Je suis au curling. Le matin au petit-déjeûner, mes collègues parlent de ce qu'ils vont faire dans la journée, Jean-François couvre les gros trucs sportifs, Caroline les gros trucs pas sportifs, François est au hockey, Simon à Whistler et Réjean... Effrayant Réjean. Il est partout. Il couvre tout. Les ministres l'appellent à 6h30 du matin, l'autre matin je suis témoin, Lisa Machin, l'ancienne ministre fédérale.

Qu'est-ce qu'elle voulait?

Je te le dirai pas.

Je les adore, Réjean inclus. Mais ce sont des journalistes. Alors que moi, pas tant que ça. Sont au courant de tout. Moi de rien. Jamais un ministre ne m'a appelé de ma vie. Chaque matin, notre boss à Montréal récapitule le programme de chacun pour la journée, nous l'envoie par courriel, Simon ceci, Caroline cela, Jean-François, Réjean, tous hyper bookés, moi ça dit toujours la même chose, Foglia: libre.

Libre? OK je vais aller au patinage artistique. J'y vais. Réjean est déjà là. Libre? OK, je peux aller au hockey féminin avec vous Caroline? Non, c'est moi, dit Réjean.

OK d'abord. Je vais aller au curling. Réjean tu vas pas au curling?

Pour vous dire comme je connais le curling, en préparation des Jeux, j'ai découpé un article dans une revue. Je commence à le lire tout à l'heure, dans le parc voisin de l'aréna, merde c'est pas sur le curling, c'est sur le curling en chaise roulante, une discipline des paralympiques. Si voulez mon avis, devraient tous jouer en chaise roulante, je veux dire, je ne pense que le curling soit un sport, alors tant qu'à ne pas faire de sport, pourquoi pas s'asseoir?

Le Vancouver Olympic Centre où cela se joue est situé au sud de Mount Pleasant, dans le centre de Vancouver. Les maisons ont des jardinets, les arbres des petites feuilles d'un vert tendre. C'était le printemps hier. Je suivais la foule.

Pour l'entrée des médias, il fallait faire le tour par une rue en bordure du Queen Elizabeth Park, un des plus beaux de Vancouver, presque aussi vaste et pentu que notre Mont-Royal. À gauche, l'entrée des médias, j'ai pris à droite, le parc. J'en ai été tout de suite récompensé par le coup de sifflet d'une marmotte qui appelait son marmoton. Envoye à la maison!

Je suis monté à travers les taupinières, me suis assis dans l'herbe, au soleil. Des oies sont arrivées, six. Des Canada gooses, de celles qui ne font que passer chez nous et se posent par milliers dans nos champs au printemps et à l'automne. Méfiantes chez nous, ici familières et pique-assiette comme des pigeons.

J'ai rien les filles, une banane, vous mangeriez de la banane? Des amoureux sont passés enlacés, parlant d'amoureux c'était l'anniversaire de ma fiancée, allo fiancée...

T'es où?

Je suis au curling mon amour. Enfin presque. Es-tu fière de moi? Tu le sais mon amour, tout ce que fais dans la vie, c'est pour que tu sois fière de moi. Si tu me quittais, je n'irais plus jamais au curling, ça me tenterait même plus.

J'ai lu un peu. Des poèmes de Philippe Léotard que je traîne souvent en voyage, ce sont aussi des chansons mais j'aime mieux les lire, j'écris en vain, c'est que je préfère, j'écris dans la stupeur, voisin du zéro du coeur. Puis j'ai fait un petit dodo sous un chêne et je suis allé au curling.

Bien sûr, vous voulez savoir qui a gagné? Le Luxembourg, 8 à 2.

Le patinage artistique

Au patinage artistique, m'expliquait le Français assis à côté de moi dans la tribune de presse du Pacific Coliseum, au patinage artistique, il y a les artistiques, la caricature étant l'Américain Johnny Weir qui ne devrait plus laisser sa maman l'habiller, il y a aussi l'autre Américain, Evan Lysacek, et à un degré moindre votre Canadien Patrick Chan qui devrait changer de chorégraphe, elle l'empêche de s'exprimer.

