Du saumon sauvage qui n'a rien de sauvage. Une escalope de porc servie au lieu d'une escalope de veau. Un plat de pétoncles sans pétoncles. On n'a pas encore parlé de l'huile d'olive supposément extravierge, qui contient parfois de l'huile à... moteur! On pense connaître la qualité des aliments qu'on mange parce que des inspecteurs sont payés pour veiller au grain. Mais, dans la vraie vie, des commerçants véreux arrivent facilement à déjouer le système.

Une bouteille d'huile d'olive sur trois vendues au Canada n'est pas conforme. On y a ajouté de l'huile de canola ou une autre huile moins chère pour la diluer et tout de même la vendre sous l'appellation huile d'olive extravierge.

 

Le consommateur n'y verra que du feu. Et à moins que l'auteur de cette arnaque soit très malchanceux, il s'en sortira indemne puisque les contrôles sont rares. Très rares.

C'est ainsi que des légumes importés changent subtilement d'emballage pour devenir des produits du Canada, plus chers. Que du sirop de poteau devient du sirop d'érable. Ou qu'une escalope de veau servie au restaurant est en fait du porc que l'on a attendri.

La fraude alimentaire est un phénomène largement répandu, mais néanmoins méconnu. Dans notre système basé sur le lien de confiance entre celui qui produit l'aliment et celui qui l'achète, l'occasion fait parfois le larron. L'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA), qui file les filous, en voit des vertes et des pas mûres: du caviar béluga qui n'a rien à voir avec l'esturgeon, de la peau de concombre de mer vendue comme du vivaneau, des saucisses avariées recyclées en nourriture pour chiens.

L'ACIA fait peu de contrôle sur des aliments choisis au hasard. «On ne fait pas de chasse aux sorcières. Les inspecteurs agissent surtout lorsqu'ils reçoivent des plaintes», explique Daniel Aubry, gestionnaire du service des enquêtes et de l'application de la loi à l'ACIA. Une plainte portée, par exemple, par un concurrent choqué par les pratiques qu'il soupçonne chez le voisin.

Pour l'exercice 2006-2007, 2646 inspections dont le but était de déceler les «pratiques déloyales» ont mené à 12 386 constats d'infraction. Il y avait donc une surprenante moyenne de cinq infractions pour chacun des produits inspectés. Les fautes ne sont pas toutes également répréhensibles. Un manque d'information dans l'une des deux langues officielles, par exemple, est considéré comme une infraction. On est loin de la mélamine dans le lait pour fausser le résultat des analyses en contenu protéinique.

«Tout le monde a déjà eu entre les mains un aliment contrefait», explique John Spink, professeur à l'Université du Michigan et directeur d'un groupe de protection contre les pratiques déloyales en alimentation.

Faux saumon

Le poisson, par exemple, est un secteur vulnérable parce qu'on peut facilement substituer une espèce à une autre. Il y a quatre ans, la revue américaine Consumer Report a testé 23 morceaux de saumon sauvage. Après l'étude au labo, on a révélé que seulement 10 des échantillons étaient effectivement du saumon sauvage. On avait même parfois coloré le poisson pour qu'il ait un aspect plus «sauvage».

Au Canada, un restaurant de Colombie-Britannique a été reconnu coupable de servir un «plat de pétoncles à la japonaise» dans lequel il n'y avait pas un seul pétoncle. On avait habilement utilisé un mélange de goberge, d'amidon, de blanc d'oeuf et de soya. Dans cet établissement, on servait aussi des escalopes de veau qui étaient, en fait, du porc.

«Selon le FBI, la contrefaçon sera le crime le plus important au XXIe siècle, explique John Spink. Toutes les formes de contrefaçon, y compris dans l'alimentation.»

Impossible de s'en protéger, elles sont partout. Mais elles se trouvent surtout aux deux extrémités du commerce, explique John Spink. Il faut se méfier des produits alimentaires vendus à des prix ridiculement bas, dit-il. Parce qu'il y a peut-être eu substitution dans les ingrédients. À l'inverse, on peut facilement faire passer des produits quelconques pour des produits haut de gamme avec un emballage attrayant.

