Il n’existe aucune bonne façon de demander à un athlète professionnel pourquoi il n’est pas encore à la retraite. Pourtant, c’est la seule question qu’il est vraiment légitime de poser à Milos Raonic.

Mais le contexte était propice, mercredi après-midi, à deux jours de la phase de qualification de la Coupe Davis. Dans une toute petite salle du quartier général de Tennis Canada, à Montréal, Raonic buvait de l’eau pétillante Bubly au parfum de lime.

Appelé en renfort pour remplacer Denis Shapovalov contre la Corée du Sud, l’athlète de 33 ans avait l’air apaisé. Il était surtout ravi, jure-t-il sans sarcasme, de retrouver la neige grise et souillée de la métropole québécoise.

Raonic aurait pu rester chez lui, en Europe, et faire l’impasse sur cette portion préliminaire de la Coupe Davis.

Or, non. Mais pourquoi ?

Raonic a atteint la finale de Wimbledon il y a huit ans, il a intégré le top 3 mondial, il a fait plus de 20 millions de dollars en bourses et il a surtout été blessé, abîmé et ralenti.

Presque à la mi-trentaine, n’ayant plus rien à prouver, le Canadien est toujours là. Posté au 306rang mondial, le pionnier joue encore.

« C’est juste parce que j’ai une tête de cochon », lance-t-il en penchant sa tête de côté en hochant les épaules.

La naïveté et l’arrogance de la jeunesse procurent aux jeunes athlètes un faux sentiment de confiance, croit-il. « On devient très bon dans quelque chose très tôt, et on grandit avec cette fausse perception qu’on sera bon dans tout ce qu’on va entreprendre. »

Raonic a rapidement compris que sa vie allait être définie par le tennis. Et comme ses blessures sont permanentes, mais supportables, il veut continuer à se battre pour jouir de ce don. « J’ai été vraiment chanceux d’être très talentueux dans au moins une chose. Je me suis toujours demandé jusqu’où je pouvais repousser mes propres standards. »

Revenir pour gagner

L’année dernière à Toronto, Raonic a eu raison de l’Américain Frances Tiafoe en trois manches étirées. Une victoire surprenante et sans doute inespérée. Pendant la rencontre, en raison d’une décision de l’arbitre, le Canadien a fracassé sa raquette contre son banc. Un geste inhabituel pour cet athlète diplomate et de nature assez tendre.

Preuve, toutefois, que Raonic ne s’était pas extirpé de sa longue pause pour jouer les figurants. Il voulait gagner. Quoi qu’il en coûte. Son appétit pour la victoire est loin d’être rassasié.

« Si je me foutais de ces occasions ou des résultats, je ne serais pas là, tout simplement », précise-t-il.

PHOTO WILLIAM WEST, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Milos Raonic en action à Melbourne

Jouer pour rattraper un classement et un certain niveau d’excellence implique une charge de travail considérable. Des entraînements, des déplacements, des exigences et des contraintes dont il pourrait bien se passer à ce stade-ci de sa vie.

Premier joueur canadien à percer le top 10 en simple masculin, en 2013, huit titres, près de 400 victoires, premier véritable joueur développé par le programme du centre national, il est un pionnier du tennis canadien par la force des choses.

Je pense que je n’ai plus rien à prouver. J’ai fait de grandes choses, j’ai vécu de grandes expériences. Ça a changé ma vie et celle de mon entourage.

Milos Raonic

Même s’il pourra reprendre presque intégralement ces deux lignes lorsqu’il fera l’annonce de sa retraite le moment venu, n’allez pas croire que le grand frisé est près d’accrocher sa Wilson.

« Si en ce moment je me concentrais seulement à ne pas régresser, je me serais retiré assez rapidement. Est-ce que je suis un meilleur joueur de tennis qu’avant, de manière générale ? Je pense que oui. »

Lorsqu’on s’attarde à ses déplacements sur le terrain ou à sa force de frappe sur le coup droit, difficile d’être en désaccord avec cette auto-évaluation plutôt juste. L’as serveur a joué cinq matchs sur dur depuis son retour. Séquence pendant laquelle il a croisé le fer avec des joueurs comme Tiafoe, le Grec Stéfanos Tsitsipás et l’Australien Alex de Minaur. Jamais il n’a été complètement déclassé.

« La chose au tennis, c’est que tu dois être un meilleur joueur que la veille pendant 11 mois. Un match ne change rien. Cinq victoires en ligne peuvent changer une trajectoire pendant un Masters 1000, par exemple. Et sept matchs sur deux semaines peuvent changer beaucoup de choses.

« Mais le plus cruel, c’est la constance. De bien jouer une journée et de revenir à ce même niveau le lendemain. C’est la chose avec laquelle on entre en conflit le plus régulièrement. »

L’âge et la sagesse

À 32 ans, le Bulgare Grigor Dimitrov a disputé deux finales consécutives avant les Internationaux d’Australie. À 35 ans, le Français Adrian Mannarino a remporté le tournoi de Sofia en novembre. À 36 ans, le Serbe Novak Djokovic occupe toujours le premier rang mondial.

Si les jeunes ont pris d’assaut le circuit mondial, les vétérans ne sont pas à la remorque pour autant. Ce retour, ou cette tendance de certains joueurs à s’accrocher même passé la trentaine, sème de l’espoir chez Raonic.

Les gens qui gravitent autour du monde du sport ont vraiment une mémoire à court terme.

Milos Raonic

Il cite Tom Brady, LeBron James et Lionel Messi pour illustrer son point. « La science du sport et le sport professionnel ont changé. Avant, les joueurs finissaient plus tôt, parce qu’ils prenaient des précautions pour mieux vieillir une fois qu’ils étaient vieux. Maintenant, les athlètes pensent à l’avenir beaucoup plus tôt, à 18 ans ou 19 ans, pour prévenir le moment où ils seront vieux. »

Près de lui, Djokovic demeure un exemple assez flagrant de perfectionnement à long terme. Le Djoker a remporté 12 de ses 24 titres en Grand Chelem une fois sorti des griffes de la vingtaine. « Est-ce que Novak avait besoin d’être le joueur le plus flexible à 23 ou 24 ans ? Non. Mais est-ce que ça lui est bénéfique maintenant à 36 ans ? Oui. C’est un investissement à long terme. »

Dans le cas de Raonic, cet investissement a été quelque peu bousillé par les nombreuses blessures ayant affligé son corps et sa carrière depuis son ascension fulgurante vers le sommet en 2016. Néanmoins, il parle de sa carrière avec beaucoup plus d’enthousiasme que de nostalgie. Comme quoi même si elle a été sur le respirateur artificiel pendant deux ans, ce second souffle est salvateur.

Parce que jouer au tennis, c’est ce que Milos Raonic sait faire de mieux.