Les dyslexiques découpent les sons de la parole si finement, un peu comme s'ils percevaient la moitié d'un «fe» ou un quart de «me», qu'ils ont ensuite des difficultés à les associer aux lettres de l'écrit, selon une étude publiée par des chercheurs de l'Inserm* et du CNRS**.

La dyslexie se manifeste chez un enfant, après le début de l'apprentissage de la lecture, par l'absence de maîtrise des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes.

Qu'est que la moitié d'un «fe»? «On a du mal à se l'imaginer» quand on n'est pas du tout dyslexique, reconnaît Anne-Lise Giraud (Inserm, Ecole normale supérieure, Paris). «On associe un son de parole qui s'appelle un phonème à un graphème qui grosso modo est une lettre», précise cette chercheuse du Laboratoire de neurosciences cognitives.

Chez les dyslexiques, la représentation mentale des sons de la parole n'aurait pas «le même format que chez les sujets normo-lecteurs», ceux qui savent faire la correspondance, explique à l'AFP la neurobiologiste.

«Ils découpent tellement finement les sons qu'ils ne peuvent pas les associer aux graphèmes», résume-t-elle. C'est ce que nos recherches «tendent à prouver», dit-elle voulant rester prudente après la publication cette semaine des résultats de son équipe dans la revue scientifique Neuron.

Associer la lettre «t» au son «te», pour «un normo-lecteur c'est facile, puisqu'il qu'il a déjà dans sa tête quelque chose qui est au bon format», ajoute-t-elle.

«Les bébés qui sont capables de distinguer des ''allophones'' - des unités légèrement en dessous des phonèmes - perdent cette capacité au fur et à mesure qu'ils sont exposés à un langage maternel, mais justement les dyslexiques auraient comme une persistance d'un mode de découpage en dessous du phonème», dit-elle.

En partant de cette hypothèse, Mme Giraud et ses collègues ont enregistré l'activité cérébrale de 44 adultes, dont 23 dyslexiques, grâce à la magnétoencéphalographie (MEG), en étudiant leur réponse à un bruit modulé en amplitude dont le rythme variait de 10 à 80 hertz.

«On a enregistré la capacité des réseaux de neurones du cortex auditif à se caler en phase sur des rythmes qui sont contenus dans les sons», indique Mme Giraud.

Les résultats montrent qu'une seule anomalie dans le cortex auditif serait à l'origine des trois facettes principales de la dyslexie: difficulté à manipuler mentalement les sons de la parole et à mémoriser une liste de mots à court terme, ralentissement de la capacité à nommer rapidement des séries d'images.

Les dyslexiques auraient une «sensibilité réduite» pour les sons modulés autour de 30 hertz, ce qui correspond à «un déficit» dans le découpage des phonèmes. Pour la mémoire, il s'agit plutôt «d'une hyper-rapidité» du découpage de la parole «autour de 60 hertz», relève la neurobiologiste.

«Si les dyslexiques découpent de façon plus fine, ils font davantage de petits paquets et ça encombre leur mémoire à court terme», explique-t-elle, précisant que ces résultats permettent de «faire un lien» avec la génétique : des anomalies génétiques affectent la bonne configuration des réseaux corticaux chez les dyslexiques.

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* Inserm: Institut national de la santé et de la recherche médicale (France)

** CNRS: Centre national de la recherche scientifique (France)