Joannie Rochette a décidé de ne pas parler aux médias. Mais même. Vous sauriez quoi lui demander, vous? Moi pas. Un mot de réconfort, courage, madame mais des questions? Pas de questions.

Courage, madame. Pas pour les deux jours de compétition qui viennent. Ça, ce sera le plus facile. Le pays entier va vous porter. Même si vous tombez - vous ne tomberez pas - mais si vous tombez quand même, il vous applaudira comme jamais une patineuse n'a été applaudie en tombant.

Je suis sûr que vos deux principales adversaires, Kim la Coréenne et Mao la Japonaise sont désolées pour vous... mais surtout pour elles. Elles savent que vous allez patiner à la mort, à l'amour, que vous allez transcender votre routine. Que les juges ne pourront pas être indifférents. Vous allez forcément donner plus qu'une performance. Vous allez donner un moment. On le marquera d'une pierre blanche, il entrera dans l'histoire du patinage: c'est le soir où Rochette a patiné pour sa mère.

Bien avant la fin de votre routine, vous serez en larmes. Je vais avoir l'air cynique, je ne le suis pas une miette: les gens adorent ça plus que le sport. Les histoire tristes, je veux dire. Les larmes. Ils boiront les vôtres avidement.

Je n'ai pas d'inquiétude pour ce soir. Ni pour jeudi. Ce sera magnifique et déchirant. La mort d'un proche souvent galvanise les athlètes au lieu de les abattre. Je l'ai vu dans le Tour de France, ils venaient de perdre un des leurs, ils étaient comme ivres. Vous serez comme ça aussi ce soir, tout près de l'ivresse, de la transe.

Courage, madame. Pas pour ce soir, ni pour jeudi. Pour après. Quand les médias auront tout dit. Quand les psys se seront éloignés, et vos amis aussi. En passant, si vous me permettez encore, je ne sais pas comment vous faites pour supporter tous les gens que je vois autour de vous depuis dimanche, ces gens qui disent prendre soin de vous. Moi je me mettrais à hurler: foutez-moi le camp tout le monde. Chacun sa manière bien sûr. Quand ma mère est morte, j'ai mis tous les gens qui étaient là dehors et je suis allé fumer une cigarette dans le jardin. Vous ne fumez pas, je suppose?

Courage, madame, pour après. Pour quand vous aurez repris l'entraînement pour les championnats du monde à Turin à la fin mars. Parce que vous serez aux championnats du monde bien sûr. C'est à peu près à ce moment-là que le deuil vous rejoindra sournoisement. C'est toujours comme ça, on croit que sa mère est morte, ça va c'est fini, et puis non, elle est encore là...

Un soir, à Turin, vous serez à la terrasse d'un café, piazza San Carlo. Vous vous rappellerez les Jeux de 2006. Vous vous rappellerez que vous avez patiné sur l'Hymne à l'amour, cette musique que vous avez piquée à votre mère, vous allez éclater en sanglots, vous allez morver dans votre chocolat chaud, le garçon s'approchera, ça va, madame?

Les gens à la terrasse se diront: c'est drôle, la fille qui pleure, j'ai l'impression de l'avoir déjà vue quelque part.

Bon courage, madame.