Le citoyen le plus connu de Bruxelles a arboré, samedi dernier, une tenue griffée Envers par Yves Jean Lacasse. À l'occasion du 400e anniversaire de Québec, la délégation générale du Québec à Bruxelles a offert au célèbre Manneken-Pis un nouvel habit créé et fabriqué au Québec.

La statuette de bronze, communément appelée le Petit Julien, ajoute donc un 810e habit à sa garde-robe officielle en symbole de l'amitié qui unit les deux capitales francophones.

Sculpté en 1619 par Jérôme Duquesnoy, le «môme qui pisse» haut comme trois pommes est l'un des emblèmes les plus connus de la ville de Bruxelles. «Il est de tradition d'offrir au Manneken-Pis des vêtements à des occasions spéciales. Nous avons jugé que le 400e était l'occasion où jamais pour le Québec d'offrir son tout premier costume à la célèbre statuette», lance Stéphanie Franssen, attachée en Affaires publiques et communications à la délégation générale du Québec à Bruxelles.

Il semble qu'Yves Jean Lacasse, créateur derrière la griffe Envers, se soit imposé rapidement pour cette commande hors de l'ordinaire. «Son nom nous est venu tout naturellement puisque nous cherchions un designer québécois qui ne soit pas étranger aux sensibilités belges. Nous savions qu'en 1999, il avait remporté un prix lors d'un concours de mode organisé en Belgique par l'Agence Québec Wallonie-Bruxelles pour la jeunesse et qu'il avait depuis conservé des liens étroits avec Bruxelles où ses collections sont très bien accueillies», dit-elle.

Le plus vieux et le plus jeune client d'Envers

Tout un honneur donc pour Lacasse de créer spécialement pour le Petit Julien quand on sait que ce dernier a dans sa penderie un costume offert par le roi Louis XV, des tenues données par plusieurs pays du monde et un ensemble conçu par Elvis Pompilio, modiste belge fort médiatisé pour avoir notamment créé des chapeaux pour les maisons Chanel et Dior, et pour Madonna. «J'ai vu pour la première fois le Manneken-Pis lorsque j'avais 8 ans. Jamais je ne me serais douté que j'aurais un jour le mandat de l'habiller et ainsi, l'occasion de marquer l'histoire», se remémore-t-il.

Alors, compliqué d'habiller ce joli chérubin? «C'est difficile de créer à distance pour un client qui ne m'a jamais rien commandé, fait remarquer le designer en riant. Ç'a été assez complexe, car il a fallu bidouiller des manches et travailler avec des ouvertures spéciales pour faire passer les mains et l'eau». Afin de s'assurer de bien visualiser la silhouette de Manneken-Pis, Lacasse s'est fabriqué un petit robot de papier aux mensurations de la célèbre fontaine. Idée géniale, puisqu'il semble qu'aucune retouche n'ait été nécessaire lors des essayages avec l'habilleur privé de la statue.

«À la base, le Manneken-Pis représente un bambin. Pas question donc de le déguiser avec des habits d'adulte ou encore de l'affubler d'un costume folklorique, explique Yves Jean Lacasse. Mon but était de lui créer une tenue sur mesure contemporaine. Un ensemble qu'un jeune enfant pourrait porter pour un mariage au Québec, par exemple.»

Je me souviens

Avec en tête quatre siècles de culture québécoise, Lacasse s'est lancé dans la création de vêtements truffés de références historiques et artistiques. De pied en cap, tout a été soigneusement pensé. D'abord, la matière: le designer a taillé son costume dans une étoffe de lin provenant de la caserne du Lin de Portneuf. «Le lin a été semé, cultivé, filé, et tissé sur les terres dont Samuel de Champlain avait pris possession au nom du roi de France Henri IV en 1608», note le designer. Puis, le créateur a souhaité une collaboration entre plusieurs artistes pour embellir son travail. Sous une veste à col officier, une chemise de soie a été taillée à même un tableau de Joséane Brunelle et Tristan Tondino représentant les fleurs indigènes du Québec. Dans des teintes d'orangé, la chemise fait un clin d'oeil aux couleurs du drapeau belge.

Amant du «fait main» et gardien des métiers traditionnels en couture, Lacasse a également retenu les services de la dentellière Esther Michaud pour ornementer sa tenue. Il a entre autres imaginé un chapeau panaché orné de plumes de diverses espèces de la faune québécoise, une composition de Céline Belec. Détail intéressant, on a peint sur le pantalon les paroles de Moi mes souliers de Félix Leclerc de façon à créer des rayures calligraphiques.

Il faut connaître la griffe Envers pour percevoir dans l'ensemble la signature subtile de son créateur. On reconnaît son essence tantôt dans le col officier, tantôt dans les appliques de dentelle. Celui qui est reconnu pour revisiter les silhouettes traditionnelles et pour valoriser le travail artisanal offre au Manneken-Pis une parcelle de son univers poétique.

Le cadeau québécois à la Ville de Bruxelles sera conservé dans la garde-robe de Manneken-Pis au musée de la Maison du Roi, située sur la Grand'Place à Bruxelles. «Il est fort probable que nous fassions des demandes officielles afin que Manneken-Pis revête à nouveau son habit québécois, par exemple à l'occasion de la Saint-Jean-Baptiste», conclut Mme Franssen.