De prestigieuses propriétés viticoles du Bordelais, profitant des bénéfices du marché à l'export des crus classés, ont fait appel à de grandes signatures de l'architecture pour rénover leurs chais afin d'améliorer leur notoriété et s'adapter aux découvertes technologiques en matière de vinification.

«Il y avait de nombreux projets qui ont été reportés en raison de la crise de 2008. Mais les deux belles campagnes sur les millésimes exceptionnels 2009 et 2010 ont permis aux propriétés de réinvestir et d'évoluer techniquement», indique le président du Syndicat régional des courtiers en vins, Xavier Coumau.

Adaptation technologique, souhait d'investir pour augmenter la valeur du domaine et sa notoriété, la construction de nouveaux chais concerne donc de nombreux crus prestigieux tels Yquem (Sauternes), Latour (Pauillac), Petrus (Pomerol), Angélus (Saint-Emilion) ou Mouton Rothschild (Médoc), certains faisant appel à des architectes ou designer de renom tels Mario Botta à Faugères (Saint-Emilion), Jean Nouvel à La Dominique (Saint-Emilion), Alberto Pinto à Pavie (Saint-Emilion) ou Norman Foster à Margaux (Médoc).

«La demande explose aujourd'hui», confirme l'architecte Bernard Mazières, qui a réalisé de nombreux bâtiments viticoles notamment pour Yquem, Petrus, Latour ou Mouton Rothschild.

«Les propriétaires ont besoin de plus d'espace pour travailler, notamment pour s'adapter aux nouvelles connaissances sur les vendanges qui les amènent à se doter de cuves de vinification plus petites», explique-t-il.

En effet, ils pratiquent notamment la «vinification parcellaire», impliquant l'utilisation de cuves différentes pour chaque parcelle, au préalable identifiées grâce à une analyse fine des sous-sols géoréférencée par satellite, permettent de découper la vigne en parcelles aux caractéristiques identiques selon le type de sol ou l'âge des vignes.

Cette nouvelle approche «permet de gérer de façon beaucoup plus précise les dates de vendanges, la fenêtre de juste maturité pour les Merlots étant de quatre jours», explique Jean-Michel Laporte, directeur du château La Conseillante, en Pomerol, où les 18 cuves du nouveau chais inauguré en 2012 ont désormais «leur alter ego dans les vignes et leur propre vinification».

Au château les Carmes Haut-Brion, dans les Graves, un nouveau chai signé par le designer Philippe Starck, sa première réalisation viticole, est aussi annoncé pour la récolte 2015.

«La notoriété de Starck n'était pas l'idée première, il fallait un nouveau cuvier», assure Guillaume Pouthier, directeur du château.

En 2011, Cheval Blanc, premier grand cru classé A, avait marqué le monde du vin en osant au milieu des vignes de Saint-Emilion une construction moderne et de prestige signée Christian de Portzamparc.

À quelques mètres seulement de ce bâtiment blanc immaculé aux formes arrondies, va se dresser pour les vendanges 2013 un pavillon rectangulaire recouvert de lames en inox «rouge Bordeaux».  Le grand cru classé château La Dominique entend par cet édifice moderne, «inspiré des oeuvres d'art métalliques d'Anish Kapoor aux effets de miroir inversé», réparer «un déficit de notoriété qui pour la promotion des vignobles est d'une grande nécessité», indique son directeur Yannick Evenou.

«On veut montrer que La Dominique est cernée par les propriétés mondialement connues de St Emilion et de Pomerol» et «comme notre illustre voisin Cheval Blanc avait fait appel à un grand architecte, l'idée était de prendre une grande signature avec Jean Nouvel qui a voulu +faire une oeuvre d'art dans les vignes+», a-t-il ajouté.

Non loin de là, le mythique Petrus a eu lui aussi besoin de se doter d'un cuvier parcellaire. Mais ici, «l'objectif esthétique a été l'intégration dans le paysage et la discrétion», indique l'architecte Bernard Mazières.

«On est dans le cuvier comme dans un bateau, tout est fonctionnel», dit Jean-Pierre Erath, consultant architectural, «il n'y a pas d'artifice décoratif dans les chais, c'est un outil de travail rendu beau».

«Les caractéristiques architecturales sont à l'image du vin», souligne encore ce consultant. «À Petrus, c'est une modernité de continuité patrimoniale. Avec les bâtiments de Jean Nouvel ou de Philippe Starck c'est une modernité de rupture qui se met en oeuvre. Rupture sociale et rupture d'échelle».