Depuis près de 40 ans, le Québec interdit la publicité destinée aux moins de 13 ans. Mais c'est maintenant que la loi est mise à l'épreuve. Au coeur de la bataille: l'Internet. Plus tôt cette semaine, General Mills s'est reconnu coupable d'avoir créé un site Internet inspiré par ses céréales Lucky Charms. Les géants de l'alimentation y penseront à deux fois avant d'utiliser un tel procédé.

Sur le site des croustilles Doritos, une question: Êtes-vous membre de Facebook? Si oui, entrez votre courriel pour faire partie du groupe des amis de Doritos.

 

Sur le site des bonbons M&M, on vous invite à créer votre propre petit personnage. Vous choisissez la forme du bonbon, sa couleur, les caractéristiques de son visage. Des heures de plaisir.

«Les marques ont bien compris que plus les gens passent du temps sur leur site internet, plus il se crée des liens entre elles et le consommateur, explique Christian Désilet, du département de communication de l'Université Laval. Une entreprise a tout avantage à ce qu'un enfant passe du temps à jouer sur son site parce qu'il se familiarise avec la marque. Et les enfants, comme les adultes, sont portés à acheter des marques qu'ils reconnaissent.»

Bienvenue dans le monde de la publicité destinée aux enfants. Celle qui échappe à la loi québécoise, pourtant un modèle en son domaine.

La Loi sur la protection du consommateur interdit la publicité destinée directement aux enfants de moins de 13 ans. Sont exclus de la loi tous les emballages de produits, parce qu'on considère que l'ultime décision d'achat revient à l'adulte et que l'emballage tient plus du marketing que de la publicité.

Un autre élément n'est pas mentionné dans la loi: l'utilisation de l'internet. Et pour cause: le concept même de l'internet tenait de la science-fiction au moment où les législateurs ont établi les barèmes de la loi québécoise, au début des années 70.

Maintenant, le web est une voie de choix pour atteindre les consommateurs. «L'internet est en voie de devenir le média le plus utilisé par les publicitaires», précise Christian Désilet, spécialiste en marketing.

L'Office de la protection du consommateur s'est opposé à Generals Mills parce que le groupe a produit un site internet de jeux inspiré de ses céréales Lucky Charms. Après avoir plaidé non coupable, coup de théâtre: on a appris la semaine dernière que General Mills reconnaît avoir contrevenu à la loi québécoise.

En entrant dans le monde virtuel, l'Office de protection du consommateur s'attaque à un monstre. «La loi s'applique à ce qui se passe au Québec, explique Jean-Jacques Préaux, de l'OPC. Mais la publicité sur l'internet vient de partout. Nous pouvons agir si l'entreprise a un siège social ou des bureaux au Québec.»

L'annulation du procès General Mills est à la fois une bonne et une moins bonne nouvelle pour la Coalition québécoise sur la problématique du poids, qui avait porté plainte à l'Office. Bonne nouvelle parce que la reconnaissance de culpabilité envoie un message clair à l'industrie, estime Suzie Pellerin, directrice de l'organisme. On ne peut pas contourner la loi impunément. Moins bonne parce qu'il n'y aura donc pas de procès. Ni de décision. Ni de jurisprudence. «Ça crée quand même un précédent important, dit-elle. Et nous allons mettre en place les outils pour mieux contrôler le web.»

La tâche est colossale. De plus en plus de compagnies d'alimentation indiquent, sur l'emballage de leurs produits, une adresse internet. Loin d'avoir un aspect rébarbatif, certains sites sont aussi attrayants que des jeux vidéo. Devant son écran, le consommateur, peu importe son âge, est à la merci des fabricants qui lui font la vie belle et qui jouent de subtilité dans la présentation de leurs produits.

«Le fait qu'on ait une loi est déjà un élément majeur, explique Martine Painchaud, de la boîte Octane, Stratégie en communication. Maintenant, le public veut qu'elle soit appliquée.»

Surtout après des cas médiatisés comme celui de Saputo et de son gorille Igor. Ou comme l'infraction de Pogo, note aussi Martine Painchaud, qui dirigeait la Coalition à l'époque. Rappelons cette offensive publicitaire: au printemps dernier, le fabricant de saucisses enrobées de pâte avait affiché des jeux de mots pas très élégants autour d'écoles québécoises. La campagne publicitaire avait avorté dare-dare.

Les responsables de la Coalition sont les premières à l'admettre, des cas aussi flagrants que ceux-là ont joué en leur faveur en choquant l'opinion publique.

L'obésité en toile de fond

À l'origine, explique Christian Désilet, la loi québécoise avait été créée pour répondre à l'exaspération des parents devant des enfants qui voulaient toujours avoir la boîte de céréales contenant le petit jouet... et qui ne mangeaient jamais les céréales.

