Vingt ans après les exploits de Steve Bauer, Ryder Hesjedal fait redécouvrir le Tour de France aux Canadiens. Sorti de nulle part? Pas vraiment. Retour sur sa carrière.

En mai dernier, lors d'un passage éclair dans sa ville natale de Victoria, Ryder Hesjedal avait un conseil pour son bon ami Seamus McGrath: regarde bien le Tour de France, je suis en grande forme.

Depuis le 3 juillet, dès l'aube, McGrath et une douzaine de fans de vélo se réunissent au Trek Bicycle Store de Victoria, où Hesjedal a toujours ses habitudes, pour assister aux étapes du Tour. Devant beignets et café, ils hurlent chaque fois que le héros local passe à l'écran.

Axée sur Lance Armstrong et les deux ou trois meneurs, la couverture du diffuseur américain Versus, relayée par OLN au Canada, est parfois frustrante. Mais Hesjedal leur en a donné pour leur argent, le 6 juillet dernier, lorsqu'il est venu bien près de remporter la fameuse étape disputée sur les pavés de Paris-Roubaix. Autre coup d'éclat, hier, à Mende, alors que le Canadien était dans le quatuor de tête à cinq kilomètres de l'arrivée.

«C'est incroyable, chaque jour, il continue de surprendre», disait déjà McGrath, mardi dernier, après avoir assisté à l'étape du col de la Madeleine. Hesjedal était resté au contact des meneurs aussi longtemps que possible, glissant du sixième au 12e rang au classement général. Il occupe aujourd'hui le 13e rang, à 6min25 du maillot jaune Andy Schleck.

«Pour le grand public, ça peut donner l'impression qu'il est en train de perdre, mais il s'accroche et il roule plus vite que jamais. C'est pas mal beau à voir», s'enthousiasme McGrath, qui, comme Hesjedal, est un ancien membre de l'équipe canadienne de vélo de montagne.

Des références

Inconnu hors des cercles cyclistes, Hesjedal est en train de se faire un nom au Canada. Subitement, le Tour de France n'est plus seulement synonyme de Steve Bauer. Même en Europe, l'éclosion de Hesjedal, qui a occupé le troisième rang le temps d'une journée, a été remarquée.

Pourtant, l'athlète de 29 ans est loin de sortir de nulle part.

En septembre dernier, il a gagné une difficile étape de montagne au Tour d'Espagne, devenant le deuxième Canadien après Bauer à s'imposer lors d'une étape sur route dans l'un des trois grands tours. (En 2008, il a contribué à la victoire de Garmin lors du contre-la-montre par équipes en ouverture du Giro d'Italie.)

Au printemps dernier, le coureur de 6'2 et 159 livres a connu une campagne fructueuse lors des classiques ardennaises, échappant la victoire de peu à la prestigieuse Amstel Gold Race, où il a fini deuxième à deux secondes du gagnant, le Belge Philippe Gilbert. En mai, il a confirmé sa grande forme en enlevant la difficile dernière étape du Tour de Californie, où plusieurs des meilleurs coureurs étaient venus préparer le Tour de France.

À sa troisième participation consécutive à la Grande Boucle - 49e en 2009, 47e en 2008 - Hesjedal rêvait de gagner une étape. Mais il devait surtout servir de lieutenant à son coéquipier américain Christian Vande Velde. Blessé sur une chute, ce dernier a quitté l'épreuve au terme de la troisième étape. Par la force des choses - et en vertu de son impressionnant numéro sur les pavés la semaine dernière - Hesjedal est devenu le leader chez Garmin-Transitions.

Le vélo de montagne

Hesjedal doit son patronyme à son arrière-arrière-grand-père, immigré norvégien de la fin du XIXe siècle. Son prénom est une coquetterie de ses parents, qui trouvaient que Ryder (homophone de «coureur» en anglais) sonnait bien avec ce nom de famille singulier. Adolescent, le principal intéressé aimait bien penser que les encouragements lui étaient personnellement destinés quand les gens criaient «go rider!» à son passage...

Né en 1980, Hesjedal est un peu jeune pour avoir suivi les exploits de Steve Bauer. Son école, ce fut celle du vélo de montagne, un sport en pleine émergence, en particulier dans l'Ouest, quand il a commencé, à l'âge de 13 ans.

Il a rapidement oublié le football, le soccer et le baseball, des sports d'équipe où il côtoyait des jeunes qui ne partageaient pas nécessairement sa volonté féroce de gagner, dit son père, Leonard Hesjedal, joint au téléphone à Victoria.

