Ne parlez plus de Carlos Alcaraz. Encore moins de Novak Djokovic. Le nouvel homme à battre sur le circuit de l’ATP s’appelle Jannik Sinner.

La prémisse est probablement excessive, sans doute trop brutale, parce qu’Alcaraz et Djokovic devraient se séparer quelques titres d’importance encore cette saison.

Or, la tendance du moment est italienne et elle vient de remporter les deux tournois les plus prisés du début de saison : les Internationaux d’Australie et l’ATP 500 de Rotterdam.

Jannik Sinner est tout feu tout flamme. Non seulement il a triomphé aux deux tournois auxquels il a pris part en 2024, mais l’aspect le plus saisissant de son ascension vers le sommet est la manière dont il s’y est pris. En Australie, il a défait Andrey Rublev, Novak Djokovic et Daniil Medvedev coup sur coup. À Rotterdam, il a battu son grand ami Alex de Minaur en finale.

Une ascension fulgurante

Plusieurs éléments peuvent expliquer pourquoi le grand droitier de 22 ans est passé du 12e au 3rang du classement mondial en l’espace de 52 semaines.

Personne n’entre dans l’élite de son sport en jouant comme un pied, évidemment. Or, en quelques mois seulement, il a été en mesure de progresser et de trouver comment améliorer ses failles les plus minimes. Il avait peu de marge de manœuvre, mais il a tout de même su manœuvrer dans le tout petit. Convertir ses failles en munitions et élargir sa palette de coups.

L’an dernier, on voyait déjà en Sinner un champion potentiel. Grâce à sa régularité en fond de terrain et à son revers puissant et précis, notamment. Il manquait à son jeu, cependant, un peu de peaufinage. En particulier sur le plan de la créativité et des schémas.

Par exemple, au filet, un joueur de 6 pi 2 po ayant des bras d’une telle ampleur peut faire des ravages. Pourtant efficace à la volée, Sinner ne montait presque jamais dans le terrain. Cependant, si on se penche sur ses statistiques au filet, contre le même adversaire, soit Alex de Minaur, en finale à Toronto au mois d’août et à Rotterdam la fin de semaine dernière, le progrès est frappant. À Toronto, quatre montées au filet. À Rotterdam, 18. Et il en a gagné 14. Cet échantillon dans le jeu de Sinner est probablement très niché, mais il évoque quand même une amélioration sur le plan de la stratégie, de sa manière de gérer les échanges et de sa capacité d’adaptation, nécessaire pour atteindre le sommet de l’échelle.

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Jannik Sinner

S’il a enchaîné les victoires contre des membres du top 10 dans les dernières semaines, c’est qu’il est remarquablement infatigable et exceptionnellement inatteignable. En règle générale, peu importe l’identité de son adversaire, Sinner est redoutable en ce début de saison : 12 victoires et aucune défaite. Son jeu semble tout droit sorti de l’usine.

L’arrivée de l’entraîneur Darren Cahill dans l’entourage du jeune joueur en juillet 2022 n’est pas étrangère à ses récents succès. L’ancien coach de Lleyton Hewitt, d’Andre Agassi et de Simona Halep a permis à Sinner de se laisser aller un peu plus, lui qui est doté d’habiletés naturelles remarquables.

Plusieurs observateurs percevaient le service de Sinner comme son talon d’Achille, le limitant dans sa quête de rivaliser avec les grands bonzes du circuit. En 2022, il était au 21rang du circuit pour le nombre de points gagnés en deuxième service. Présentement, il est troisième à ce chapitre, avec un taux de réussite de 56,7 %. Il est deuxième pour le nombre de jeux gagnés au service avec 88,8 % et premier pour la quantité de balles de bris sauvées avec 72,4 %.

Sinner déplace moins d’air que ses homologues Alcaraz et Djokovic, mais il n’est pas moins efficace, comme en témoignent ses cinq titres acquis au cours des douze derniers mois, au premier rang du circuit avec ses deux rivaux.

Le contraste

L’Italien attire également une forte sympathie du public. Son discours de remerciement après son triomphe à Melbourne semblait tout droit sorti du manuel du parent parfait.

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Jannik Sinner lors de son discours après avoir remporté les Internationaux d’Australie, le 28 janvier dernier

« J’aimerais que tout le monde puisse avoir mes parents, parce qu’ils m’ont toujours laissé choisir ce que je voulais faire. Quand j’étais plus jeune, j’ai pratiqué d’autres sports et ils ne m’ont jamais mis de pression. J’aimerais que cette liberté soit à la portée du plus d’enfants possible. »

Une position contradictoire avec ce que préconisent certains parents trop désireux de faire de leur enfant la prochaine grande vedette du sport en l’étouffant dans une seule discipline alors qu’il sait à peine écrire son nom correctement.

Sinner a fait du ski de compétition de 8 à 12 ans. Il a grimpé les échelons dans le monde du soccer jusqu’à 13 ans. Il a choisi le tennis juste après, par lui-même.

Son père, propriétaire d’un restaurant, et sa mère, serveuse dans le même commerce, ont mis au monde un champion libre et indépendant.

La séquence de Fernandez

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Leylah Annie Fernandez

Leylah Annie Fernandez avait repris du poil de la bête à la Coupe Billie Jean King, à la fin de l’année. Elle avait joué comme une véritable leader, mais surtout, comme la finaliste en Grand Chelem qu’elle est.

Tennis Canada fondait beaucoup d’espoir sur la gauchère en ce début de campagne. Et Fernandez n’a déçu personne.

À la suite d’une éviction au deuxième tour des Internationaux d’Australie, la Québécoise a joué du tennis d’immense qualité à Doha. Elle a montré la porte de sortie à Liudmila Samsonova, 12tête de série, Paula Badosa, championne en Masters 1000, et Qinwen Zheng, finaliste en Australie quelques jours auparavant. En quarts de finale, elle s’est inclinée devant la troisième mondiale, Elena Rybakina.

Mais l’aplomb et la confiance démontrés par Fernandez sont à la fois rassurants et impressionnants. Trente-troisième mondiale avant d’amorcer le tournoi de Dubaï, elle pourrait assurément viser un retour dans le top 20 d’ici quelques semaines.