Un même cépage certes, mais des goûts plus souvent qu'autrement aux antipodes ! Cette série «match des cépages» vous permettra de mieux saisir les différences de goût entre les vins d'un même cépage, selon qu'il provient de son terroir de prédilection ou qu'il a été cultivé sous un autre climat. L'idée n'est pas de déterminer un gagnant, mais bel et bien de mieux les cerner, pour ainsi créer des harmonies plus justes à table.

Originaire d'Espagne, le mourvèdre aujourd'hui cultivé en France aurait perdu sa filiation génétique avec le cépage qui passe toujours pour son précurseur, soit le très cultivé monastrell d'Espagne. Selon des études récentes sur l'ADN de ces deux cépages, le monastrell aurait plutôt des affiliations génétiques avec le moristel - même si ce dernier donne un vin plus léger -, un autre cépage espagnol, surtout cultivé dans le Somontano. Donc, notre mourvèdre français aurait probablement muté au fil du temps. À moins que ce ne soit le monastrell qui ait changé d'identité depuis.

Quoi qu'il en soit, une certaine logique se dégage de cette recherche, car tout comme le monastrell aime se faire dorer la couenne en Murcie, le mourvèdre adore le soleil brûlant de la Côte d'Azur; toutefois, il a aussi besoin d'avoir «les pieds dans l'eau», donc d'être cultivé en situation côtière, à Bandol par exemple, pour donner le meilleur de lui-même. Ce qui n'est pas le cas du monastrell qui, lui, survit admirablement dans la grande sécheresse et l'aridité des sols sablonneux des zones d'appellations espagnoles Jumilla et Yecla.

Contrairement au monastrell espagnol, le mourvèdre est généralement assemblé avec d'autres cépages en France. À Bandol, en Provence, son terroir de prédilection, rares sont les cuvées à 100% mourvèdre, mais, comme partout ailleurs en Provence, dans le Rhône méridional et dans le Languedoc et le Roussillon, il apporte couleur, générosité et structure tannique passablement ferme à l'assemblage qu'il compose notamment avec la syrah et le grenache. Dans les vins jeunes, le mourvèdre du Midi de la France exprime sa palette olfactive par des effluves de griotte, de cassis, de mûre, de pruneaux, de réglisse ou de violette. Et dans les vins qui ont quelques années de bouteille, il transforme son bouquet en note de sous-bois, de cuir, de truffe, d'épices ou de fruits à l'eau-de-vie.

Quant au monastrell, on le retrouve surtout en cépage pur, mais aussi dans certains assemblages avec le tempranillo, la syrah ou le cabernet. Les vins qui en sont issus expriment un potentiel aromatique proche parent de son frangin de l'Hexagone mais dévoilent une texture d'une plus grande épaisseur veloutée, plus sphérique et plus capiteuse. Donc, rappelez-vous qu'une fois à table, il vous faudra tenter de brider l'ardeur tannique de la version française, pendant que vous tiendrez compte de la richesse alcoolique du géniteur hispanique.

Espagne

À tout seigneur tout honneur, débutons avec trois vins espagnols, à prédominance de monastrell. L'ampleur sphérique provoquée par la grande maturité de ce cépage, se traduisant par une généreuse présence de l'alcool, permet des harmonies avec des mets de viandes rouges en sauce teriyaki, telles que les brochettes de boeuf ou d'agneau, ainsi qu'avec les plats richement épicés, par exemple les pâtes aux saucisses italiennes épicées ou le chili de Cincinnati.

La rencontre réussie de ces mets avec l'aubaine de l'heure qu'est le nouveau 2006 du Taja Monastrell 2006 Jumilla, Mähler-Besse, Espagne (12,30$; 243329) en est la preuve. Une réussite, à 100% monastrell, provenant de Jumilla, l'appellation espagnole montante, fort colorée, richement aromatique, à la fois débordante de fruits noirs et d'épices (poivre, girofle), à la bouche juteuse, pleine et texturée, aux tannins tendres, à l'acidité discrète et aux saveurs pleines et persistantes.

