Les élèves de Mélanie Boulé, 35 ans, la surnomment «le ressort sur deux pattes». Sans multiplier les gros projets et jouer à l'animatrice de foule, cette enseignante de 5e année, à l'école Les Bourlingueurs de Sainte-Catherine, connaît un franc succès auprès de ses pupilles. Même les petits croisent les doigts pour aboutir un jour dans sa classe. «Je crois au dynamisme, c'est rare qu'on s'ennuie avec moi. Mais je ne pourrais expliquer pourquoi je suis si populaire.»

Quel est l'enseignant de primaire idéal? C'est celui dont on se souvient toute sa vie, dit-on. Est-il flamboyant, drôle, chaleureux? Depuis plus d'un siècle, les chercheurs s'arrachent les cheveux à tenter de trouver la recette du prof parfait. En vain.

«La question ne date pas d'hier. Les travaux qui cherchent à identifier les critères du professeur idéal remontent à 1896. On a continué à fouiller dans ce sens jusque dans les années 50. L'effort était louable, mais ça n'a jamais abouti à des résultats concluants. On a laissé tomber», indique Clermont Gauthier, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en Formation à l'enseignement et professeur en psychopédagogie à la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval.

Dans l'étude Commonwealth Teacher Training, publiée en 1929, on avait répertorié jusqu'à 83 traits liés à l'enseignant idéal ! «À ce compte, ce n'est plus significatif», note Clermont Gauthier. En tête de liste des qualités du prof parfait? Adaptabilité, apparence personnelle, intérêt pour les élèves, sympathie, coopération, patience, enthousiasme, exactitude, santé, fermeté, honnêteté, leadership et... bon goût.

Dictées et bonbons

Les enfants voient les choses d'un autre oeil. Enseignante en 4e année à l'Institut Saint-Joseph de Québec, Anne Imbeau a sondé ses élèves. Selon eux, le prof parfait «ne donne pas de devoir», «accorde plus de minutes de récréation», «donne plein de récompenses», «ne donne pas de dictée», «nous permet de manger des bonbons en classe», «nous donne des trucs pour régler les conflits», «permet d'avoir un animal en classe», «n'est pas trop sévère», «nous donne beaucoup de responsabilités», «est souriant, généreux, doux», «nous laisse nous placer où l'on veut et avec qui l'on veut dans la classe»...

«Enseigner est un art, avance pour sa part Charles Boulanger, directeur de l'école Sainte-Cécile, en Estrie. Ça prend une variété d'approches pédagogiques, mais le prof a plus de succès s'il est agréable. Les enfants ont le goût d'apprendre et de faire des efforts pour lui. » Selon lui, le prof idéal a une bonne gestion de classe, est initiateur de projets et a un bon sens de l'éthique. «Il y a une part d'inné et une part d'acquis», croit-il.

Malgré les efforts et les méthodes, il arrive néanmoins que le courant ne passe pas. «Être prof, on l'a ou on ne l'a pas. C'est une vocation», croit l'enseignante Mélanie Boulé. «Le charisme est très important, confirme Isabelle Sirois, superviseure de stage en enseignement du primaire à l'Université de Sherbrooke. Pas besoin de faire le clown devant la classe, ni de jouer les G.O. du Club Med pour être apprécié. Il suffit de faire sentir aux enfants qu'on est heureux d'être avec eux par un sourire, une tape sur l'épaule, un regard approbateur. Le prof doit être conscient de l'impact qu'il a sur les élèves. Il est un modèle et il doit rendre l'apprentissage agréable.»

C'est ce que fait Geneviève Charland, 25 ans, enseignante d'anglais en 6e année à Princeville. «Je demande à mes élèves quels sont les thèmes qu'ils aimeraient aborder dans le cours et les activités qu'ils aimeraient faire. Je pars de leurs suggestions pour adapter mon enseignement.» Ce qui marche à tout coup ? «Lorsque j'intègre la musique à l'apprentissage. Les élèves choisissent une chanson, ont à comprendre les paroles, répondre aux questions et présenter la pièce choisie à la classe.» Elle est aussi friande de nouvelles technologies. «Les notions passent beaucoup mieux avec une présentation Power Point vivante. La craie et le tableau, c'est "out".»

Selon Chantal Longpré, présidente de la Fédération québécoise des directeurs d'établissements d'enseignement, «l'enseignant doit tisser des liens avec les élèves, leur faire confiance et les rendre autonomes». Il doit aussi avoir une bonne relation avec les parents, les collègues et la direction. «Un prof idéal dans un milieu ne l'est pas nécessairement dans un autre. Les forces et faiblesses de l'enseignant et le projet de l'école entrent en jeu.» Le prof parfait, dit-elle, assume une délinquance créative et ose sortir du cadre. «La personnalité est la clé», affirme-t-elle comme la majorité des acteurs interviewés.

