«Je veux le mêêêême!» Les tatouages des célébrités font des envieux. Mais avant de se faire reproduire le même dragon qu'Angelina Jolie sur la chute de reins ou dessiner un beau Batman sur la poitrine, vaut mieux se poser une question toute simple: à qui appartient le tatouage? À l'artiste, ou au support?

Un artiste peint une oeuvre. Un client l'achète et part avec. L'artiste n'en entend plus parler jusqu'au jour où il découvre que son client exhibe son oeuvre un peu partout et amasse beaucoup d'argent grâce à elle. L'artiste se fâche: il veut sa part du gâteau.

Normalement, la démarche n'est pas si complexe. L'auteur de l'oeuvre prouve sa paternité et n'importe quel juge exigera que des droits lui soient versés. Il peut même faire saisir l'oeuvre si elle a été modifiée sans son consentement.

Tout ça vaut pour une toile, un texte, un air de musique. Mais que se passe-t-il lorsque l'oeuvre en question est inscrite dans l'épiderme du client? Un juge peut-il ordonner de faire saisir la peau d'un biceps? Ou de verser des droits à l'auteur du dessin chaque fois que le tatouage est exposé en public?

Pour l'avocat Laurent Carrière, spécialiste des droits d'auteur, une chose est claire: la loi sur le droit d'auteur s'applique aussi au tatouage. «Ce n'est que le substrat sur lequel est apposée l'oeuvre artistique ou littéraire qui fait des drôles de relations.»

La question ne s'est pas posée devant les tribunaux d'ici et reste assez théorique. Mais il y a eu des précédents en Europe. L'épaule de Johnny Hallyday, le dos de David Beckham. Un beau tatouage suscite bien des convoitises...

Oeuvres éphémères

Dans le studio qu'il occupe, boulevard De Maisonneuve, à Montréal, Guillaume Couture réfléchit. Il crée des oeuvres d'art uniques pour ses clients. Mais une fois que celui-ci a quitté le studio Tattoo Mania, le tatoueur perd son oeuvre de vue.

«Une fois qu'il a payé, ce qu'il fait avec le tatouage ne me regarde pas», dit-il. Et s'il exhibe son tatouage devant les caméras de télé? «C'est de la pub pour moi. Plus c'est médiatisé, plus les gens se demandent qui l'a fait, et plus mon nom circule.»

La seule chose qu'il désire garder, c'est une photographie anonyme de son dessin tatoué qu'il glissera dans son porte-folio. Mais il n'a jamais, par exemple, déposé une oeuvre à l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) pour protéger ses droits d'auteur.

«Ceux qui tentent de reproduire un tatouage n'arrivent pas à refaire exactement le même. Habituellement, c'est moins beau. Mais ça peut aussi être flatteur d'être copié.» L'opération risque toutefois de se retourner contre le faussaire.

«Dans l'univers du tatouage, tout le monde tente de se faire un nom. Tu n'as pas avantage à copier ce que font les autres, ça ne t'aide pas à te faire un nom.»

Et qu'arrive-t-il lorsqu'un client souhaite modifier un tatouage? C'est plus délicat, admet Guillaume Couture. Lui qui n'a jamais songé à protéger ses droits d'auteur reconnaît qu'il existe un certain code d'éthique dans le milieu. «Normalement, quand t'as une certaine notoriété, t'acceptes pas de refaire le tatouage d'un autre. Si c'est un nobody qui l'a fait, je vais le refaire. Mais ça m'est déjà arrivé de refuser.»

Il conseille alors à la personne tatouée de retourner voir son tatoueur. Si c'est impossible, Guillaume pourrait appeler lui-même l'artiste pour avoir son autorisation.

Oeuvre plagiée, oeuvre saisie?

Certains salons proposent des catalogues de dessins tout prêts à être tatoués. Ceux-ci sont implicitement exempts de droits d'auteur. Mais les oeuvres crées pour des célébrités sont protégées. Une cliente qui se fait tatouer le même tigre qui caresse la chute de reins d'Angelina Jolie pourrait, en principe, être accusée avec son tatoueur de violation du droit d'auteur.

Même chose lorsqu'il s'agit de marques déposées. «Y a-t-il violation du droit d'auteur pour tous ceux qui se font tatouer des personnages Walt Disney, ou encore le symbole des Hells Angels sans autorisation? La réponse, c'est oui», dit Laurent Carrière.

Le droit d'auteur est clair: qu'il s'agisse d'un faux sac Louis Vuitton ou d'une fausse toile de Lemieux, la police a le droit de saisir les copies. «Mais si j'ai une copie de Schtroumpf dans le dos, est-ce qu'on va m'arracher le dos?», ironise M. Carrière. «Il y a déjà eu des perquisitions pour aller chercher des balles qu'on disait être dans le dos d'un suspect!»

Quoi? La question va-t-elle vraiment se poser un jour devant les tribunaux? «Sûrement, dit l'avocat. Pourquoi pas?» Mais quand même... Se faire arracher la peau pour un malheureux plagiat?

«À un certain point, il y aura des chocs entre le droit à l'intégrité d'une personne et le droit de saisie, reconnaît Laurent Carrière. Mais c'est l'intégrité de la personne qui va sûrement prévaloir.»