De même pour les plats longuement braisés et épicés et ceux à base de sauce balsamique, plutôt difficiles pour les vins plus fermes de mourvèdre français. Tentez l'exercice avec un foie de veau accompagné d'un confit de betteraves et d'oignons rouges ou un plus classique bifteck d'aloyau grillé aux épices à steak que vous accompagnerez de l'ample, épais et persistant Castaño Coleccion «Cepas Viejas» 2004 Yecla, Espagne (20,45$; 894170). Ou encore, servez le pénétrant ragoût de boeuf épicé à l'indienne avec le percutant, plein, dense et généreux Juan Gil 2004 Jumilla, Espagne (22,25$; 10758325). Deux nouvelles références à ne pas manquer!

France

Quant au mourvèdre français, qu'il soit prédominant ou en assemblage, son habituelle structure tannique plus ferme et sa densité plus ramassée requièrent des accords aux tonalités différentes. L'exemple sur mesure est le très serré, longiligne et élancé nouveau bandol Domaines Ott 2002 Bandol, Château Romassan, France (44$; 10786027), qui se durcirait au contact d'une sauce balsamique. Mais qui s'attendrira un brin lors d'une rencontre avec un plus classique filet de boeuf saignant accompagné d'un sauté de champignons sauvages.

Parmi les références chez les assemblages dominés par la présence du mourvèdre, il faut compter le Coudoulet de Beaucastel 2004 Côtes-du-Rhône, Vignobles Pierre Perrin, France (29,70$; 973222), au nez résineux, plein et assez riche, aux notes balsamiques et un brin truffées, aux tannins charnus, qui ont du grain, sans être trop fermes, à l'acidité fraîche et aux saveurs longues, éclatantes et précises. Le type de vin qui sera en pâmoison devant un gigot d'agneau aux herbes séchées (thym, romarin et origan), ou devant un canard rôti et badigeonné au scotch single malt «tourbé». C'est que l'arôme de réglisse du mourvèdre a pour origine le même principe actif que la pointe tourbée d'un single malt.

Enfin, comme le mourvèdre français exhale plus souvent que son homonyme espagnol des parfums de truffe ainsi que des notes giboyeuses de cuir, les plats de gibier et ceux qui sont rehaussés de truffes noires ou d'huile de truffe lui vont à la perfection. L'une des références chez les vins de mourvèdre «truffés» au possible est sans contredit le grandissime Château de Beaucastel 2004 Châteauneuf-du-Pape, France (90$; 520189).

Un rouge au nez racé, richement fruité, condensé et retenu, d'une belle profondeur et d'une élégance suprême, à la bouche compacte, ramassée, imposante, charnue et tannique, mais tout aussi fraîche et distinguée dans sa richesse. Mûre, bleuet, vanille, résine et épices douces participent au cocktail de saveurs qui commence doucement à évoluer vers la truffe et le cuir neuf. Sur mesure pour une rencontre avec un jarret d'agneau confit parfumé à l'huile de truffe.

François Chartier est l'auteur du nouveau guide des vins La sélection Chartier 2008 , aux Éditions La Presse. On peut lui envoyer des questions par le blogue Internet www.francoischartier.typepad.com ou par la poste au 7, rue Saint-Jacques, Montréal H2Y 1K9

>>>MONASTRELL/MOURVÈDRE EN HARMONIES

Brochettes de boeuf ou d'agneau sauce teriyaki, pâtes aux saucisses italiennes épicées ou chili de Cincinatti.

Taja Monastrell 2006 Jumilla, Mähler-Besse, Espagne (12,30$; 243329).

Foie de veau accompagné d'un confit de betteraves et d'oignons rouges (avec une pointe de vinaigre balsamique) ou bifteck d'aloyau grillé aux épices à steak

Castaño Coleccion 2004 Yecla, Espagne (20,45$; 894170)

Ragoût de boeuf épicé à l'indienne

Juan Gil 2004 Jumilla, Espagne (22,25$; 10758325)

Filet de boeuf saignant accompagné d'un sauté de champignons sauvages.

Domaines Ott 2002 Bandol, France (44$; 10786027)

Gigot d'agneau aux herbes séchées (thym, romarin et origan) ou canard rôti et badigeonné au scotch single malt "tourbé"

Coudoulet de Beaucastel 2004 Côtes-du-Rhône, France (29,70$; 973222)

Jarret d'agneau confit parfumé à l'huile de truffe.

Château de Beaucastel 2004 Châteauneuf-du-Pape, France (90$; 520189)