«Nous avons une blonde biologique, mais est-elle écologique?»

Bruno Blais, de la microbrasserie la Barberie, se pose cette question à voix haute. L'entreprise a toujours été très sensible aux questions sociales - c'est une coopérative de travail, allant même jusqu'à acheter du café équitable pour son stout aromatisé. Avec la poussée de l'achat local et de la consommation verte, le groupe veut trouver des ingrédients d'ici. Pas simple.«Nous aimerions créer une industrie de proximité, explique le brasseur de Québec. Si nos matières premières voyagent moins, nous aurons une empreinte écologique plus positive. Autour de l'industrie des microbrasseries, il pourrait se développer toute une industrie parallèle. Nous pourrions contribuer à diversifier l'agriculture. Dans les années 30-40, le Québec était un producteur de houblon. Nous avons perdu l'expertise, mais plusieurs microbrasseries sont prêtes à relancer la production.»

Apparemment, Bruno Blais n'est pas seul à s'intéresser à la provenance de ses ingrédients. L'Association des microbrasseurs du Québec s'est donné comme objectif d'augmenter son approvisionnement en ingrédients locaux.

«Il y a vraiment un intérêt pour le houblon québécois», explique Sébastien Gagnon qui s'est lancé dans cette culture horticole en Mauricie, l'année dernière. Houblon Québec commence à peine à faire des tests, pour voir quelles variétés peuvent bien faire avec notre climat. Les brasseurs observent leurs essais avec attention. Quelques-uns leur ont déjà signé des lettres d'intention officielles. Ils seront les premiers en ligne lorsque la récolte commerciale sera prête, ce qui devrait prendre un bon trois ans, encore. Houblon Québec croit pouvoir arriver à produire des plantes de la qualité de ce qui se trouve présentement sur le marché, en importation, à un coût comparable.

Si les microbrasseries devaient massivement se convertir au houblon québécois, Sébastien Gagnon se lancera à la recherche d'agriculteurs intéressés à faire pousser cette plante aux belles feuilles vert lime. «Nous misons sur un développement selon le modèle belge, dit-il, avec des petites fermes de cultivateurs plutôt que sur le modèle de mégaproduction américain.»

Le houblon ne représente évidement qu'une petite partie des ingrédients de la bière. «C'est comme le sucre dans le café», compare Sébastien Gagnon. Un sucre qui donne arôme et amertume. L'ingrédient principal de la bière étant évidemment le malt (orge). Il y a présentement deux malteries qui utilisent uniquement de l'orge québécoise. La Malterie Frontenac de Thetford Mines et Maltbroue de Cabano qui fait de l'orge de finition depuis un an.

«Une vingtaine de microbrasseries québécoises utilisent déjà notre malt», explique Cindy Rivard, vice-présidente de Maltbroue. «Nous sentons vraiment une grande volonté des microbrasseurs d'utiliser du malt d'ici.»

Présentement, pour faire une bière de terroir, un brasseur devrait acheter son malt de base et son malt de finition d'entreprises québécoises. En plus, il devrait faire pousser son propre houblon. Quelques petits brasseurs le font déjà pour des bières de spécialité à tirage limité, dit Cindy Rivard.

La seule bière 100% québécoise commercialisée est la Rur'ale de la brasserie Schoune, qui est aussi une ferme. L'orge et le houblon poussent sur place depuis toujours. Le but dès le départ, il y a 11 ans, était d'utiliser les récoltes pour toutes les bières, explique Patrice Schoune. Ils y sont parvenus l'automne dernier, avec cette Rur'ale. Les autres bières comptent autour de 35% d'orge malté de la ferme. Le reste est importé. Le but est toujours d'atteindre 100% pour toutes les bières, dans les années à venir.

Les petites sont fortes

Si on peut aujourd'hui rêver de faire des bières locales, c'est parce que les microbrasseries vont bien. Utiliser des ingrédients d'ici est l'un des deux objectifs des petits brasseurs, le second est tout aussi ambitieux. Durant les 10 prochaines années, les petits veulent obtenir 12% des parts de marché de la bière au Québec. Ils en ont un peu moins de 5%, présentement.

«Oui, c'est un objectif audacieux, concède Bruno Blais, mais on va se donner les moyens.» Déjà, dit-il, la bière de microbrasserie est perçue différemment. Autour de l'an 2000, la microbrasserie était surtout un phénomène urbain. Maintenant, il y en a partout dans la province et les gens peuvent avoir leur bière préférée, poursuit le brasseur. Et contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, où la consommation de bière a diminué depuis des mois, la récession n'a pas ralenti les ventes des petites brasseries.



Une blonde québécoise pour le marché américain

La microbrasserie Charlevoix travaille sur une nouvelle bière depuis des mois. Une bière blonde, très forte, faite selon l'étonnante méthode champenoise, avec une fermentation toute naturelle. Le brasseur l'annonce exceptionnelle. Ça vous donne l'eau à la bouche? Eh! Bien, il faudra la déguster en visite aux États. Puisque les nouvelles règles encadrant la fabrication et la commercialisation des bières, ironiquement, feront que cette nouvelle blonde créé à Baie-Saint-Paul ne sera pas vendue ici.

Au printemps dernier, Québec publiait les nouveaux règlements encadrant la fabrication de la bière. Les microbrasseries n'ont pas aimé pour plusieurs raisons, dont le fait qu'elles n'ont pas été consultées avant la rédaction de ces règles qui les concernent directement. Pire encore : certaines de leurs bières pourraient être reléguées dans la catégorie «breuvage» parce qu'elles contiennent des ingrédients post-fermentation, et les bières contenant plus de 11,9% d'alcool deviendraient des spiritueux, selon ce qui est écrit.

Et comme la nouvelle blonde de la Microbrasserie de Charlevoix contiendrait 15%, son lancement a été remis aux calendes grecques. «Je crois que nous pourrions la commercialiser, mais avec un niveau de taxation des spiritueux, ce qui n'a aucun bon sens, explique Frédéric Tremblay, de la Microbrasserie. Plutôt que de la vendre ici 25$ la bouteille, nous allons la brasser pour le marché américain.»

Lors du dernier mondial de la bière, à Montréal, la bière RIP de la brasserie Saint-Bock a raflé les grands honneurs. Premier prix pour cette bière de... 14,5% d'alcool! «Nous allons continuer de la vendre et nous allons payer les taxes en conséquence, explique Martin Guimond, du pub de la rue Saint-Denis. Nous allons augmenter le prix et réduire nos marges. Mais les amateurs vont pouvoir continuer de l'apprécier. Comme un bon vin.»

Photo: Martin Chamberland, La Presse

Le propriétaire de la microbrasserie Charlevoix, Frédéric Tremblay.