Sur le dos de David Beckham

Le footballeur anglais David Beckham et son tatoueur Louis Molloy semblent s'être assurés que personne ne fera d'argent avec les oeuvres convoitées.

En mai 2005, des hommes d'affaires japonais ont voulu acheter les droits de 10 célèbres oeuvres que le tatoueur britannique a créées pour la star du soccer anglais. Les dessins, dont un ange qui orne le dos de Beckham, auraient été reproduits sur des vêtements. Le contrat allait rapporter à l'artiste, selon certaines sources, plus d'un million de dollars canadiens.

Mais pour Beckham, pas question de voir «ses» oeuvres commercialisées de la sorte. Il a menacé son tatoueur de le poursuivre s'il signait ce contrat. Louis Molloy a reculé.

«Les assistants de David m'ont offert de l'argent pour acheter les droits du dessin de l'ange, mais la somme était dérisoire, a-t-il déclaré à l'époque au Sunday Mirror. On pourrait faire des millions avec cette image et la somme qu'ils m'ont offerte était insultante.»

Molloy ajoutait: «Je ne vois pas pourquoi je serais empêché de vendre mes propres oeuvres. J'ai perdu beaucoup d'argent.»

Un mois plus tard, le tatoueur a pris sa revanche. David Beckham, et sa sémillante femme Victoria, feront face à des poursuites s'ils exhibent leurs tatouages dans le cadre d'une campagne publicitairequ'ils prévoient signer.

«Ils avaient l'impression qu'ils possédaient ces images, mais ce n'est pas le cas», disait cette fois Louis Molloy au Daily Mirror. «Je ne veux pas que d'autres personnes fassent des tonnes d'argent avec ce qui m'appartient.»

Une source proche des Beckham affirmait cependant: «Ce qu'il ne semble pas réaliser, c'est que personne ne serait intéressé par ses tatouages si David ne les portait pas.»

Photo: Robert Skinner, La Presse

Le rockeur français Johnny Hallyday



À qui appartient le bras de Johnny?

En 1992, le rocker français Johnny Hallyday se fait tatouer une tête d'aigle et une plume sur l'épaule droite. L'auteur du dessin, Jean-Philippe Daurès, dit «Santiag», - artiste tatoueur connu en France - réalise «gracieusement» l'oeuvre pour le chanteur mais dépose son dessin à l'Institut national de la propriété industrielle.

L'année suivante, Johnny donne une série de concerts pour ses 50 ans. Sa maison de disques PolyGram en profite pour éditer des CD, DVD et autres vêtements sur lesquels apparaît le dessin de l'aigle de Santiag, devenu en quelque sorte l'emblème de Johnny. Santiag porte plainte pour contrefaçon. Les tribunaux lui donnent raison.

Le bras droit de Johnny appartient-il désormais à son tatoueur? Non, disent les juges. La compagnie de disques a le droit «d'exploiter, avec l'accord de Johnny Hallyday, la photographie de ce dernier sur le bras duquel (...) le tatouage serait visible " nécessairement mais de façon accessoire"», est-il écrit dans le jugement rendu par la Cour d'appel de Paris en 1998.

Johnny peut donc continuer à se balader en camisole. Par contre, s'il veut vendre des camisoles, justement, ornées du célèbre aigle qu'il porte à l'épaule, il doit demander la permission à l'auteur du dessin puisqu'il ne possède ni ne peut en céder les droits.

Photo: AP

Ce tigre au bas du dos de l'actrice Angelina Jolie est l'oeuvre de l'artiste-tatoueur thaïlandais Sompong Kanphai.

Fesse découpée, tatoueur condamné

Outre Johnny Hallyday et David Beckham, les cas où tatoueurs et tatoués se sont retrouvés devant les tribunaux sont assez rares. Mais une cause qui s'est déroulée en 1969 est assez surréaliste en matière de propriété du tatouage.

Claudine P., jeune actrice mineure, participe au tournage d'un film intitulé Paris secret. Chez un tatoueur parisien, l'actrice se fait tatouer une tour Eiffel et une rose sur une fesse, sous l'oeil de la caméra. Puis, toujours dans le cadre du film, les deux dessins sont découpés au scalpel et prélevés pour être vendus!

Le tribunal de grande instance de Paris, tout en condamnant la pose nue d'une mineure qui se fait tatouer puis découper une fesse, estime qu'il «convient de restituer le lambeau de peau prélevé sur la personne de l'intéressée» (!) et de lui payer 30 000 francs en dommages et intérêts (ce qui représente près de 50 000$ en dollars canadiens d'aujourd'hui).

Mais qu'en est-il de la vente des tatouages après la mort? «Le jour de ma mort, je veux qu'on me découpe en morceaux, qu'on mette tous ces tatouages dans des cadres et qu'on les vende aux enchères. Ce sera pour aider les gens dans le besoin» a déclaré Johnny Hallyday ce printemps. Vraiment? Impossible. «Le corps humain est hors commerce, dit l'avocat Laurent Carrière. Avec la mort du tatoué, l'oeuvre disparaît également.»

Source: Tatouagedoc.net