De quoi est composée une famille? À en croire la plupart des programmes destinés aux familles québécoises, une famille est faite de parents et d'enfants. De mères, certes. Mais de pères, nommément? Rarement.

Dans le Programme national de santé publique de 2003-2012, mis à jour en 2008, pas un mot sur les pères. Les mères, elles, sont nommées 56 fois. Même constat dans le Plan stratégique du ministère de la Famille et des Aînés de 2008-2012. Dans la Politique de périnatalité 2008-2018, une seule orientation vise les pères. Et elle n'est pas prioritaire. Le rapport annuel du Conseil de la famille constate même une «rareté des statistiques» sur la paternité. «On ne sait même pas combien il y a de pères au Québec», se désole Raymond Villeneuve, président du Regroupement pour la valorisation de la paternité au Québec, qui a compilé toutes ces données pour lancer le colloque annuel de son regroupement, mardi prochain. Nous sommes dans un discours rempli de contradictions, dit-il. Alors que, socialement, on demande de plus en plus aux pères de s'engager, leur contribution continue de ne pas être reconnue officiellement. Quand on parle de famille, le père demeure une figure secondaire.»

 

Objectif du colloque, donc? «Sensibiliser les gens au fait qu'il y a des enjeux particuliers liés aux pères dont on ne parle jamais», dit-il. Pour ce faire, différentes études et projets inédits seront présentés. En voici trois.

1. Pourquoi grimpent-ils sur les ponts?

C'est le scénario catastrophe: un père se sépare de sa conjointe, perd la garde de ses enfants et grimpe sur un pont pour faire valoir ses droits.

Comment en arrive-t-il là? Certains chercheurs se sont intéressés à la question: «Comment se fait-il que certains hommes en arrivent à faire des gestes aussi radicaux?» résume Éric Couto, doctorant en travail social à l'Université Laval et partenaire de recherche de Germain Dulac.

Dans les années 90, le chercheur Germain Dulac avait tenté de comprendre pourquoi les hommes sont si peu nombreux à demander de l'aide. Avec Éric Couto, entre autres, il a ensuite cherché à comprendre comment les hommes en processus de rupture naviguent dans le système judiciaire et, surtout, comment certains en arrivent à perdre toute confiance dans les institutions.

Pour ce faire, les chercheurs ont sondé 22 hommes rencontrés par le truchement de l'organisme Pères séparés. D'entrée de jeu, ils reconnaissent les limites de leur échantillon (trop petit, et surtout puisé à même un éventail de pères susceptibles d'avoir vécu des situations problématiques). N'empêche que les résultats sont révélateurs.

Des 22 pères rencontrés, la moitié a vécu la médiation de manière négative, et le tiers a eu une expérience négative des tribunaux.

Trois facteurs sont déterminants dans le dénouement négatif de l'expérience, résume Éric Couto. Le premier: le degré de conflit très élevé entre les ex-conjoints. Le second: la difficulté d'accepter la rupture. Et le troisième, crucial: le sentiment d'être entendu ou non dans la médiation ou devant l'avocat. «Dans la médiation, il y a un gagnant et un perdant, résume Éric Couto. Si l'on sent qu'on est perdant, il est difficile d'avoir confiance en l'institution.» D'où l'importance de déterminer clairement ses attentes (garder un lien avec les enfants, remplir son rôle de père) pour pouvoir trouver un arrangement satisfaisant, conclut-il.

2. Le défi des pères immigrés

Imaginez le choc: vous émigrez pour le mieux-être de votre famille. Pour l'avenir de vos enfants. Or, arrivés en terre promise, vos enfants, influencés par l'école, remettent en question votre autorité. Votre conjointe s'émancipe. Et, comble de l'horreur, vous ne trouvez pas de travail. Anéantie, votre dignité?

C'est le défi auquel font face bon nombre de pères de famille immigrés, qui se sentent du coup isolés, angoissés, voire déprimés.

«Plusieurs émigrent pour le mieux-être de leurs enfants, confirme Stéphane de Busscher, agent de coordination à l'Hirondelle, un organisme d'accueil pour les nouveaux arrivants. Or, ils vivent des angoisses face à cette société d'accueil.»

En effet, «ces pères se retrouvent très seuls, ils ne trouvent pas de travail, leur rôle de pourvoyeur est remis en question et ils ressentent une perte de dignité».

L'Hirondelle vient en aide aux immigrés depuis plus de 30 ans. Les hommes viennent essentiellement y chercher un service d'aide à la recherche d'emploi. Or, depuis trois ans, les intervenants ont constaté «une grande détresse chez les hommes», explique le coordonnateur. L'organisme a réalisé que cette question de la paternité des immigrés n'avait jamais été fouillée. «Ces hommes, on les connaît moins.»

Du coup, L'Hirondelle a mis sur pied une série d'ateliers: l'autorité parentale dans un contexte d'immigration, le lien avec l'école, le CPE, etc. Objectif? Permettre aux pères de discuter de toutes ces mutations qui naissent de l'immigration. Surtout, réfléchir à l'impact de ces changements sur leur identité en tant qu'hommes, en tant que conjoints et en tant que pères. Bref, partager leurs expériences avec d'autres pères qui font face à des défis similaires.

L'Hirondelle accueille pas moins de 3000 personnes par année, des familles en provenance du Maghreb, de l'Amérique latine, de l'Europe de l'Est et de l'Afrique noire. C'est l'un des seuls organismes du genre au Québec à offrir une aide particulière aux pères immigrés.

3. L'allaitement nuit-il à l'engagement?

Vrai, on l'entend souvent: «j'ai du mal à prendre ma place», «je la prendrai quand il sera sevré», «ce sera mon tour quand il sera au biberon». Se pourrait-il que l'allaitement soit un obstacle à l'engagement du père?

Non, rétorque Francine de Montigny, professeure en soins infirmiers à l'Université du Québec en Outaouais. «Il y a des pères qui se sentent à l'écart, que la mère allaite ou pas.» Inversement, il y a des pères tout aussi engagés, qui donnent le biberon ou pas.

Pour en arriver à ce constat, la chercheuse a mené trois enquêtes. La dernière est toujours en cours. Dans un premier volet, elle a interrogé 36 pères pour évaluer leur perception de l'allaitement maternel ainsi que leur relation avec leur enfant. Dans un deuxième temps, elle a sondé plus de 300 pères dont l'enfant soit était nourri au biberon, soit avait été allaité exclusivement pendant six mois, soit avait été sevré prématurément après un mois. Chaque fois, elle a cherché à savoir en quoi consistait la relation père-enfant, les activités réalisées et autres soins procurés. «Il n'y a aucune différence entre les trois groupes. Les pères sont aussi engagés», conclut-elle.

D'où le troisième volet de sa recherche, toujours en cours: sonder les relations de couple. «Y aurait-il quelque chose dans la relation de couple qui ferait que le père se sent à l'écart?» s'interroge-t-elle. Pour y répondre, elle compte sonder 220 pères et rencontrer 60 couples.

Son hypothèse? Peut-être que, dans le «discours social», l'allaitement est devenu si primordial que tout le reste - les soins corporels, le toucher - est secondaire. «Ce qui est valorisé par tout le monde, c'est l'allaitement. Or, le père, lui, ne peut pas allaiter.» À suivre.