Est-il en train de me dire que «notre» Chan patine un peu moumoune?

Et il y a les athlétiques. Le Français Joubert en tête qui l'est trop, il confond patinage artistique et cascades. Le Japonais Daisuke Takahashi qui devrait être sur le podium ce soir, et Plushenko le plus complet des patineurs qui dit être revenu au patinage pour lui redonner un peu de lustre. C'est pas la modestie qui l'étouffe, mais reconnaissons qu'il a le talent pour asseoir ses prétentions. Après Turin où il a gagné il s'est marié, il a fait un bébé, il a fait la une des journaux à potins de Russie tous les jours et il a pris 20 livres.

Ça ne paraissait pas sur la glace mardi soir.

Je sais, j'ai écrit tant d'horreurs sur la patinage artistique... En fait toujours la même. J'en ai seulement contre la théâtralité de ce très grand sport. Accordez-moi que j'ai toujours dit: un très grand sport.

On dirait aussi que c'est moins pire chez les hommes. Pas d'effet «jupette» forcément, tous pantalons noirs, quelques paillettes dans le t-shirt, mais ça reste raisonnable. Des musiques pas trop sucrées même si Plushenko a patiné sur le concerto d'Aranjuez. Il y a eu un Japonais sur du Hendrix.

J'ai pas détesté ma soirée, mais je suis parti avant la fin pour éviter la cohue de la sortie. Le chauffeur de taxi était au téléphone. Vous parliez en quelle langue?

Pendjabi.

Vous êtes Sikh? Pourquoi vous ne portez pas de turban?

Parce que je suis Canadien maintenant.

Moi aussi je suis Canadien, lalalèreu. Et comme vous, je ne l'étais pas avant. Par contre je ne portais pas de turban. Je viens du Luxembourg. On ne porte pas le turban au Luxembourg, sauf les femmes des fois, pour faire le ménage.

À ma demande il m'a laissé dans un restaurant indien, Flavours of Nirvana.

DES JEUX VERTS - À l'ovale de vitesse de Richmond, quand vous avez le temps, une préposée se propose de vous expliquer ce que cette installation a d'écologique. L'anneau a été construit en bois d'arbres malades, devenu bleu à cause d'une bibite, l'histoire a été racontée cent fois, mais ajoute la proposée, on parle moins du procédé unique qui permet de récupérer les eaux de pluie pour les toilettes.

Je ne l'ai pas obstinée. Il y a deux ou trois ans, j'étais à Newbern en Alabama, 123 habitants, siège du Rural Studio Project, des jeunes architectes du monde entier construisent toutes sortes de trucs dans le coin, ils avaient été bien fiers de montrer un gymnase et un refuge municipal pour animaux qui récupéraient l'eau de pluie pour leur toilettes. Je comprenais l'idée en Alabama où l'eau est rare... Ici, avec toute la pluie qui tombe dans une semaine, on pourrait récupérer assez d'eau pour flusher tous les bols de toilettes de Vancouver pendant dix ans.

ARBITRAGE - Rencontré dans le métro, quatre officiels du patinage courte piste, M. Guy Marcoux, le starter qui décide des faux départs, Gérard Matusalem, Français celui-là, arbitre de piste, André Lamothe, ancien président de la fédération canadienne de patinage, et Michel Verreault, arbitre en chef, c'est lui qui a fait le serment des arbitres lors de la cérémonie d'ouverture (le seul bout en français).

Permettez une question, m. l'arbitre en chef? Supposons. Finale du 1000 mètres. Deux Coréens. Deux Canadiens, et deux autres. À la demande de son entraîneur ou de sa propre initiative, un des Coréens décide de se sacrifier: il fera tomber le Canadien favori pour que son coéquipier gagne la médaille d'or.

La manoeuvre peut-elle se faire subtilement sans que l'intention paraisse évidente?

Oui.

Donc, le Canadien tombe. Le Coréen qui l'a «accidentellement» fait tomber est disqualifié. Reste que son coéquipier gagne la médaille d'or, ce qui était le but de l'opération. Que pouvez-vous faire contre cela?

Rien.

Merci monsieur l'arbitre en chef.