Tout l'été, La Presse donne la parole à ceux qui réinventent notre terroir. Des gens qui ont pris de sérieux risques pour se lancer dans des cultures moins populaires que d'autres ou qui ont décidé de faire les choses différemment. Ils créent maintenant dans leurs champs, leurs fermes, leurs brasseries, leurs fromageries, des produits qui se trouveront bientôt sur votre table. Chaque samedi, découvrez ces gens d'avant-goût.

Élever de l'agneau au Québec, pas si risqué, n'est-ce pas? C'est ce que croyait Alain Fradette lorsqu'il a délaissé la pastorale pour le mouton, il y a une dizaine d'années. Finalement, le gigot est plus difficile à vendre qu'il croyait au départ. Alors, il a décidé de prêcher les bienfaits de sa viande directement aux clients. Un par un.

 

Le producteur a prophétiquement appelé sa ferme Terre Promise. Après une succession de petites et plus grandes épreuves, dont l'incendie d'une partie de ses bâtiments, il s'est installé un comptoir de vente en bordure de la route, à Saint-Nazaire, au Lac-Saint-Jean. Il lui reste une quinzaine de brebis et une centaine d'agneaux.

«Le marché est en progression», dit-il, toujours confiant de convertir les mangeurs de boeuf du coin. Effectivement, l'agneau est la viande qui connaît l'augmentation la plus appréciable au Canada. Mais cette hausse est en bonne partie attribuable à l'immigration. Ce qui explique que la consommation d'agneau est plus grande dans des villes comme Toronto ou Montréal. Les Européens et surtout les musulmans sont nettement plus friands d'agneau que les Québécois de souche, qui lui préfèrent le poulet, surtout en période de récession. Or, la communauté musulmane d'Alma est assez discrète...

Alain Fradette sourit. Et il acquiesce.

«C'est vraiment une question de goût, dit-il. Au Québec, nous sommes des mangeurs de creton. Quand on mange de l'agneau, on voudrait que ça goûte le poulet. Mais l'agneau a un goût très distinctif, qui se laisse apprécier. C'est une des plus vieilles viandes du monde. Et c'est aussi une des meilleures.»

Surtout l'agneau du Québec, explique Christian Bernier, qui vient d'une famille d'éleveurs de moutons et qui dirige Berarc, l'un des plus importants distributeurs d'agneaux du Québec avec une moyenne de 20 000 bêtes par année. Chauvin, le commentaire? Pas vraiment. L'agneau de la Nouvelle-Zélande, bien connu ici et bien présent dans les frigos d'épicerie, est un mouton de laine. La viande est un bonus pour eux, explique Christian Bernier. Un produit secondaire. «Comme en plus les moutons sont au pâturage à l'année, ils grossissent moins vite», explique-t-il. Ils sont abattus plus tard, lorsqu'ils ont environ 1 an, contre 6 mois pour un agneau du Québec. En conséquence, la viande a un goût plus prononcé.

Elle coûte aussi moins cher. Alain Fradette estime qu'un gigot néo-zélandais se retrouve au supermarché pour la moitié du prix qu'il vendra le sien dans son kiosque.

Livraison de moutons

L'agriculteur du Lac-Saint-Jean n'est pas le seul à préférer le contact direct avec le consommateur. Gérald Dionne, l'unique producteur ovin de l'Île Verte, vend la bête entière ou en demi. Le consommateur choisit toutes ses découpes et après l'abattage, à l'automne, l'éleveur lui apporte ses caisses de viande préparée à son goût, jusqu'au centre-ville de Montréal. «Les gens viennent faire du vélo ici, explique Gérald Dionne. Ils voient les animaux dehors, ils voient la mer. Ils savent ce qu'ils vont manger.» Sa bergerie Revenons à nos moutons n'a qu'une quarantaine d'agneaux cette année. En les vendant directement, il supprime des coûts intermédiaires. Malgré cela, il s'est dégagé un revenu de moins de 100$ l'année dernière de son élevage. «L'agneau coûte très cher à produire, explique-t-il. Il n'y a qu'un agnelage par année, alors qu'une truie peut avoir 20 porcelets. Et un agneau, comparé à un cochon, c'est pas mal moins gros. Alors le prix de la viande, au poids, est plus élevé.»

Plus cher à produire qu'à vendre

Au Québec, la production ovine est en crise. «C'est un élevage très exigeant, explique Alain Fradette. Le coût de production oscille autour de 14$ par kilo de viande, mais le prix du marché n'est que de 7$ par kilo.»

La compensation vient de l'assurance des producteurs agricoles, cette fameuse assurance qui est sur le grill cet été justement parce qu'un rapport commandé par Québec demande qu'on révise la façon de distribuer les indemnités. Le cas de l'agneau, comme celui du porc, est souvent cité en exemple à ne pas suivre.

Malgré ce constat, la Fédération de producteurs d'agneaux et de moutons du Québec refuse de parler d'élevage déficitaire. Il y a ici environ 900 producteurs «d'agneaux de spécialité», des éleveurs qui ont plus de 50 brebis, ce qui leur donne droit à cette controversée assurance stabilisation.

La directrice générale de la Fédération, Marie-Ève Tremblay, croit que le prix du marché pourrait augmenter, d'autant que la viande est effectivement très en demande, notamment à cause d'une sécheresse dans l'Ouest canadien qui a limité la production d'agneau dans cette partie du pays.

L'immigration est néanmoins la clé de la croissance du marché ici. Une récente recherche sur la consommation d'agneau des Québécois, réalisée par le ministère de l'Agriculture (MAPAQ), dévoile que plus de la moitié des Québécois d'origine européenne se considèrent des amateurs d'agneau, contre 23% des répondants de la catégorie «Québécois de souche».

Les Québécois d'origine arabe battent tous les records: les deux tiers mangent de l'agneau.

Ce qui explique que les marchés Adonis de la région montréalaise sont de bons clients de Christian Bernier. Ironiquement, on retrouve dans ces épiceries aux arômes moyen-orientaux de l'agneau frais du Québec. Cette semaine, Berarc a fait un abattage mercredi dans la région de Québec et la viande fraîche était disponible dans la métropole le lendemain, alors que plusieurs épiceries généralistes ne proposent que de l'agneau importé et congelé.

La Fédération des producteurs d'agneaux compte aussi sur la popularité de l'achat local pour augmenter la consommation, mais un autre facteur contribue à faire la promotion de l'agneau ici. «Les émissions de cuisine se sont multipliées, explique Marie-Ève Tremblay, du syndicat de producteurs. Les animateurs y cuisinent l'agneau.» Et cela inspire les téléspectateurs.

«Daniel Pinard et Josée di Stasio ont certainement contribué à la hausse de popularité de l'agneau», ajoute Christian Bernier.

Depuis 2000, la consommation de viande ovine a augmenté de 5% par année au Québec, selon l'étude du MAPAQ, qui révèle aussi que les côtelettes, les gigots et les carrés sont les coupes les plus populaires. Toutes ces belles pièces représentent toutefois moins de 1% des achats de viande des Québécois.

 

CONSOMMATION ANNUELLE D'AGNEAU

PAR HABITANT:

Nouvelle-Zélande: 16,8 kg

Moyen-Orient et Afrique du Nord : 4,5 kg

Europe: 2,9 kg

Chine : 3,7 kg

Québec : 1,2 kg

États-Unis : 0,5 kg

Source: Monographie de l'industrie ovine au Québec, Ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, décembre 2008