En plein milieu du square Robson, le coeur géographique des Jeux, là où on retrouve les foules les plus denses, les conspirationnistes du 11 septembre 2001 ont dressé une petite table et distribuent des tracts à une foule complètement indifférente, on s'en doute.

J'ai eu la mauvaise idée de leur demander si le conspirationnisme était devenu un sport olympique. Ils m'ont aussitôt entrepris, holà, holà, jeunes gens, je voulais seulement vous demander, vous qui êtes des spécialistes du complot, ce que vous pensez de la décision de l'entraîneuse de l'équipe canadienne de hockey de titulariser la gardienne Shannon Szabados plutôt que Kim St-Pierre, pour la finale contre les États-Unis?

Je venais de l'apprendre de Kim St-Pierre qui, elle-même, venait de l'apprendre de son entraîneuse. Eh non, M. Foglia, ce n'est pas moi qui vais garder les buts pour la finale. Melody (Davidson) a décidé d'y aller avec Shannon Szabados. Je viens d'annoncer la nouvelle à mon copain et à ma famille. Vous êtes le premier journaliste à qui j'en parle. Je survivrai, mais c'est pas facile surtout qu'il y a dans cette décision un petit air de déjà-vu, non? Venez voir le match quand même, promis?

Pourquoi ne pas croire tout simplement que l'entraîneuse Melody Davidson a choisi la meilleure des deux gardiennes de l'heure?

Pourquoi? Parce que Turin. Il y a quatre ans, le Canada affrontait la Suède en finale. Une formalité. Le Canada aurait gagné avec Jocelyne Blouin dans les buts. Melody Davidson n'avait aucune raison de remplacer Kim St-Pierre par une autre Québécoise d'ailleurs, Charline Labonté. C'est pourtant ce qu'elle a fait. Qu'est-ce qui me dit que ce n'est pas la même vendetta qui se poursuit?

Anyway. Le Canada est favori pour l'emporter. Les États-Unis ont gagné les derniers championnats du monde et battu deux fois le Canada durant la Canada Cup en septembre dernier sur la même glace que ce soir, mais depuis le Canada s'en vengé en Finlande en novembre, battant trois fois de suite les Américaines, elles sont sur cette lancée-là. Avantage Canada sur ce qu'on a vu du tournoi olympique jusqu'ici, et sur ce que disent les Finlandaise et les Suédoises qui ont affronté les deux équipes: les Canadiennes sont plus affûtées, plus affamées. Voilà.

Mauvais calcul, lalalèreu

Trois médailles hier, possiblement trois aujourd'hui, hockey féminin, Joannie Rochette et ski acrobatique (sauts, hommes), trois sûres demain (peut-être cinq, sans rêver), deux autres samedi, cela fait 12 médailles de plus d'ici la fin des Jeux, autant qu'on en a amassé jusqu'ici, on vous l'avait pourtant dit d'être patients.

Ce ne sera pas assez pour rejoindre les Américains ni ces foutus Allemands qui ont moissonné le gros de leurs médailles au biathlon, je vous demande un peu, le biathlon! Vous connaissez des gens qui font du biathlon, vous? Ce matin, dans le lobby de l'hôtel, j'ai demandé à un journaliste allemand s'il connaissait quelqu'un en Allemagne qui fait du biathlon. Personne! Il m'a raconté la vraie histoire du biathlon allemand. Quand le mur de Berlin est tombé, l'équipe de biathlon est-allemande s'entraînait dans la petite partie de la Silésie qui se trouve en Allemagne, une région très reculée, oubliée du progrès. On n'a jamais dit aux biathloniens est-allemands que le mur était tombé et on continue de les entraîner selon la méthode est-allemande: le fouet et la drogue, des drogues si anciennes que Mme Ayotte n'a plus les instruments pour les détecter.

N'empêche. «À nous le podium» s'est complètement fourré. Pas tant dans le nombre de médailles que remporteraient les athlètes canadiens que dans la façon de les comptabiliser.

Le classement officieux des Jeux s'établit depuis toujours en comptabilisant les médailles d'or. Est déclaré vainqueur officieux des Jeux le pays qui remporte le plus de médailles d'or en vertu du principe que le pays gagnant est celui qui gagne le plus souvent, pas celui qui termine troisième le plus souvent.

Pour des raisons parfaitement chauvines, parce qu'on pensait que les Canadiens l'emporteraient au total des médailles, «À nous le podium» a décidé que le seul classement auquel référaient ses objectifs était celui du total des médailles.