Devenir un bon prof

Clermont Gauthier, de l'Université de Laval, est loin d'être convaincu. «L'enseignement est un métier de masse. S'il fallait réserver le métier seulement à ceux qui l'ont naturellement, il y aurait pénurie et bien des enfants n'iraient pas à l'école. Certains ont le sens de l'humour, d'autres pas. Mais plusieurs aptitudes peuvent s'apprendre en cours de route.»

Selon lui, le succès d'un enseignant relève avant tout des méthodes pédagogiques employées. «Un bon prof, c'est celui qui réussit à faire apprendre les élèves et à leur montrer à vivre en groupe, à inculquer un nombre de valeurs que la société estime souhaitables, comme la justice et l'équité. Dans les travaux de recherche, on a identifié clairement des stratégies qui favorisent une meilleure performance des élèves», résume M. Gauthier. Il cite, par exemple, le rappel des connaissances antérieures avant une nouvelle leçon et l'importance de bien faire la transition entre deux activités. De plus en plus, les stratégies gagnantes sont enseignées à l'université. «Pas encore assez», souligne néanmoins l'expert.

En manque de reconnaissance

Enseigner au primaire en 2010 n'a rien d'un jeu d'enfant. «Enseigner est un métier de haute exigence au plan moral et affectif. Il n'y a plus de reconnaissance sociale, on n'a qu'à se fier aux salaires dérisoires, affirme Clermont Gauthier. L'enseignant n'est plus détenteur du savoir absolu, comme il l'était à l'époque où les gens n'étaient pas instruits. Le rapport des élèves à l'autorité n'est plus le même. Ça a changé énormément. Les parents sont plus agressifs, les enfants aussi. Avec l'intégration des élèves en difficulté, il y a aussi plus d'élèves turbulents en classe. C'est dur à vivre.» Les enseignants expérimentés vivent une grande fatigue et, selon M. Gauthier, la majorité prend régulièrement des congés. «Pour survivre», soutient l'expert.

Autre difficulté: la motivation. «Tout fonctionne avec une récompense aujourd'hui, ajoute l'enseignante Mélanie Boulé. Les élèves manquent de motivation intrinsèque, ils attendent toujours une récompense pour tout et rien. C'est épuisant à la longue.»

Si les temps et les méthodes changent, la clientèle est plus lourde, les bons enseignants sont toujours les mêmes. «Quand j'étais jeune, les bons enseignants étaient ceux qui se donnaient à 100 %, qui y mettaient du coeur. C'est la même chose aujourd'hui, indique Évelyne Gosselin, directrice de l'école Les Marguerites de Varennes. Enseigner a toujours été un travail humain, ça ne changera pas. Une fois que tu as créé le lien, tu peux tout faire.» L'enseignante Geneviève Charland se dit d'ailleurs très ouverte aux confidences. «S'il y a un pépin dont ils ne veulent pas parler avec leurs parents ou leurs amis, mes élèves savent qu'ils peuvent toujours frapper à ma porte.»

Comme les enseignants ne sont pas tous aussi dévoués, Isabelle Sirois, de l'Université Sherbrooke, prône l'instauration d'un système d'évaluation amélioré. «Qui va voir l'enseignant derrière sa porte close après 15 ans de métier ? Il faudrait plus de suivi à long terme, dit-elle. J'ai vu des profs installer des enfants devant un cahier pendant deux heures avec interdiction de poser des questions. D'autres sacraient après leurs élèves, leurs yeux étaient si tristes.» Mme Sirois rappelle que les enfants ne sont pas des machines. «Il faut être sensible à ce qu'ils vivent et ressentent. L'enseignant a un grand impact sur eux, sur leur avenir.»

Les profs qui ont marqué le grand écran

2009 : Precious (Paula Patton dans le rôle de Miss Rain, enseignante)

2004 : Les choristes (Gérard Jugnot dans le rôle de Clément Mathieu, enseignant de musique)

2002 : Être et avoir (Georges Lopez, dans son propre rôle d'instituteur)

2002 : Mystérieuse mademoiselle C (Marie-Chantale Perron dans le rôle de mademoiselle Charlotte, enseignante de 6e année)

2000 : Wonder Boys (Michael Douglas dans le rôle de Grady Tripp, enseignant de littérature)

1999 : Music of the Heart (Meryl Streep dans le rôle de Roberta Guaspari enseignante de violon)

1997 : Good Will Hunting (Robin Williams dans le rôle de Sean Maguire, enseignant de maths)

1995 : Dangerous Minds (Michelle Pfeiffer dans le rôle de Louanne Johnson, enseignante)

1989 : Dead Poets Society (Robin Williams dans le rôle de John Keating, enseignant de lettres)

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