Adolescente, la planchiste Dominique Maltais ne rêvait ni de gloire olympique, ni de victoires en Coupe du monde. Elle s'imaginait plutôt cascadeuse dans des films de surf des neiges... ou pompière à Montréal ou Chicago. Mais voilà que le snowboardcross, un sport qu'on dirait inventé pour elle, a fait son entrée dans la famille olympique aux Jeux de Turin de 2006. Médaillée de bronze en Italie, Maltais rêve d'un autre podium à Vancouver, en 2010. En prévision de la Coupe du monde de Stoneham, jeudi prochain, La Presse l'a rencontrée chez elle, sur les pentes du Massif de Petite-Rivière-Saint-François.

Dominique Maltais avait 11 ans la première fois qu'elle a descendu le Massif sur une planche à neige de location. Cet hiver-là, la majestueuse station de Charlevoix, jusque-là desservie par un autobus jaune, avait été dotée de sa toute première remontée mécanique. L'expérience n'avait pas été concluante. Pas le télésiège, la descente de Dominique. Elle s'était arrêtée à mi-montagne, faisant le reste à pied en pleurant. Parvenue au chalet de la base, elle avait pris le téléphone: «Maman, je ne suis pas capable!»

 

Quatorze ans plus tard, la moitié du village de Petite-Rivière-Saint-François était réunie dans le même chalet pour assister à la course de la «petite» Dominique aux Jeux olympiques de Turin de 2006. En finale du snowboardcross, une nouvelle épreuve olympique, l'héroïne locale avait donné la frousse à tout le monde et à sa mère en plongeant dans un filet de sécurité. Elle s'était relevée et, longtemps après les premières, avait franchi la ligne d'arrivée la tête basse. Le Massif avait déjà explosé de joie quand Dominique apprit, à sa grande surprise, que le bronze l'attendait. Yeah!

À son retour dans Charlevoix, une piste a été nommée en son honneur. La Sous-bois est devenue La Dominique Maltais. Une piste à son image: en marge, un peu rebelle, old school et chargée d'adrénaline. Bienvenue sur le terrain de jeu de l'une des meilleures planchistes au monde.

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En ce matin frisquet mais ensoleillé de février, Maltais refuse les poignées de main quand elle se présente au chalet principal niché au sommet du Massif. Son poignet droit est immobilisé dans une attelle, résultat d'une chute à l'entraînement aux derniers Championnats du monde de Gangwon, en Corée.

Ce n'est pas si mal. Seul le radius a été touché et elle ne devrait pas rater d'autres compétitions. En septembre, Maltais avait subi une double fracture radius-cubitus au poignet gauche... qu'elle a voulu protéger en Corée. Elle avait dû se soumettre à une chirurgie avec plaque, vis et tout le toutim. Et qu'est-ce qu'une petite fracture quand on s'est fait refaire un ligament croisé antérieur deux ans plus tôt?

«J'aimerais ça que ça aille bien l'an prochain, que les blessures, il n'y en ait pas», soupire néanmoins l'athlète de 28 ans en songeant aux Jeux olympiques de Vancouver.

En choisissant de suivre Maltais pendant une journée d'entraînement au Massif, il faut accepter de la partager. Avec le patrouilleur qui la serre dans ses bras au sommet d'une piste. Avec les préposés au télésiège qui la saluent au passage. Avec le cousin Jérôme, en visite dans la région. Avec le pionnier Gérard, qui fut parmi les défricheurs du Massif et premier moniteur de ski de Dominique. Il l'appelle encore «mon petit bébé» malgré ses cinq pieds et 11 pouces.

Invitée à décrire son entraînement pour un sport où les parcours sont plutôt rares pour ne pas dire inexistants, Maltais paraît un peu embêtée.

Il y a ces séances en gymnase à l'Université Laval. Ou cette rampe de départ installée dans la cour arrière de ses parents à Petite-Rivière. Un voisin a fabriqué une réplique en bois du portillon olympique à partir des dimensions officielles fournies par la planchiste. L'été dernier, une équipe de biomécaniciens de l'Université Laval s'est même déplacée avec caméras et ordinateurs pour l'aider à améliorer ses départs, qu'elle considère comme son talon d'Achille.

