvenu à se hisser dans le top 100 sans jamais avoir quitté les États-Unis. Il a utilisé son passeport pour la première fois en janvier 2023 pour aller jouer en Australie.

Les ressources injectées dans le développement américain s’avèrent bel et bien payantes.

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Ben Shelton a battu Tommy Paul lors du U.S. Open, à New York, en septembre dernier.

« Nous, on voyage pour aller chercher des compétitions de qualité, mais eux, ils ont ça à domicile et ils en ont profité énormément, ajoute Marx. Ils font un investissement absolument énorme dans les tournois, en qualité de compétition, ce qui maintient leurs joueurs très motivés, sans avoir à se déplacer dans le monde entier. »

Fritz, Paul, Shelton et Tiafoe, groupe à qui on devrait attribuer un surnom digne des groupes rock des années 1980, sont la preuve qu’investir dans le talent peut rapporter des dividendes. Pour la première fois depuis un bail, le tennis américain peut rêver à un titre majeur individuel chez les hommes. Le dernier à en avoir remporté un est Roddick en 2003.

Et dans une année olympique, qui plus est, il est possible de croire à une médaille d’or.

Portraits de vedettes

Taylor Fritz est sans doute le joueur le plus mature des quatre. À 26 ans, il est depuis longtemps parmi les plus beaux projets du tennis américain. Il s’est hissé dans le top 5 en février, mais une fin de saison houleuse l’a recalé. Il a tout de même remporté deux titres, à Atlanta et à Delray Beach. Puis, même si son nom est rarement mentionné lorsqu’on évoque les meilleurs serveurs du circuit, le Californien a obtenu un rendement fort intéressant en 2023.

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Taylor Fritz

Cinquième pour le nombre de points obtenus en première balle (78,3 %) et en deuxième balle (55 %) et septième pour le nombre de jeux gagnés au service (86,5 %), Fritz a également appris à mieux gérer ses émotions sur le terrain, ce qui le rend plus dangereux.

Tommy Paul a perdu deux finales la saison dernière, mais il a éclos à Toronto. Sa victoire en quarts de finale contre Carlos Alcaraz en trois manches l’a mis sur la carte. Paul n’a pas l’air de grand-chose lorsqu’il se présente sur un terrain de tennis avec sa casquette à l’envers et son polo une ou deux tailles au-dessus, mais il y a en lui le style et la dégaine de Roddick. Le natif du New Jersey pourrait percer le top 10 dès cette année.

Ben Shelton a quant à lui été la grande révélation de 2023. Un peu grâce à ses services à 230 km/h, beaucoup grâce à son attitude. Malgré ses 21 ans, le gaucher ne craint personne. Il a été blessé l’année dernière, ce qui a quelque peu ralenti son ascension, mais aucun de ses adversaires ne devrait se sentir en confiance face à lui au cours des prochains mois. Il semble être conçu pour les grands moments. Entre l’arrogance de la jeunesse et la certitude de pouvoir rivaliser avec n’importe qui, Shelton devrait trouver un équilibre salutaire.

Frances Tiafoe a ralenti l’an dernier, mais le joueur de 25 ans demeure le plus polyvalent du groupe. Avec un titre sur gazon et un autre sur terre battue en 2023, il a ses chances dans tous les tournois. Son aplomb habituel devrait lui permettre de rebondir. Il est entré momentanément dans le top 10 en juin et il pourrait y retourner assez rapidement.

Prédictions

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Novak Djokovic

Le gagnant : Novak Djokovic. Il est toujours le meilleur joueur au monde et il le restera. Il a une chance de réaliser le Grand Chelem doré, en cette année olympique.

La déception : Andrey Rublev. Il vient de gagner le tournoi de Hong Kong, mais il a de la difficulté à élever la qualité de son jeu dans les grands moments.

Le trouble-fête : Alexander Zverev. L’Allemand est complètement remis de sa blessure à une jambe et il est de retour dans le top 10. Il pourrait atteindre la finale ou être éliminé dans la première semaine.

La surprise : Sebastian Korda. Il a connu une bonne fin de saison sur dur. Il est prêt à passer au prochain niveau.

Le chouchou : Alex de Minaur. L’Australien vient d’intégrer le top 10 et devant les siens, aucune raison pour qu’il connaisse une baisse de régime.

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