«De tels comportements jettent le discrédit sur l'ensemble de l'industrie alimentaire qui a de bonnes intentions», déplore Charles Tanguay, d'Option consommateurs.

Manque d'inspecteurs

Si les filous de l'alimentation ont la vie si facile, c'est qu'on leur laisse le champ libre. L'ACIA a 800 inspecteurs au Québec. Seulement une trentaine travaille à démasquer les fraudes dans le programme de salubrité des aliments et de protection des consommateurs. «L'Agence va allouer ses ressources et son personnel en fonction des risques, explique son porte-parole, Jean-François Bolduc. Ce n'est pas que la fraude alimentaire n'est pas une priorité, mais nous devons établir un ordre d'importance.»

Les risques pour la santé humaine sont effectivement beaucoup plus élevés dans un abattoir qu'au commerce.

D'ailleurs, le but premier des fraudeurs en alimentation n'est pas de rendre les gens malades, mais de faire de l'argent. «Il y a une certaine ignorance dans ce domaine, explique John Spink. Les gens pensent que ce n'est qu'un crime financier, mais il y a un réel risque pour la santé humaine. Le cas de la mélamine dans le lait maternisé en est le meilleur exemple. En Chine, des enfants sont morts après avoir bu ce lait.»

Il y a aussi un risque réel lorsque des personnes ayant des allergies alimentaires achètent en toute confiance un aliment qui contient des ingrédients non mentionnés sur l'étiquette. Au Québec, des inspecteurs du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation visitent chaque année une centaine d'établissements choisis au hasard pour s'assurer que les ingrédients et la quantité soient bien conformes à ce qui est prétendu.

Pour démasquer les malfaiteurs, le groupe de John Spink veut être plus rusé qu'eux. «Nous voulons cibler les endroits où l'on peut facilement faire des substitutions», explique le professeur. Il est facile, explique-t-il, d'utiliser un ingrédient qui n'est pas certifié biologique dans des céréales bio. Il y a peu de risque de se faire pincer.

Des amendes peu dissuasives

Un constat d'infraction ne mène pas nécessairement à une condamnation. Pour l'année 2006-2007, 18 contrevenants canadiens ont été contraints de payer des amendes totalisant... 12 000$!

C'est une moyenne de 666$ par condamnation. «J'appellerais plutôt ça une taxe à la fraude, dit Charles Tanguay, d'Option consommateurs. Et encore, une taxe pas chère. Si nous avions des amendes d'un million de dollars, nous pourrions utiliser ces fonds pour augmenter le nombre d'inspections.»

Selon la Loi canadienne sur les aliments et drogues, la peine maximale est de 50 000$, une peine rarement atteinte. Ottawa a toutefois le projet de hausser la note. «Les sanctions actuelles sont trop légères pour avoir un effet dissuasif», peut-on lire dans le Plan d'action pour assurer la sécurité des produits alimentaires, présenté à l'automne 2007.

Aux États-Unis, les amendes peuvent effectivement s'élever à un million de dollars et, dans l'Union européenne, elles peuvent atteindre jusqu'à l'équivalent de 5% des revenus annuels de l'entreprise fautive.

Autre détail qui pourrait avoir un effet dissuasif, dit Charles Tanguay: la publication des noms des contrevenants. En fait, l'ACIA dévoile le nom des entreprises qui sont condamnées. Par exemple, en 2007, la compagnie Tucom, de Mirabel, a reconnu sa culpabilité dans un cas d'huile d'olive altérée, mais la compagnie, qui importe l'huile en vrac et la met en bouteille ici, ne vend pas son huile sous son nom d'entreprise. Elle a comme clients des marques privées, ou elle vend de grosses quantités aux restaurants. L'ACIA ne peut pas publier la liste des clients de l'importateur, qui n'ont rien à se reprocher. Tucom s'en sort donc avec son amende de 4000$ et poursuit ses activités. Ni vu ni connu.