La loi a été créée, et la diffusion de publicités destinées aux enfants durant leurs émissions de télé a cessé. Avec les années 2000, la loi prend une nouvelle couleur, une couleur de santé publique. «La loi revient avec le débat sur l'obésité», dit Christian Désilet.

Lorsque Saputo, par l'entremise de sa filiale des gâteaux Vachon, a mis les pieds dans les garderies, l'entreprise a été dénoncée sur la place publique. «Je pense que si ça avait été des yogourts, il n'y aurait pas eu de problème», indique Pierre Parent, fondateur de P2P Proximité marketing, qui se spécialise dans le marketing alimentaire et qui avait conçu cette campagne. «On est conscients qu'il y a eu des erreurs dans l'exécution de cette campagne, dit-il. Le produit ne devait pas être remis aux enfants directement.» Mais il l'a été et Saputo a fini par plaider coupable d'avoir fait de la publicité directement aux enfants, le mois dernier. L'agence P2P, aussi poursuivie pour cette campagne, est en pourparlers avec les représentants de l'Office de la protection du consommateur pour convenir d'un règlement.

Car Pierre Parent insiste, il n'était absolument pas question de contourner la loi. «On ne peut pas essayer de tricher, en publicité, dit-il, parce qu'on se ferait rattraper.» Igor en est la preuve.

Alors il reste deux options pour vendre un produit destiné aux enfants sans se mettre à dos l'opinion publique: s'adresser aux parents directement, clairement et sans ambiguïté, ou s'appuyer sur le produit pour promouvoir, par exemple, de saines habitudes de vie. «On dépense des milliards en publicité, dit Pierre Parent. Si on en dépensait 5% pour faire passer des messages positifs, ça serait déjà bien.»

Pensez à Dove, dit-il, qui a fait une campagne contre l'anorexie, mis sur pied le Fonds d'estime de soi pour les femmes et créé une campagne qui montre la beauté de femmes de toutes les tailles, de toutes les couleurs et de tous les âges. Difficile de résister à un pain de savon après ça. Et de se rappeler que Unilever, propriétaire de Dove, est aussi propriétaire de la marque Slim Fast, qui se spécialise en substituts de repas pour les femmes qui veulent maigrir.

Un jeu facile pour les publicitaires

La loi québécoise interdit la pub destinée aux enfants de moins de 13 ans parce qu'on considère que, avant l'adolescence, ils ne peuvent faire la distinction entre l'information et la promotion.

Mais il y a un hic: les enfants ne se limitent pas aux dessins animés diffusés avant 17h. Ils regardent Star Académie. Ils regardent Occupation Double. Les préados vont au cinéma voir À vos marques... Party! dans lequel McDonald's fait du placement de produit.

«Notre loi est-elle encore valable dans un monde de médias éclatés? demande Pierre Parent. Est-ce qu'elle est encore applicable dans ce contexte?»

Certains croient que, au nom de la santé publique, on devrait jouer à armes égales: permettre la publicité positive, même directement adressée aux petits.

«Quand j'étais petit, il y avait une annonce de bananes Chiquita qui dansaient, se rappelle Christian Désilet. J'en ai mangé, des bananes!» Selon lui, la publicité pour des aliments sains est souhaitable. Si on la limite aux aliments non transformés, on évite que des multinationales du hamburger attirent les petits avec des pommes tranchées au caramel.

Il faudrait un étonnant revirement de situation pour que la loi permette une telle exception, aussi valable soit l'argument. «Les gens croient que permettre la publicité positive, ce serait comme de laisser entrer les punaises dans le jardin, compare le professeur Désilet. Mais pour l'instant, les enfants non plus n'entrent pas dans le jardin!»

 

Les deux autres cas retenus par l'Office de protection du consommateur

McDonald's

Accusé d'avoir utilisé son logo dans une bande-annonce de Ciné-Cadeau, le cinéma des Fêtes diffusé à Télé-Québec, pendant plusieurs émissions destinées aux petits, dont Cornemuse, Charlie Brown et Passe-Partout.

Accusé d'avoir fait la publicité de ses croquettes de poulet pendant la diffusion de films pour enfants.

Burger King

Accusé d'avoir vanté davantage les petites figurines Viva Pinata que le produit qu'il annonçait, les bouchées de poulet, dans une affiche promotionnelle.

Accusé d'avoir fait davantage la promotion du film Un Cowboy dans la ville, plutôt que de ses bouchées de poulet, dans la rubrique réservée aux enfants de son site internet.

Accusé d'avoir distribué des sacs promotionnels contenant des figurines à l'achat de bouchées de poulet.