En terrine ou servie saignante, la viande des phoques abattus dans le Golfe du Saint-Laurent, au Canada, part à la conquête des gourmets, poussée par des bouchers et chefs désireux de rénover la cuisine du terroir, en dépit des critiques taxant cette chasse de cruelle.

Appréciée pour sa chair dépourvue de graisse mais riche en fer et en oméga 3, la viande de phoque est traditionnellement mangée crue par les Amérindiens et les Inuits, préparée à la bourguignonne ou braisée par les familles de chasseurs de l'est du Canada. Mais depuis peu, le loup-marin, comme on appelle ce mammifère au Québec, gagne les menus de restaurants branchés de la province francophone, séduisant par son goût relevé, décrit comme à mi-chemin entre le magret de canard et le foie de veau.

«La texture et la matière sont vraiment uniques, c'est une viande un peu iodée», s'enthousiasme Benoît Lengnet, chef français du restaurant montréalais «Au cinquième péché», où le loup-marin a été ajouté à la carte il y a deux ans.

Du fait de la courte période de chasse, de fin mars à fin avril, le phoque est un met de saison qui n'est servi que quelques semaines par année. «Cela fait une semaine que j'en ai et ça représente la moitié des entrées commandées», dit le cuisinier français, qui assaisonne ce plat avec de l'huile de truffe.

Pour Luc Jomphe, chef et propriétaire du «Bistro du bout du Monde», il y a là «un produit de niche et d'exception» en plein développement.

Précurseur de la gastronomie du phoque, ce jeune chef a ouvert son restaurant il y a cinq ans aux Iles-de-la-Madeleine, un archipel du Golfe du Saint-Laurent, où débute la chasse chaque année. Et le succès est grandissant, dit-il à l'AFP lors d'une soirée de dégustation à Montréal.

L'une des spécialités de M. Jomphe est la longe de phoque - une partie du dos de l'animal - qu'il sert saignante, à la manière d'un magret de canard, accompagnée d'une sauce au cacao.

«C'est surprenant mais très bon. La chair est spongieuse et n'a pas du tout goût de poisson», commente Maude, une cliente pour qui c'est la première dégustation.

Reste que les établissements qui proposent du phoque sont rares. Pas seulement en raison de la mauvaise presse qui accompagne la chasse de cet animal, décrite comme cruelle par les défenseurs des animaux, mais aussi car les stocks de viande commercialisés sont anecdotiques.

Sur les 338.000 phoques qui seront abattus au Canada cette année, seuls 1.000 le seront pour la commercialisation de leur chair, indique Réjean Vigneau, de la boucherie Côte à Côte, aux Iles-de-la-Madeleine.

Autre frein à la croissance de cette industrie: la législation, qui oblige que la viande destinée à la vente soit extraite de la bête en abattoir, et non sur la banquise, comme le font les chasseurs pour leur consommation personnelle, croit M. Vigneau.

La boucherie Côte à Côte - la seule à transformer la viande de phoque au Canada, selon son propriétaire - propose des terrines aromatisées aux pommes, aux raisins et à l'orange, des rillettes, du loup-marin fumé au noyer, du saucisson, mais aussi des brochettes marinées ainsi que des filets et des morceaux d'épaule.

«C'est parti pour se développer à plus grande échelle», affirme le boucher.

Alors que le cours des peaux de phoques est en chute libre, à 15 dollars par peau, la gastronomie pourrait offrir de nouveaux débouchés aux chasseurs, un kilogramme de longe se négociant environ 30 dollars.