Sinon, quand elle n'est pas en compétition, elle ride au Massif, tout simplement. Quand elle n'est pas prise à attendre un photographe et un journaliste un peu trop pépères, elle s'amuse avec sa gang de «locaux» dans les bois, la poudreuse ou les bosses.

Découverte

Son sport, elle l'a appris comme ça, sans savoir vraiment qu'il existait. Elle a longtemps résisté aux appels pressants de ses amis à s'inscrire à une compétition. «Elle était trop gênée», se souvient sa mère Marjolaine, qui travaille au service à la clientèle de la station.

Ce qu'adorait Dominique, c'était les films de surf des neiges, qu'elle écoutait avec les deux fils du propriétaire de la boutique de location. Le soir, ils sortaient les pelles pour se construire des sauts au bas des pistes.

Découvrant le snowboardcross au début de la vingtaine, Maltais a finalement cédé. Le sport: quatre concurrentes qui se lancent à 50-60 km sur un parcours truffé de sauts et d'obstacles. «Je trouvais que ça me représentait bien, dit-elle. J'étais le genre de fille à toujours jouer sur le bord des pistes, à aller dans le bois, à prendre des sauts. Finalement, la première année, ça a pas mal bien été.»

Maltais a rapidement dominé le circuit provincial avant de gagner un premier championnat national, à Calgary, en mars 2003.

Jusque-là, le surf des neiges restait un sport, un passe-temps. Parce que Maltais était consumée par une autre passion: le feu. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle a toujours voulu être pompière. Le fameux film Pompiers en alerte, elle pouvait le regarder quatre fois par jour.

«À un moment donné, c'était soit policier, soit pompier, précise-t-elle. Des affaires de petit gars dans le fond! Je voulais que ça bouge. Quand j'ai commencé à suivre mon cours de pompier, je voulais travailler à Montréal ou Chicago. Je ne voulais rien savoir du temps partiel. Je voulais que ça brûle partout!»

Maltais a été servie dès son premier stage. Cinq minutes après avoir mis les pieds à la caserne du centre-ville de Montréal, l'alerte a sonné. Une autre fois, elle a dû défoncer une porte pour prêter main-forte à des collègues prisonniers dans une pièce. «Les gars ont trouvé ça bien drôle quand ils ont vu que c'était une fille!» se souvient-elle.

De 22 à 25 ans, Maltais était l'une des 23 pompières sur un effectif de 2300 au Service des incendies de Montréal. Pendant longtemps, elle a jonglé entre ses deux professions. Une semaine, elle partait en compétition. L'autre semaine, elle se rattrapait en doublant ses heures à la caserne.

Sa victoire à Calgary lui a permis de participer à ses premières Coupes du monde. À son deuxième départ, en janvier 2004, la recrue a gagné l'argent en Autriche. En voyant le drapeau canadien sur l'écran géant, elle a eu un méchant choc. «Je faisais le circuit québécois deux ans plus tôt et là, j'étais en train de représenter mon pays. Eh !, j'avais été dans l'Ouest trois fois dans ma vie. Mon pays, je ne le connaissais pas encore!»

À son retour, les médias ont débarqué à sa caserne d'Hampstead. Elle en avait été un peu gênée. «Je n'ai jamais voulu m'enfler la tête avec ça, explique celle qui a enlevé le globe de cristal du snowboardcross en 2005-2006. Je voulais que ça passe inaperçu. Là, ils arrivaient avec les caméras... Les gars étaient fiers, mais je ne voulais pas les déranger.»

Maltais a longuement hésité avant de mettre de côté sa carrière de pompière. Depuis 2005, elle bénéficie d'un congé sabbatique exceptionnel pour se consacrer à la planche. La camaraderie lui a longtemps manqué. «Les pompiers, c'est un gros club social», dit-elle.

Incertaine de son avenir sportif - elle envisage de continuer jusqu'en 2014 -, Maltais ne sait pas encore si elle reprendra du service comme pompière.

La radio et la télévision l'attirent.

Mais encore aujourd'hui, elle a un pincement au coeur si elle voit un inendie aux nouvelles. «Si je reconnais quelqu'un qui sort avec le casque noir, je me dis: «Ah le petit maudit... C'est la plus belle job.»»

Avec la planche à neige, bien sûr.