Vos courriels et vos questions acheminés sur mon blogue montrent combien vous êtes nombreux à vouloir mieux saisir les chemins harmoniques qui conduisent à l'union des vins et des mets à table. Je vous propose donc de parcourir les mêmes chemins que j'emprunte lorsque je découvre une recette. La lecture des ingrédients qui la composent et leurs interactions permet, une fois que l'on connaît la réaction qui s'opère en bouche entre ces ingrédients et les vins, de se diriger vers un type de vin donné pour tenter de s'approcher du Graal harmonique, donc du plaisir d'une rencontre réussie entre l'assiette et le verre.

Depuis mes premières années de sommellerie, ayant le nez fourré partout dans les cuisines, tout comme dans les livres de recettes, je pense m'être transformé en un excellent «défricheur de recettes»... J'ai ainsi développé la capacité d'analyser les multiples saveurs des ingrédients qui composent une recette donnée. Puis, mettant en oeuvre ce que l'on pourrait qualifier de «palais psychique», j'ai acquis, grâce à l'expérience poussée du goût et de la dégustation, la capacité d'imaginer, à la seule lecture d'une recette, le ou les vins qui seront aptes à créer l'harmonie avec ce plat. Après quoi, il ne reste plus qu'à peaufiner l'accord dans la pratique. Et vous pouvez en faire autant!

Donc, au fil des prochains mois, à raison d'une ou deux chroniques par mois consacrées à ce sujet, je vous défricherai quelques recettes, façon Chartier, question de vous habituer à suivre les mêmes chemins harmoniques qui vous conduiront à l'harmonie à table. Car, comme l'harmonie doit régner dans une recette pour qu'elle soit réussie, elle doit aussi régner dans le choix du vin pour que la rencontre soit tout aussi délicieuse.

Auriez-vous eu l'idée, à l'époque où c'était encore la mode (...), de fumer une cigarette à table lors d'un repas gastronomique? Bien sûr que non. Vous ne dégusteriez pas plus un grand verre de lait avec des pâtes en sauce à la tomate? Et que dire du service d'un gros rouge tannique de Barolo avec des huîtres fraîches... Pas très agréable non plus. Vous comprenez donc que le choix du vin pour accompagner un plat est aussi important que le choix des ingrédients qui participent à la réussite d'une recette.

Vous pouvez ne pas être un apôtre de l'harmonie vins et mets, cependant, en matière de physionomie du goût, contester les fondements de l'union des vins et des mets reviendrait à accepter de cuisiner une recette dans laquelle des ingrédients antinomiques seraient utilisés, pour un résultat sans harmonie et sans plaisir gustatif... Cela étant dit, l'heure du défrichage a sonné!

Penne arrabiata

Pour cette première chronique de défrichage, prenons une recette aussi simple que délicieuse: les populaires pâtes italiennes penne arrabiata. Vous dénicherez la recette dans tous bons livres de cuisine italienne qui se respectent, dont celui de Stefano Faita, Entre cuisine et quincaillerie. Trois ingrédients dominent cette recette: la purée de tomate fraîche, les piments forts à l'huile et la pancetta ou le lardon, c'est selon. Il y a aussi l'ail qui, du moins dans la recette de Stefano, se fait discret.

Plus particulièrement, c'est la chaleur plus ou moins prononcée des piments forts qui domine, dépendant de la générosité que vous aurez à son égard. Contrairement aux idées véhiculées, seul un vin d'une certaine sucrosité (sans sucre), apportée par l'alcool - je vous rappelle que l'alcool à un goût sucré - calme le feu de la capsaïne, la molécule «brûlante» des piments. Qu'il soit rouge ou blanc, lorsque les piments interviennent, il vous faut soit du sucre soit une bonne dose d'alcool.

Le plat, ici, étant également dominé par la tomate fraîche, allons-y pour un rouge. Mais comme la tomate est fraîche, de cuisson rapide, il faut un rouge au corps modéré, sur le fruit de jeunesse, aux tannins fins et discrets. Un rouge corsé et tannique deviendrait dur sur une sauce à la tomate de cuisson rapide. Enfin, la pancetta, qui apporte une petite note viandée, salée et caramélisée, appelle un rouge presque généreux, donc de soleil.

Je récapitule. Pour les penne arrabiata, il nous faut un vin rouge jeune, aux tannins fins et discrets, doté d'une bonne dose d'alcool et gorgé de soleil. Ce à quoi répondent, par exemple, certains vins rouges d'Espagne à base de grenache, comme le sont ceux des zones d'appellation Campo de Borja et Cariñena, ainsi que d'autres crus du Midi de la France, qu'ils soient du Languedoc comme du Rhône méridional.

Pour vérifier l'accord par vous-même, concoctez ce plat de pâtes plus ou moins épicées et servez la nouvelle aubaine espagnole qu'est le Tocado 2006 Campo de Borja, Bodegas Borsao, Espagne (8,75$; 10845701). Exclusif pour le Québec et l'Angleterre, des grandes bodegas Borsao, dont les vins connaissent un succès considérable, tant ici qu'en Espagne et à l'étranger, il en résulte un sympathique rouge au fruité frais et engageant, aux tannins souples, doté d'une certaine générosité espagnole, coulant à souhait et offert à un prix plus que compétitif.

En passant, plus vous serez généreux sur le piment fort, plus la température du vin devra être élevée. Pas du tout de piment, ce qui ne mérite plus le titre d'arrabiata, vous servez alors ce rouge très frais. Dans la même ligne harmonique, ce gourmand Tocado fera le même travail avec la lasagne au boeuf braisé de Ricardo (magazine Hiver 2008). La fraîcheur pénétrante de cette lasagne au braisé de vin rouge, à laquelle on a ajouté des champignons, des courgettes et du fromage mozzarella, lui répondra avec autant de panache! Allez, prenez le temps de défricher vos recettes. Ainsi, vous pourrez leur choisir le ou les vins qui leur siéent le mieux. Et n'hésitez pas à me faire part, sur mon blogue de vos recettes préférées. À samedi prochain.