Dominick Gauthier est arrivé à l'heure. La barbe longue, débraillé, lunettes, bien loin de ses photos de mannequin qu'on voit si souvent dans les revues de mode. John D. Miller, son associé, son mentor et le cerveau derrière B2Dix, la compagnie qui fabrique des champions comme Jenn Heil et Alexandre Bilodeau, était déjà au téléphone.

Dominick Gauthier est le coach dont les deux athlètes ont déjà remporté une médaille d'argent et une médaille d'or aux Jeux. Et on n'était que mardi matin à Vancouver. Il est le conjoint et l'amoureux de Jenn Heil, il est l'homme derrière B2Dix. Il est l'homme d'une fabuleuse aventure qui continue puisqu'il rempile pour Sotchi en 2014 et la suite.

Je l'avais connu comme athlète. À Nagano, il a participé aux Jeux avant de se tourner vers le coaching. C'est un homme déterminé et volontaire. Quand l'Association canadienne de ski acrobatique s'est implantée dans un socialisme lourd et pesant, il a dit good bye et est devenu coach de l'équipe nationale japonaise. «On nivelait par le bas. L'athlète vraiment doué qui avait des chances de victoire était traité comme l'autre qui n'irait jamais nulle part. On disait, pas de favoritisme, pas plus de services pour les meilleurs. Les athlètes ont des besoins différents, mais à l'Association, on refusait cette évidence. Je les ai rencontrés avec un plan magnifique. Projecteur, tableaux, j'ai mis la gomme. À la fin de mon énoncé, quand j'ai vu leurs visages, j'ai sorti l'autre document que j'avais préparé, ma lettre de démission, et je l'ai remise.»

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Pendant son séjour au Japon, il avait remarqué un ado, Alexandre Bilodeau. Jeune homme pris dans la même fédération socialisante. Il l'a pris sous son aile, lui donnant des conseils et supervisant son entraînement même s'il était coach de l'équipe japonaise. Au point où Alexandre voyageait avec les Japonais pour les Coupes du monde.

Après Salt Lake City, Gauthier, Me Heil de Calgary (le père de Jenn) et plusieurs autres athlètes m'ont contacté. J'ai écouté leurs doléances. J'ai discuté longuement avec Me Heil, j'ai étudié le dossier attentivement et j'ai commencé à écrire des articles sur le sujet. La présidente Pam Smith a vite sauté. Et pour le mieux des athlètes, Peter Judge est devenu le grand patron de l'Association canadienne de ski acrobatique. Dominick sourit. «Judge est extraordinaire. Nos athlètes sont encadrés, tout est organisé, il n'y a pas de jaloux, B2Dix peut apporter sa contribution pour aider les athlètes dans ce qu'ils ont vraiment besoin et... nous gagnons des médailles dans un sport devenu hyper compétitif», de dire Gauthier.

Mais B2Dix n'était pas encore vraiment en place quand Jenn Heil a gagné sa médaille d'or à Turin. Bien sûr, Dominick était devenu son chum et il l'avait poussée à un niveau incroyable. «Jenn était une extraordinaire skieuse. On en a fait une extraordinaire athlète qui fait du ski. C'est très différent», dit-il.

Ils ont fait la même chose avec Alexandre Bilodeau. «C'était un skieur fabuleusement doué qui avait encore sa petite graisse de bébé. On lui a demandé s'il était prêt à devenir un vrai athlète. Il a dit oui. Les sept premiers mois, il n'a pas skié du tout. Il a travaillé en gym, essayant d'imiter Jenn, qu'il appelait sa grande soeur. Puis, la deuxième année, il a skié, mais il a quand même passé quatre mois en gym. Ses joues se creusaient, sa technique se peaufinait et il devenait plus fort. Avec une volonté de fer et une détermination féroce. Un très grand athlète.»

