Aryna Sabalenka a perdu son père tragiquement en 2019. Elle avait 21 ans. Avant cette mort subite, la joueuse avait fait une promesse à son paternel : elle deviendrait numéro un mondiale et tenante de deux titres majeurs au plus tard à 25 ans. Elle abordait les Internationaux d’Australie en ayant déjà réalisé le premier objectif. Maintenant, la prophétie s’est complètement réalisée.

La Biélorusse a défendu son titre aux Internationaux d’Australie avec aplomb, samedi, face à Qinwen Zheng en deux manches de 6-3 et 6-2. Ça lui aura pris 73 minutes.

Probablement que depuis l’au-delà, papa Sabalenka a souri. Sa fille a livré la marchandise de brillante façon, comme elle seule sait le faire. La recette est toujours la même pour la joueuse no 2 au monde : puissance, adresse, prise de risque et explosivité. Mais ça demeure efficace et de bon goût. Pourquoi changer une recette gagnante ?

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Aryna Sabalenka

Il faut que je me retienne pour ne pas pleurer. Ce n’est pas vrai que je vais pleurer !

Aryna Sabalenka, après sa victoire

Celle qui est devenue une spécialiste dans l’art d’offrir des discours rigolos, touchants et mémorables a aussi voulu dédier sa victoire à sa famille, évidemment. « Je ne parle jamais de ma famille dans mes discours, mais je veux la remercier, même si elle ne va rien comprendre en anglais. Au pire, quelqu’un lui fera la traduction, a-t-elle ajouté en riant. Vous êtes ma plus grande inspiration. »

Bien entendu, Sabalenka était emballée par cet autre titre d’importance. Elle serrait le trophée comme s’il s’agissait de son propre nouveau-né.

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Aryna Sabalenka

Cependant, ce gain ne lui offrira pas le nombre de points nécessaires pour reprendre le premier rang mondial. Mais à vrai dire, le classement actuel de la championne n’est pas suffisamment représentatif de la qualité de son jeu. Elle a déjà été au sommet du monde en septembre 2023 et elle devrait toujours y être. N’en déplaise à Iga Świątek, Sabalenka n’a pas d’égale en ce moment sur le circuit de la WTA.

La grande droitière a triomphé sans perdre une seule manche en Australie. Elle a disputé 24 manches et en a remporté 22 depuis le début de la nouvelle année.

Plus impressionnant encore, elle a atteint les demi-finales lors des six derniers tournois majeurs. Depuis Wimbledon 2021, cette statistique s’étire à huit demi-finales en 10 tournois. Ces données témoignent d’une constance digne d’une première de classe.

Match à sens unique

Vêtue de rouge vif, ayant mangé du tigre comme le grand Woods et comme celui tatoué sur son avant-bras gauche, Sabalenka avait le couteau entre les dents dès l’entame de cette finale, qu’elle a commencée en lionne. Rien n’est joué d’avance dans le monde du sport, encore moins au tennis, mais les chances de l’emporter de son adversaire, jeune et pleine de potentiel, étaient minces comme les cheveux d’un ange.

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Qinwen Zheng

Zheng s’est présentée au stade Rod Laver avec un déficit d’expérience marqué. Elle concédait aussi à son adversaire presque cinq heures de jeu supplémentaires depuis le début de la quinzaine.

En forte ascension depuis la saison dernière, la joueuse de 21 ans a été bousculée dès le jeu initial. En quelques secondes, Sabalenka avait gagné son service. La championne en titre n’entendait pas à rire.

À peine le temps de faire cuire une rôtie, et elle avait déjà un bris en poche. Le beurre d’arachides n’était même pas tartiné jusque dans les coins que Sabalenka avait déjà sauvé trois balles de bris au troisième jeu.

Tous les radars annonçaient un déluge de coups gagnants et une tempête de courte durée. Certains nostalgiques de la période estivale auraient même évoqué la proverbiale balade dans le parc.

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Aryna Sabalenka et Qinwen Zheng

Or, la 12e tête de série a refusé de subir l’humiliation à sa première finale en tournoi du Grand Chelem en carrière. Elle a rebondi, notamment grâce à son service. Très à plat sur son coup d’amorce, la Chinoise a réalisé six as au cours de la première manche, dont la majorité alors qu’elle se battait pour rester en vie à 5-2.