À ce classement-là, on sait déjà qu'on ne gagnera pas. À l'autre, oui. Le Canada va probablement remporter ces Jeux au classement comme avant, avec au moins 10 médailles d'or. Les deux du curling, Jasey-Jay Anderson au surf, Charles Hamelin au 500 (sa meilleure épreuve), le hockey féminin aujourd'hui, le hockey masculin...

De toute façon, si vous voulez mon avis, les deux façons de compter les médailles sont débiles. Je l'ai déjà dit: les performances ne se comptabilisent pas. Elles se pèsent.

Que Joannie Rochette monte ou non sur le podium ce soir, sa performance sera la plus lourde des Jeux, tous sports, tous pays, toutes médailles confondues.

Athlétiquement parlant, les résultats des skieurs de fond canadiens qui ne sont pas montés une seule fois sur le podium sont LA performance des Jeux de l'équipe canadienne. C'est pourtant pas difficile à comprendre: un top 10 dans un sport pratiqué par des centaines de milliers de gens dans au moins 15 pays du monde, c'est mieux que la médaille d'or dans un sport pratiqué par 197 spécialistes en Lettonie (ou à Mont-Tremblant), ou par quelques milliers d'athlètes dans seulement trois ou quatre pays, mettons le Canada, la Corée et la Chine. Vous me suivez?

COMMUNICATIONS - Je parlais ce matin avec un monsieur très gentil, météorologue, Alain Bergeron de Baie-Saint-Paul, qui vit à Vancouver depuis cinq ans où il travaille à Environnement Canada. Pour les Jeux, il a été spécifiquement affecté aux pistes de descente à Whistler, on parlait évidemment de la pluie et du beau temps, il me disait que la grisouille que l'on avait hier était typico du Vancouver hivernal mais que les étés étaient magnifiques et secs quand tout à coup il s'arrête de parler et me dit: je vais vous donner le numéro d'Environnement Canada.

Pour quoi faire?

Pour parler.

On parle, là...

Oui, mais je ne suis pas autorisé.

L'autre jour, à la porte de la patinoire de pratique du parc Trout Lake, il y a avait un policier de la ville de Montréal en devoir. Lui aussi: on échange quelques mots, il s'interrompt: désolé, je ne peux pas vous parler. Les flics, à la limite... mais aussi les fonctionnaires, les artistes, les athlètes et maintenant les météorologues?

Je vais essayer de me trouver un éleveur de lapins. Avez-vous des questions sur l'élevage du lapin dans le sud de la Colombie-Britannique?

Ma fiancée vient de m'appeler. Juste avant de raccrocher: quel temps y fait à Vancouver? Je lui ai donné le numéro d'Environnement Canada.

LES PSYS - Les grands champions sont d'un tel narcissisme qu'ils n'ont pas besoin de psy. Lance Armstrong par exemple. C'est leur entourage qui en a besoin d'un.

Cette réflexion m'est inspirée par un de mes plus vieux lecteurs (Noël B.), grand admirateur d'Alex Harvey (et de son père bien entendu, notre totem à tous), mais qui se demande si Alex n'est pas trop gentil, pas trop entouré de «bonnes» personnes. Cela prendrait peut-être un psy pour mettre du Lance Armstrong dans ce gentil garçon.

Au-delà d'Alex Harvey que je ne connais pas du tout et mon lecteur non plus - il dit n'importe quoi, comme souvent les lecteurs - au-delà de cet avis gratuit, je trouve que c'est une bonne définition de la psychologie sportive, cette science hélas en extension: faire d'un gentil garçon un imbuvable connard persuadé qu'il est non seulement le meilleur de sa discipline, mais la crème de la société.

CHINE-CHINE - Traversé le quartier chinois sous la pluie. Au Peking Lounge sur East Pender, on trouve des meubles, des tableaux magnifiques et très chers, des vases, des choses et des machins kitsch de décoration intérieure. Le Peking Lounge est tenu par un monsieur pas très chinois, Daniel Poulin de Montréal, on a parlé de ce quartier dont il n'y a pas tant à dire, sauf qu'on se demande pourquoi un quartier chinois dans une ville chinoise? On a parlé des Jeux dont il espérait peu, il se doutait bien que les cousins et cousines des athlètes qui forment le gros du flot des visiteurs ne s'embarrasseraient pas d'un vase chinois. Il ne se doutait pas, par contre, que les Jeux feraient fuir sa clientèle régulière.

Daniel comme bien d'autres - notamment les restaurateurs du quartier Gastown voisin - attendent avec philosophie la fin des Jeux pour retrouver leur clientèle et des touristes moins... olympiques.