C'est une histoire de persévérance qui commence en 1998 au centre d'entraînement de la Fédération française de tennis, en banlieue de Paris.

À la surprise générale, l'entraîneur Louis Borfiga sélectionne un jeune adolescent frêle dont les résultats ne sont pourtant pas dignes de son centre d'entraînement. Son choix est fortement contesté au sein de la Fédération. À l'époque, Gilles Simon n'impressionnait personne sur un terrain de tennis du haut de ses 5 pieds 2 pouces. «Il y avait d'autres joueurs meilleurs que lui à l'époque, mais je l'ai sélectionné et je l'ai gardé pendant cinq ans, car je croyais qu'il deviendrait un bon joueur de tennis une fois sa période de croissance terminée», explique Borfiga, aujourd'hui vice-président de la haute performance à Tennis Canada.Entre 14 et 19 ans, Gilles Simon se fera bardasser à l'entraînement par les Jo-Wilfried Tsonga et Gaël Monfils. Au contraire de ses partenaires d'entraînement, Simon ne gagnera pas l'Orange Bowl ni des tournois du Grand Chelem chez les juniors. Il ne participera qu'à un seul tournoi junior du Grand Chelem - Roland-Garros, où il s'incline au premier tour.

«Gilles n'avait pas le niveau pour qu'on l'amène à Wimbledon ou au US Open chez les juniors, se rappelle Louis Borfiga. Il était tout petit, tout frêle. Son physique faisait en sorte qu'il pouvait difficilement rivaliser avec les autres. Sa première balle de service était moins rapide que la deuxième balle de Tsonga. Il a été forcé de développer d'autres qualités, comme son intelligence du jeu. Ce fut difficile pour lui de voir les autres connaître du succès, mais ça lui a forgé un caractère. Il voulait prouver à tout le monde qu'il pouvait réussir.»

À 23 ans, Gilles Simon a déjà réalisé ses rêves tennistiques les plus fous. Cette semaine, il conclura une année exceptionnelle en participant à la Coupe Masters, réservée aux huit meilleurs joueurs au monde. Celui qui a commencé l'année au 30e rang mondial est l'un des trois seuls joueurs à avoir battu à la fois Rafael Nadal, Roger Federer et Novak Djokovic cette année (les deux autres, Andy Murray et Andy Roddick, sont aussi à Shanghai).

«Gilles a déjoué tous les pronostics, dit Louis Borfiga. Plus jeune, mon but était d'en faire un joueur du top 100 malgré son physique limité. Il est devenu encore meilleur que ce que j'avais imaginé. Il est la surprise de l'année sur le circuit masculin, et aussi la plus grande surprise du tennis français depuis 15 ans.»

Comble de l'ironie, Gilles Simon a brièvement occupé le premier rang français cet automne - devant ses anciens partenaires d'entraînement Tsonga et Monfils mais surtout devant Richard Gasquet, jadis surnommé le petit Mozart du tennis français. Même s'ils ont choisi le même métier, Gasquet et Simon ne pourraient mener des vies plus différentes: le premier a été étiqueté comme le sauveur du tennis français à 9 ans alors que le second a pratiqué son sport préféré dans l'anonymat le plus complet jusqu'à cette année. «La notoriété peut servir et desservir, a dit Simon récemment au quotidien Le Monde. Je pense que Richard Gasquet serait mieux classé s'il n'avait pas dû vivre depuis son plus jeune âge avec la pression. Il serait probablement plus heureux, aussi.»

Gilles Simon a gagné trois titres de l'ATP cette année à Casablanca, Indianapolis et Bucarest, mais c'est à Toronto qu'il a disputé son match le plus mémorable: une victoire contre Roger Federer au deuxième tour de la Coupe Rogers. Cette défaite allait forcer Federer à céder son premier rang mondial à Rafael Nadal quelques semaines plus tard. «On avait discuté la veille du match et Gilles m'avait dit: «Demain, je vais gagner contre Federer». Ça ne m'a pas étonné, dit Louis Borfiga. Cette détermination, c'est tout à fait Gilles.»

Même s'il roule sa bosse dans le top 100 mondial depuis bientôt trois ans, Gilles Simon n'a jamais mis les pieds au stade Uniprix de Montréal. À moins d'une blessure, le nouveau chouchou du tennis français fera ses débuts en sol montréalais à la Coupe Rogers l'été prochain. «Les Québécois vont l'adorer, car il sourit toujours sur le terrain, croit son ancien entraîneur Louis Borfiga. Gilles est aussi un bel exemple pour les jeunes joueurs de tennis. Il est la preuve qu'on n'est pas obligé d'être le meilleur junior pour connaître une belle carrière. Quand on persévère, on peut y arriver.»