Sabalenka n’a pu rivaliser avec son adversaire à ce chapitre, mais si elle a gagné la première manche en 33 minutes, c’est surtout grâce à son efficacité en première balle. Au total, 94 % des points disputés sur son premier service ont été à son avantage.

La progression de Sabalenka au service est époustouflante depuis 12 mois. Elle peut se fier encore davantage sur cette arme létale pour terrasser n’importe quelle adversaire.

Auparavant, chaque lancer de balle était comme un lancer de dés. Son tableau était rempli d’as, mais aussi de doubles fautes. Son placement de balle est aujourd’hui magistral, et ça a visiblement déstabilisé Zheng. La championne a conclu le match en ne commettant aucune double faute, en réalisant seulement trois as et en remportant 84 % de ses points en premier service. Le jour et la nuit avec sa finale contre Elena Rybakina il y a un an, où elle avait réalisé 17 as, sept doubles fautes et remporté 66 % de ses premiers services.

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Aryna Sabalenka (à gauche) lors de la finale contre Qinwen Zheng

La progression de la deuxième raquette mondiale est impressionnante, dans la mesure où même si elle traîne très peu de failles dans son jeu et son attitude, elle est assez douée et assez humble pour travailler sur ses faiblesses tout en cultivant ses principales qualités.

Elle privilégie en ce moment le placement à la puissance, sans toutefois renier sa vraie nature. Et ça donne un amalgame de coups et de possibilités lui permettant de gravir les échelons un titre à la fois.

Cela dit, l’émotion et la fragilité qui la rendent vulnérable ont refait surface une seule fois au cours de la rencontre. C’était lors du jeu final. Sabalenka avait brisé Zheng deux fois dans la manche ultime, au jeu d’entrée et à 3-1. Le manque de constance et l’absence d’une tactique claire, malgré toute la volonté du monde et des enchaînements au service ayant parfois surpris sa rivale, auront coulé la jeune finaliste.

Mais elle aura tenu son bout jusqu’à la toute fin, en imposant à Sabalenka cinq balles de championnat. Au bout de plusieurs égalités, la Biélorusse a finalement mis un terme à ce match avec un croisé court gagnant.

Les leçons

Malgré une défaite sèche et une première finale dont peu de gens se souviendront d’ici une décennie, Zheng a montré de belles choses pendant cette quinzaine australienne.

La Chinoise a profité d’un tirage relativement avantageux, car elle n’a affronté aucune tête de série avant la finale, et des insuccès précoces de plusieurs têtes de série dans le haut du tableau, mais elle n’est pas arrivée en finale par hasard.

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Qinwen Zheng

Son ascension est considérable depuis un an. Elle a remporté ses deux premiers titres en 2023, en plus d’atteindre les quarts de finale aux Internationaux des États-Unis. À pareille date l’année dernière, elle était au 28rang. Lundi, elle intégrera le top 10 pour la première fois.

Le classement féminin est si volatil que rien ne lui assure un long séjour dans cette portion enviable du tableau, mais elle a les outils pour y faire son nid. Intelligente au service, ample en coup droit, efficace sur ses enchaînements et régulière en fond de terrain, la native de la province du Hubei, dans le sud-est de la Chine, sera la joueuse la plus jeune du top 10 après Coco Gauff, 19 ans.

Son match ne s’est sans doute pas déroulé comme prévu, mais une finale n’est jamais complètement perdue si on en tire des leçons. Et contre la meilleure joueuse au monde, officieusement, elle n’a pu que grandir, malgré ses 5 pieds 10 pouces.

« C’est ma première finale et je suis fatiguée, a-t-elle déclaré timidement au micro. Merci d’être venus me voir. Je suis convaincue qu’il y aura encore du bon tennis en moi dans les années à venir. »

Dans le cas de Sabalenka, ce triomphe en Océanie marque peut-être les prémices d’une grande saison. Avec la confiance ébranlée des autres joueuses du noyau dur du classement féminin, elle règne actuellement comme une reine sur un monde qui pourrait être le sien bien longtemps, si elle le désire.