Elle a gagné la médaille d'argent du 500 mètres courte piste. Elle est en train de séduire tout Vancouver avec son sourire, ses 20 ans, son anglais approximatif du Lac-Saint-Jean, non attendez, approximatif c'est comme si je disais laborieux, son anglais pétille comme le reste, elle cherche ses mots, s'illumine quand elle les trouve, pouffe dans sa main quand elle se trompe, se tourne vers l'attachée de presse pour qu'elle l'aide, son anglais est finalement plus facile à suivre que son français, en français elle shoote ses mots à la mitraillette comme tous les ados ; comme les ados aussi, elle met des accents circonflexes sur les â, hier mâtin j'ai changé mes lâmes, puis je suis allée m'entraîner, il faisait soleil, j'était super contente. Après je suis revenue au condo, j'ai relaxé un petit peu...

Elle raconte la journée qui a changé sa vie à toute vitesse, pour la 20e fois sans doute depuis hier. Du champagne ouvert la veille qui fait des bubulles le lendemain, on n'en boit pas souvent. Son récit est entrecoupé de petits rires tout ronds, comme des petits glaçons qui s'entrechoqueraient dans une coupe de champagne justement.

Marianne St-Gelais, de Saint-Félicien, commanditée par le zoo de Saint-Félicien, a complètement séduit la vingtaine de journalistes qui l'attendaient hier matin au centre des médias non accrédités, comme elle est en train de séduire tout Vancouver avec son sourire et ses 20 ans. Quand elle est partie, tous les collègues disaient la même chose : quel vent de fraîcheur, pourvu que ça dure.

À quoi a-t-elle pensé en franchissant la ligne? Là dessus, elle nous a répondu un peu n'importe quoi, elle a dit j'ai pensé que je ne n'avais jamais été première dans la vie... Sauf qu'en franchissant la ligne, elle n'était pas première, elle était deuxième. C'est son sourire qui est en or, sa médaille, elle, est d'argent. Sauf aussi qu'il y a à peu près un an elle gagnait le championnat du monde junior ; il a bien fallu cette fois qu'elle arrive première ! Peut-être voulait-elle dire qu'elle n'avait jamais été première à l'école, le cas n'est pas rare chez les athlètes.

Les Chinois ont voulu la faire parler de Wang Meng, la fusée qui a gagné ce 500 loin devant elle. Marianne leur a fait plaisir : Meng est une grande patineuse, mais je ne la connais pas beaucoup, je connais surtout ses fesses, dans la finale je me concentrais sur ses fesses, je me disais qu'il fallait que j'aille les chercher : mission impossible. Les Chinois étaient bien contents. Combien on parie qu'il y a le mot «ifesses», aujourd'hui, à la une des quotidiens de Pékin?

À qui a-t-elle pensé en franchissant la ligne?

À mon entraîneur Sébastien Cros. Je lui dois cette médaille. Quand je suis arrivée à Montréal, il y a trois ans, il se demandait bien ce qu'il allait faire avec moi, je faisais mes entraînements à moitié, je n'écoutais rien de ce qu'il me disait, ça ne me tentait pas de travailler... Il a fait des miracles avec moi.

Vous ennuyez-vous de Saint-Félicien?

Ça fait longtemps que j'y suis allée. On m'a dit que la fête avait continué tard dans la nuit, mercredi soir. Je suis très fière de les représenter.

Sa vie a-t-elle changé?

Vous voulez dire à part me voir toutes les trois secondes à la télé? Ah oui, Marc-André Fleury, le gardien des Penguins de Pittsburgh, m'a serré la main au village et félicité pour ma course. Elle lève le poing, yé ! Pour le reste, c'est pareil ; quand j'ai fini par rentrer pour aller me coucher ce soir-là, Tania (Tania Vincent, la patineuse la plus âgée de l'équipe avec qui elle partage sa chambre), Tania m'a dit comme d'habitude : tu fais bien du bruit !

Son chum? (Charles Hamelin, favori du 1000 mètres demain.)

Mon chum était plus nerveux pour moi que pour lui. Maintenant, il faut que je le laisse tranquille, il a sa course demain.

Une collègue anglophone pose une dernière question. Marianne ne saisit pas bien, confidence, qu'est-ce que c'est déjà? Confiance, lui glisse l'attachée de presse. Ah oui, la confiance, d'où vient ma confiance? Elle ne sait pas.

Moi, je sais : elle vient de ses 20 ans.

Pourvu que ça dure, disait tout le monde quand elle est partie.

Je sais ça aussi : ça ne dure pas.

Financement

Rencontré au centre des médias non accrédités, Simon Fortin, de Baie-Saint-Paul, prof d'éducation physique dans trois écoles élémentaires, aux Éboulements, à Saint-Urbain et à Saint-Hilarion, c'est dans Charlevoix tout ça. En congé différé. Il a acheté pour 1000 $ de billets, est hébergé gratuitement chez une dame qu'il ne connaît presque pas, qui lui a dit : je ne veux pas profiter des Jeux, y'en a assez comme ça qui le font. S'il reste des médailles, on pourrait peut-être en donner une à celle-là.

Déception en partant pour Simon : la contre-performance de Dominique Maltais, sa presque voisine de Petite-Rivière-Saint-François. Une amie. On a parlé de sa job, de la bonne volonté des enfants, mais de leur absence de culture sportive. Et surtout de la rareté et de la pauvreté des équipements mis à leur disposition.

On est toujours en train de courir après les sous !

Vous avez déjà entendu cela? Sans doute. Ce qui n'est pas banal ici, ce n'est pas le propos, c'est le lieu où il se tenait : dans la salle de presse d'un événement sportif qui a coûté sept milliards.

Business

Les chauffeurs de taxi ne sont pas contents. Ils l'étaient avant les Jeux, sans en attendre monts et merveilles, un peu de business quand même. Ils découvrent que les athlètes, les journalistes, les accrédités en général ont leurs propres réseaux de transport, et que les touristes - beaucoup de parents et d'amis d'athlètes pas très fortunés - ont budgété serré leurs vacances olympiques. Ils découvrent surtout que la ville s'est vidée d'une partie de ses habitants, un sondage de la maison Mustel Group estime que 250 000 habitants du grand Vancouver ont fui les Jeux, son brouhaha et ses embarras de circulation. Leur clientèle habituelle. Ont hâte que ça finisse.