«Je suis son plus grand fan», dit M. Hesjedal, intarissable quand on lui demande de raconter le parcours de son fils - il nous a tenus en haleine pendant une heure et quart! «Dès le premier jour, j'ai toujours eu l'intime conviction qu'il réussirait tout ce qu'il entreprendrait.»

Très jeune, le jeune Ryder a cumulé les succès sur les scènes provinciale et nationale. Le Québécois Mathieu Toulouse, membre de l'équipe nationale pendant une douzaine d'années, se souvient qu'il avait entendu parler de cet excellent junior issu de la Colombie-Britannique. Il demandait à être convaincu.

«Je me rappelle d'une Coupe Canada au Mont-Tremblant. Ryder avait été surclassé chez les seniors - ce qui était déjà exceptionnel - et il avait battu tout le monde. Ce n'est jamais arrivé depuis», souligne Toulouse.

En 1998, Hesjedal a confirmé son grand talent en gagnant la médaille d'argent chez les juniors aux Championnats du monde de Mont-Sainte-Anne. Quatre ans plus tard, il s'est imposé chez les seniors à la Coupe du monde de Les Gets, en France, son unique succès sur le circuit.

En 2003, il a mené la course des Championnats du monde de Lugano presque de bout en bout avant de se faire chiper la victoire par le Belge Filip Meirhaege. (Ce dernier allait tomber un an plus tard pour dopage à l'EPO à la suite d'un test à la Coupe du monde du Mont-Sainte-Anne).

Très sérieux à l'entraînement, Hesjedal a travaillé étroitement avec Juerg Feldmann, un ancien membre de l'équipe de patinage de vitesse suisse (voir autre texte). À l'affût des dernières avancées scientifiques, ce physiologiste privilégiait un programme axé sur le grand volume à basse intensité.

À l'époque, Victoria était l'épicentre du vélo de montagne et du vélo tout court au Canada. Mathieu Toulouse allait parfois s'y entraîner avec Hesjedal, l'ancien double champion mondial Roland Green, Geoff Kabush, et d'autres. Les longues sorties sur route, parfois de cinq ou six heures, étaient leur lot quotidien. «J'ai fini par m'entraîner seul la plupart du temps parce que c'était trop dur. Je n'allais pas passer au travers», dit Toulouse.

La route

Après avoir représenté le Canada aux Jeux olympiques d'Athènes, à l'été 2004, Hesjedal est définitivement passé à la route, une discipline. «Je pense que Ryder était attiré par l'histoire du vélo de route et son attrait en Europe, dit son père Leonard. Il y avait aussi plus de possibilités (de gagner sa vie) sur la route.»

M. Hesjedal ajoute que son fils imitait aussi plusieurs collègues vététistes, dont Cadel Evans, maillot jaune un jour au Tour 2010, et son coéquipier chez Gary Fisher, le Danois Michael Rasmussen, qui deviendra tristement célèbre après avoir été exclu du Tour 2007 alors qu'il portait le maillot jaune.

L'apprentissage d'un sport foncièrement différent ne s'est pas fait sans heurts. Hesjedal a mis quelques années à s'adapter aux épreuves beaucoup plus longues et aux subtilités des stratégies d'équipe. «En vélo de montagne, il était habitué à rouler deux heures et demie à bloc. Sur route, il avait de la misère dans les phases plus stratégiques, se souvient l'ancien champion canadien Dominique Perras. Souvent, il dépensait de l'énergie à trop tirer.»

Après deux saisons plus ou moins concluantes chez US Postal et Discovery avec Lance Armstrong, Hesjedal croyait tenir le bon filon quand il a signé un contrat avec Phonak avant la saison 2006. Sous les couleurs de l'équipe suisse, il a signé son premier grand résultat sur route, se classant quatrième du Tour de la Catalogne. Quelques mois plus tard, l'équipe Phonak était dissoute après le contrôle positif de Floyd Landis au Tour de France.

Pris de court, Hesjedal a dû revenir en Amérique du Nord, où il s'aligna avec l'équipe Health Net. Il a continué à progresser, décrochant le maillot de meilleur grimpeur au Tour de Géorgie. C'est là que Jonathan Vaughters, son actuel directeur sportif chez Garmin-Transitions, l'a remarqué.

Trois ans plus tard, Hesjedal se révèle au Tour de France. «Ryder a toujours été l'un des plus forts de notre équipe dans les tests physiques, écrivait Vaughters, samedi dernier. Il n'avait simplement pas la confiance nécessaire et la possibilité d'y aller pour la victoire. Maintenant, il les a!»