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C'est là que J.D. Miller entre en action... officiellement. Après sa médaille d'or à Turin, Jenn avait dit à son chum et à J.D. Miller, qui était déjà un proche du couple: «Ça serait tellement merveilleux si les autres athlètes de l'équipe pouvaient compter sur l'aide et l'encadrement que vous m'avez donnés».

Cette phrase a hanté Miller, un financier montréalais qui adore le sport depuis toujours. Et qui veut absolument laisser des modèles qui vont inciter les jeunes Canadiens et Québécois à faire plus de sport.

Avec ses amis financiers, dont Stephen Bronfman et André Desmarais, il a mis sur pied une entreprise qui a investi un million dans cette seule année olympique pour aider à la préparation d'une vingtaine d'athlètes. «Les champions ne sont pas nés champions, ils le sont devenus, souligne Miller. On ne voulait pas prendre la place de personne, on voulait aider. Avec Scott Livingston, l'ancien du Canadien, avec des psychologues, des thérapeutes, des spécialistes différents qui travaillent pour B2Dix, on a rencontré les athlètes qui faisaient appel à nous. On étudiait leur cas et on leur proposait des services. Gratuits, payés par les sommes d'argent recueillies au cours des dernières années. Par exemple, Steven Bronfman a fait le voyage à Vancouver pour encourager Jenn et Alexandre parce qu'il se sentait impliqué dans leur lutte et dans leur victoire. Il a passé des heures sous la pluie à attendre un autobus après les compétitions, mais il savait que son argent avait été dépensé à bon escient. Je peux le dire, les frais d'administration de B2Dix sont de... zéro cent. Mon ami Andrew Parsons, un financier à la retraite, consacre des jours et des jours chaque semaine à administrer la compagnie.»

«Prends Alex Harvey, ajoute Dominick Gauthier. Son coach Louis Bouchard, de Québec, est un héros. Mais les athlètes ne sont pas «lamenteux». Se retrouver 12 dans une van pour 6, c'est normal. Mais quand on analyse la vraie situation, on réalise qu'on peut leur apporter le surplus qui fait la différence.» J.D. Miller précise: «Parfois, on apporte le glaçage sur le gâteau, des fois, la cerise sur le glaçage, mais parfois, comme avec Jenn et Alexandre, on a préparé tout le gâteau».

Photo: André Pichette, La Presse

Dominick Gauthier (à droite) s'est offert une flûte de «champagne» mardi en compagnie de John D. Miller, son mentor et le cerveau derrière B2Dix, la compagnie qui fabrique des champions comme Jenn Heil et Alexandre Bilodeau.

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Je termine par le début. Pour les besoins de la photo, j'ai demandé à Dominick et à Miller de venir devant le Fairmont, juste à côté du Centre de presse. Et pour montrer qu'ils pouvaient prendre au moins une journée de congé pour célébrer la victoire d'Alexandre et Jenn, l'hôtel nous a prêté deux flûtes remplies de Ginger Ale. On prenait la photo quand un patibulaire couple de flics est arrivé. Bêtes, agressifs, épeurants, excités par le milliard de dollars investis dans la sécurité, ils ont exigé de sentir ce qu'il y avait dans les flûtes: «L'alcool est interdit dans les endroits publics!» ont-ils hurlé. Et le mot hurlé est bien choisi. Dominick était complètement éberlué, convaincu que c'était une farce de Surprise sur prise.

«Wow! Meeenute! C'est le coach de Jenn Heil et d'Alexandre Bilodeau! On peux-tu prendre notre f... de photo?»

La grosse police m'a regardé, encore plus menaçante et m'a dit d'être poli et de ne pas employer de gros mots.

Aie, ça se pique et ça se shoote sur le trottoir et dans la rue au coin du Carnegie Center, on peux-tu prendre notre Ginger Ale tranquille!

Pis, est-ce que f... est un gros mot en anglais?

Ah oui! ben, s'cusez...

Photo: André Pichette, La Presse

Un policier sent le verre de Dominick Gauthier.